Ce débat était pourtant très attendu à un moment où jamais, depuis longtemps, nous n’avions eu autant de soldats français présents en opérations extérieures : 13 000 hommes engagés sur treize théâtres d’opérations différents.
Pour en prendre la mesure, il faut noter que, sur ce total, 71 % des effectifs déployés le sont dans un cadre multilatéral, avec 4 800 hommes engagés dans des opérations de l’OTAN, 2 100 sous les couleurs de l’ONU, et autant sous celles de l’Union européenne. Le reste, soit 3 500 hommes, est engagé dans des opérations nationales, essentiellement en Côte d’Ivoire et au Tchad.
Suivant les souhaits du Président de la République, vous nous présentez, messieurs les ministres, les grandes orientations d’un plan de révision, de redéploiement et de réduction de certains de nos effectifs à l’étranger.
Outre ce débat général, vous nous demandez, en vertu d’une disposition de la récente révision constitutionnelle, d’autoriser votre gouvernement à prolonger, ou non, nos interventions militaires dans cinq pays : la Côte d’Ivoire, l’ancienne province serbe du Kosovo, le Liban, le Tchad et la République centrafricaine.
Mon groupe n’a pas voté l’ensemble de la révision constitutionnelle, mais il convient de mesurer combien il est important que le Parlement puisse se prononcer sur l’opportunité de prolonger telle ou telle opération militaire extérieure de la France. D’autant que, jusqu’à cette révision constitutionnelle, nous étions l’une des rares grandes démocraties parlementaires dans laquelle le Parlement n’était ni informé ni consulté lorsque nos armées étaient engagées à l’extérieur.
Vous n’avez pourtant fait que la moitié du chemin puisque nous ne pouvons nous prononcer que quatre mois après la mise en place d’une opération, et non pas, comme nous l’avions souhaité, au moment de la prise de décision.
Nous voulions également, mais vous l’avez refusé, que le Parlement soit pleinement informé des accords de défense et de coopération militaire signés avec des pays étrangers. En effet, en dehors des mandats internationaux en vertu desquels nos troupes opèrent à l’étranger, ce sont ces accords qui fondent nos interventions et qui déterminent leurs formes et leurs missions.
Puisque vous nous présentez une adaptation de notre dispositif en Afrique et que le Président de la République s’était engagé au mois de février dernier, dans son discours du Cap, à remettre à plat et à rendre publics ces accords de défense avec les pays africains, je souhaite vivement que la représentation nationale ait enfin la possibilité de les examiner pour se prononcer en toute connaissance de cause.
Enfin, je voudrais ici réaffirmer que l’un des moyens les plus efficaces de gestion des crises reste encore de lutter contre l’armement des belligérants.
Notre pays devrait, dans ce domaine, mener une politique plus offensive en matière d’embargo et de lutte contre les trafics d’armes en tout genre. Certes, la France est particulièrement engagée dans l’adoption du Traité international sur le commerce des armes. Cela contribue incontestablement à limiter l’exportation et la circulation des armes. Toutefois, notre quatrième rang dans ce domaine devrait nous inciter à faire preuve encore davantage d’ambition et d’initiatives, bref, à montrer l’exemple.
Cela étant, pour en revenir à notre sujet principal, nous sommes très sceptiques s’agissant du nouveau dispositif que vous nous présentez.
Il ne procède pas d’une véritable réflexion sur la légitimité de nos interventions militaires extérieures. Les grandes orientations que vous nous exposez découlent, en premier lieu, des analyses géostratégiques du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Face aux nouvelles menaces contre notre pays, le Livre blanc recommandait ainsi de réadapter le format et la mission de notre outil de défense et appelait à être plus sélectifs dans les engagements extérieurs de nos armées, dont les coûts n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Il avait ainsi retenu sept principes directeurs pour ces opérations, dont « une définition de l’engagement dans l’espace et dans le temps, avec une évaluation précise du coût ».
Il me semble donc que la première motivation du dispositif que vous nous proposez consiste avant tout à faire des économies.
La remise à plat de nos engagements sur le continent africain, la révision de nos accords de défense et de coopération militaire, annoncées par le Président de la République dans son discours du Cap, pourraient sembler positives. Mais je crains, au contraire, qu’elles n’ouvrent pas la voie à de nouvelles relations avec les pays africains.
