Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 28 janvier 2009 à 21h45
Prolongation de cinq interventions des forces armées — Débat et votes sur des demandes d'autorisation du gouvernement

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en application de l’article 35 de la Constitution, la Haute Assemblée doit donner son approbation au maintien de nos forces armées sur cinq théâtres d’opérations extérieures.

Le groupe de l’Union centriste, qui, à une large majorité, avait voté la révision de la Constitution, exprime, encore une fois, sa satisfaction de voir un tel débat se dérouler au Parlement.

Il s’agit, bien sûr, de situations de nature bien différente, sur trois continents, mais qui illustrent toutes les responsabilités d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies. Soulignons au passage le progrès du point de vue du droit : chaque intervention de nos forces armées correspond à un mandat précis ou à une orientation décisive du Conseil de sécurité.

Le temps du « machin », jadis brocardé, à juste titre, par le général de Gaulle, est bien loin. La France a cessé de se singulariser dans le concert des nations pour mieux apporter son génie propre à des décisions collectives.

Sur le Proche-Orient, messieurs les ministres, j’avais souligné, lors de notre débat budgétaire du 5 décembre dernier, les interrogations qu’il convenait d’apporter à notre politique.

Au Liban, notre pays joue un rôle essentiel.

Depuis mai 1978 et l’orientation prise par le président Valéry Giscard d’Estaing, la France a apporté une contribution importante à la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban, la FINUL. Elle a ainsi évité les pires tragédies, sans empêcher, malheureusement, les conflits et la guerre civile.

Depuis la résolution 1701, adoptée par le Conseil de sécurité le 11 août 2006, la FINUL II, pour laquelle la France s’est engagée de manière très forte, a maintenu la paix : la cessation des hostilités est un fait, la ligne bleue est respectée et l’assistance au déplacement de l’armée libanaise au sud du pays constitue un réel progrès. L’élection, le 25 mai dernier, du général Sleimane à la présidence de la République, la formation d’un gouvernement de coalition autour de Fouad Siniora, l’action diplomatique du Président de la République et la vôtre, monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes, ont permis une véritable détente sur le plan intérieur.

Les élections législatives du printemps prochain seront, à cet égard, un test majeur. À la frontière israélo-libanaise, cela a été dit, hormis un incident mineur, aucune violation du cessez-le-feu n’a été constatée pendant la crise de Gaza. Et c’est la présence militaire importante de la France – 1 430 soldats, 430 marins sur deux bâtiments avec le commandement de la composante navale, contribution la plus importante derrière l’Italie – qui donne à sa voix tout son poids vis-à-vis des parties en présence.

Depuis 1860, notre pays s’honore de veiller sur le Liban, de garantir sa sécurité et d’apporter sa pierre à sa stabilité. Mon groupe autorisera le Gouvernement à y maintenir nos forces armées.

Plus près de nous, en Europe, l’approche est bien différente. Depuis juin 1991, l’ex-Yougoslavie vit dans l’incertitude politique la plus grande. La Slovénie est tirée d’affaire : membre de l’Union européenne, de la zone euro, de l’Alliance atlantique et de l’OTAN, gardons en mémoire qu’elle fut le premier pays agressé militairement par ce qui était encore l’armée fédérale yougoslave.

Le Kosovo aspire à la paix : cela est loin d’être acquis dans un pays qui n’est pas reconnu par l’ensemble de la communauté internationale et qui peine à faire cohabiter la majorité albanaise et la petite minorité serbe, sans compter le poids des mafias. Notre engagement s’effectue dans le cadre d’un mandat donné en 1999 par la résolution 1244 du Conseil de sécurité. À long terme – nous l’espérons, monsieur le ministre ; vous connaissez bien ce dossier –, les progrès de la construction européenne devraient permettre la stabilisation de la région.

La Croatie frappe à la porte de l’Union européenne et la Serbie aura le plus grand intérêt à suivre la même démarche. Une solution politique à long terme sera peut-être alors possible et un apaisement en Bosnie-Herzégovine permettra l’indispensable compromis au Kosovo. Avec 1 850 hommes sur un total de 14 600, la France fait son devoir au sein de la KFOR, la force de l’OTAN déployée depuis 1999, aux côtés de l’Italie et de l’Allemagne.

Enfin, en étant très engagé dans la mission civile de police et de justice de l’Union européenne, EULEX Kosovo nous permettra, à terme, d’obtenir une réduction progressive de la présence militaire internationale, ce qui serait le signe effectif du retour à la paix.

Là encore, le groupe de l’Union centriste, autorise le Gouvernement à maintenir le déploiement de nos troupes.

Plus loin de nous en Afrique, messieurs les ministres, la France assure une présence, et il ne s’agit pas de la remettre en cause. Je me permettrai simplement de vous poser quelques questions.

En République centrafricaine, la situation demeure préoccupante ; de nombreux observateurs forment l’espoir de voir le président Bozizé mener à son terme le « Dialogue national inclusif », engagé par son premier ministre Faustin-Archange Touadéra, en vue de préparer au mieux l’élection présidentielle de 2010.

Messieurs les ministres, quelle information complémentaire le Gouvernement peut-il indiquer au Sénat à ce sujet ?

Par ailleurs, l’ancien président Ange-Félix Patassé a indiqué sa volonté d’être candidat à la magistrature suprême en 2010. Or il est toujours menacé de poursuites par la Cour pénale internationale dans le cadre de la procédure ouverte contre Jean-Pierre Bemba, le chef du Mouvement de libération du Congo, pour des exactions commises à Bangui entre octobre 2002 et mars 2003.

Si le procureur général de la Cour pénale internationale délivrait un mandat d’amener à l’encontre du président Ange-Félix Patassé, quelles instructions le Gouvernement donnerait-il aux militaires français ?

En Côte d’Ivoire, où en est vraiment le recensement des électeurs ? Il s’agit d’une étape cruciale avant l’organisation du scrutin présidentiel. La presse ne manque pas de souligner des choses étranges. Dans le district d’Abidjan, on n’a dénombré qu’environ 2 millions d’électeurs au lieu des 3 millions attendus. Sur le dernier registre électoral de 2000, plus de 1, 8 million d’électeurs était alors dénombré. Or depuis le déclenchement de la crise en septembre 2002, il y a eu un afflux de population dans le Sud et de nombreux mineurs ont atteint l’âge de la majorité, qui est de dix-huit ans.

Dans le reste du pays, seules 500 000 personnes ont pour l’instant été recensées. Selon des prévisions officielles, 5 millions d’électeurs auraient dû être enregistrés entre septembre et décembre sur l’ensemble du territoire.

Le compte n’y est pas, et nous sommes encore bien éloignés d’élections législatives « ouvertes à tous, libres, justes et transparentes », pour reprendre les termes du mandat politique et civil de juin 2005 de l’ONUCI.

Au Tchad, notre engagement est ancien et remonte aux temps lointains du général de Gaulle et du premier président de la République du Tchad, François Tombalbaye, en octobre 1968. Depuis, il y a eu l’opération Manta en 1983 et l’opération Épervier destinées à assurer une protection contre la Libye et le maintien de l’intégrité territoriale du pays. Certes, notre pays a pris l’initiative EUFOR pour éviter une extension de la crise humanitaire du Darfour aux pays voisins, et personne ne remet celle-ci en question.

Mais il est temps, messieurs les ministres, de redéfinir clairement nos objectifs et nos priorités au Tchad. Il semblerait que le président Idriss Déby ait été à Paris, il y a deux semaines : il y aurait mené quelques conversations diplomatiques au plus haut niveau. Je vous serais reconnaissant, si ce n’est pas confidentiel, de bien vouloir éclairer à ce propos la représentation nationale.

Avant de conclure, je voudrais profiter de ce débat pour me réjouir de la mise en extinction d’une pratique regrettable, à laquelle a fait allusion M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : celle qui consiste à ne pas budgéter les OPEX.

En effet, jusqu’en 2002, les opérations extérieures n’étaient retracées en loi de finances que sous la forme d’une provision symbolique. Résultat : la différence entre cette provision et le coût des opérations extérieures était comblée en collectif budgétaire par l’ouverture de crédits nouveaux, le plus souvent gagés sur l’annulation de crédits d’investissement. Jusqu’en 2002, nos OPEX se sont effectuées au détriment de l’investissement.

Heureusement, depuis 2002, un effort, chaque année plus important, est accompli pour que la ligne budgétaire « OPEX » corresponde au coût réel de celles-ci.

En 2008, il y a certes eu un nouvel écart important, mais il n’a été dû qu’à un bond purement conjoncturel du surcoût des OPEX lié aux théâtres afghans et tchadiens.

Cette année, l’écart entre OPEX budgétées et OPEX réalisées devrait encore se réduire, puisque ce sont 510 millions d’euros qui ont été budgétés et que la moyenne annuelle du coût des OPEX est de 600 millions d’euros.

Enfin, l’écart devrait être totalement résorbé l’année prochaine, dans la mesure où la loi de programmation prévoit une augmentation de la ligne OPEX pour la porter à 570 millions d’euros en 2010 et à 630 millions d’euros en 2011. Cela représente une réelle avancée en termes de sincérité budgétaire.

Je conclurai, messieurs les ministres, en vous posant une question d’ordre stratégique.

Pour des raisons historiques, l’Afrique est le terrain privilégié des OPEX françaises. Mais les temps changent.

Dernièrement, sous la présidence française et grâce à l’action du président Nicolas Sarkozy, l’Europe a pris conscience qu’elle pouvait redevenir la puissance qu’elle avait été. Elle l’a manifesté à l’occasion de l’affaire géorgienne et en pesant de tout son poids pour imposer un cessez-le-feu au Proche-Orient. Et il ne faut pas oublier l’action qu’elle a menée dans le cadre de la crise financière.

Oui, l’Europe est redevenue une puissance. Or, en tant que telle, n’est-il pas temps qu’elle s’occupe de ses frontières extensibles au sein du continent euro-asiatique ? N’est-il pas temps qu’elle s’occupe des frontières jusqu’à Vladivostok ? Autrement dit, l’OTAN et la Russie doivent-elles continuer d’être les seuls acteurs militaires en Europe de l’Est ?

Ces questions méritent aujourd’hui d’être posées. Nous pourrions réorienter nos OPEX à l’avenir en direction des frontières européennes, si nous nous engagions dans une politique stratégique d’accords de coopération militaire et de défense avec les pays frontaliers de l’Europe, soit dans le cadre multilatéral de la PESD, la politique européenne de sécurité et de défense, soit au niveau bilatéral. Envisagez-vous, messieurs les ministres, une telle option stratégique ?

Dans l’attente de réponses à ses questions, le groupe de l’Union centriste n’en votera pas moins la prolongation de l’intervention des forces armées en Côte d’Ivoire, au Tchad, en Centrafrique, au Liban et au Kosovo.

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