Cette décision, avec la réduction de nos forces prépositionnées qui s’accompagne aussi, malheureusement, d’une diminution de notre aide publique au développement, masque mal un désengagement de la France dans cette partie du monde.
Pour notre part, nous pensons que la baisse de l’aide publique et les promesses non tenues, qui étranglent l’Afrique, augurent mal de la nouvelle politique avec ces pays annoncée par le Président de la République : il y a un décalage flagrant entre ses paroles et ses actes. Elles ne s’inscrivent pas dans le sens du développement, de la coopération, du partage des richesses et, pour tout dire, du nouvel ordre mondial qu’attend l’Afrique.
Au-delà d’une réflexion générale sur les déploiements extérieurs de nos forces, vous nous demandez concrètement de nous prononcer sur le maintien ou non de celles-ci.
Les raisons de ces opérations, les situations sur place et les conditions d’emploi de nos troupes étant sensiblement différentes, je voudrais d’abord préciser les critères en fonction desquels nous nous déterminons.
Notre vision du règlement de conflits par l’envoi de troupes à l’étranger est uniquement fondée sur la recherche de la paix dans un cadre multilatéral. Les interventions de nos troupes à l’étranger ne sont donc à nos yeux légitimes que lorsqu’elles s’effectuent dans le cadre d’un mandat donné par la seule institution internationale qui privilégie le multilatéralisme et la recherche de la paix : l’Organisation des Nations unies.
Nous sommes évidemment conscients des insuffisances et, parfois, de l’inefficacité de cette grande institution. C’est la raison pour laquelle il faut absolument modifier le fonctionnement et la composition du Conseil de sécurité, afin que celui-ci reflète le monde tel qu’il est aujourd’hui.
Nos interventions militaires à l’étranger ne peuvent se justifier et être légitimes que lorsqu’il s’agit de maintenir ou de rétablir la paix, de s’interposer entre des belligérants ou, bien entendu, en cas d’urgence, de protéger nos ressortissants.
En revanche, nous sommes totalement hostiles à la participation à des opérations menées dans le cadre de l’OTAN qui découlent, comme en Afghanistan, d’un alignement pur et simple sur les intérêts de l’administration américaine. C’est la raison pour laquelle nous soutenons principalement les opérations auxquelles participent nos forces lorsqu’elles procèdent d’un mandat s’appuyant sur une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Pour ce qui est de la présence de nos troupes à l’étranger en vertu d’accords de défense ou de coopération militaire dans un cadre bilatéral, nous voulons maintenant que le Parlement puisse examiner rapidement ces accords lors de leur renégociation.
J’évoquais à l’instant le cas de la création de forces d’interposition entre belligérants. Face aux drames causés récemment par le conflit israélo-palestinien, nous pensons que la création d’une force internationale de ce type s’impose de toute urgence.
Mais je voudrais aussi que votre gouvernement, messieurs les ministres, prenne rapidement position en faveur des demandes de commission d’enquête sur les horreurs de cette guerre, qui ont été déposées par plus d’une trentaine d’associations de tous pays auprès de la Cour pénale internationale. De même, nous devrions soutenir les demandes d’enquête de M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, après le bombardement d’écoles et de bâtiments de l’ONU dans la bande de Gaza.
Je ferme cette parenthèse et j’en viens aux cinq opérations que vous nous soumettez et sur lesquelles nous nous déterminerons en fonction des critères que je viens d’évoquer.
En République de Côte d’Ivoire, avec la force Licorne et le soutien aux troupes de l’ONUCI, nous avons 2 000 hommes présents sur place. La mission de la force Licorne, qui repose sur plusieurs résolutions de l’ONU, dont la dernière consiste principalement à assurer la tenue d’une élection présidentielle plusieurs fois reportée, n’est pas achevée.
Dernièrement, M. Choi Young-jin, représentant de l’ONU sur place, a réclamé de nouveau des autorités ivoiriennes la mise en place d’un calendrier électoral, seul à même de sortir le pays d’une crise politique qui dure depuis cinq ans.
À l’évidence, les conditions prévues par la résolution 1721 du Conseil de sécurité ne sont toujours pas remplies. Ni le désarmement et le démantèlement des milices, ni l’identification du corps électoral, ni le redéploiement de l’administration et la préparation technique de l’élection ne sont assurés. Dans ces conditions, il nous semble nécessaire de prolonger la mission de la force Licorne, mais en réduisant les effectifs, comme vous le proposez, puisque la situation s’est en partie stabilisée.
Nous souhaitons toutefois que cette décision soit prise en concertation avec les autorités ivoiriennes, le Premier ministre Guillaume Soro et le Président Laurent Gbagbo, et qu’elle débouche à terme, comme le souhaitent les Ivoiriens, sur un calendrier de retrait de nos troupes.
Concernant le Kosovo, où nous avons 2 000 hommes au sein de la KFOR sous un commandement OTAN, nous sommes contre la prolongation de notre intervention.
En effet, nous considérons que la présence de nos soldats, qui sont souvent engagés en raison de l’inefficacité de la police kosovare et de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo, la MINUK, cautionne la déclaration unilatérale d’indépendance du parti kosovar au pouvoir. Cette déclaration d’indépendance de la province albanophone, qui n’a d’ailleurs pas été reconnue par tous les pays composant la KFOR, bafoue purement et simplement la résolution 1244 du Conseil de sécurité qui définissait les missions de la force de l’OTAN.
Le contexte ayant changé avec le déploiement de l’opération européenne EULEX et d’une nouvelle force de sécurité kosovare, la FSK, qui se met progressivement en place, nous estimons qu’il ne faut pas maintenir notre présence militaire au Kosovo.
Concernant le Liban, avec 1 900 hommes, le maintien de notre participation à la FINUL renforcée paraît nécessaire au regard des derniers évènements du conflit israélo-palestinien.
Les missions de la FINUL qui, là aussi, se fondent sur plusieurs résolutions de l’ONU, sont l’exemple même de missions d’interposition et de rétablissement de la paix. Pourtant, la mise en œuvre des résolutions de l’ONU est inachevée. Elle consiste, d’une part, à surveiller la bonne application du cessez-le-feu entre l’armée libanaise, le Hezbollah et l’armée israélienne et, d’autre part, à appuyer l’armée libanaise pour empêcher le réarmement du Hezbollah.
L’heure n’est donc pas au désengagement alors que la situation n’est pas stabilisée et que la tension reste vive dans la région, comme on a pu le voir après des lancements de missiles en provenance du Liban-Sud lors de la crise de Gaza.
Concernant le Tchad, il faut distinguer l’opération EUFOR Tchad/République centrafricaine, d’une part, et les opérations Épervier et Boali, d’autre part.
L’opération EUFOR, à vocation humanitaire de protection des réfugiés et déplacés du Darfour, doit de toute façon prendre fin à compter du 15 mars prochain et être relayée par la Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad, la MINURCAT. Le problème qui se pose est que cette force ne sera pas opérationnelle avant la fin de 2009. Nous proposons donc qu’une partie des effectifs de l’opération Épervier rejoignent la MINURCAT pour assurer un soutien logistique.
En revanche, nous sommes contre la prolongation de l’opération Épervier. En effet, malgré son objectif affiché d’aide à la stabilité du Tchad et de la sous-région, nous estimons qu’elle apporte avant tout un soutien contestable à un régime issu d’un coup d’État. En cela, elle est un obstacle à un règlement durable de la crise tchadienne, qui ne peut intervenir que dans le cadre d’un processus de paix soutenu par la communauté internationale.
Enfin, concernant la République centrafricaine et l’opération Boali, nous considérons que nous intervenons directement, sans mandat international, pour tenter de régler les affaires intérieures de ce pays. Derrière les objectifs affichés de maintien de la paix, notre rôle est équivoque et nous prenons parti, dans un pays souverain, pour maintenir en place un régime menacé par son opposition. Pour cette raison, nous sommes également contre la prolongation de l’opération Boali.
Au total, messieurs les ministres, nous vous avons donné nos appréciations sur ces cinq opérations extérieures. Toutefois, dans votre présentation, vous n’avez pas précisé l’utilisation ultérieure qui serait faite des réductions d’effectifs.
Ces décisions n’ont à aucun moment été présentées devant les commissions parlementaires.
Cette absence de concertation, alors même que le Gouvernement prétend renforcer les droits du Parlement, nous fait craindre que, malgré les démentis de M. Morin, vous nous annonciez dans quelques mois que vous cédez aux demandes pressantes de l’Otan et des États-Unis de renforcer les troupes en Afghanistan.