Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 28 janvier 2009 à 21h45
Prolongation de cinq interventions des forces armées — Débat et votes sur des demandes d'autorisation du gouvernement

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Permettez-moi au passage de formuler une remarque sémantique sur ce mot « théâtre » d’opérations, que je n’ai utilisé que pour pouvoir la faire. Je sais le poids des habitudes dans l’emploi des mots, et ne vous proposerai pas ici de les changer. Mais je reste persuadée que nous devons être attentifs à cette intrusion de la langue d’état-major dans les enceintes parlementaires et utiliser un terme traduisant mieux, au profit des citoyens que nous représentons, une réalité politique tout autant que géographique ou physique. Le réalisme de nos débats s’en trouverait, je le crois, mieux affirmé.

Monsieur le ministre, pour l’heure, ma religion n’est pas faite. Quelles sont exactement les motivations du Gouvernement ?

S’agit-il, au regard du coût croissant des opérations extérieures et des tensions qui pourraient résulter, demain, de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire 2009-2014, de prendre par avance les décisions qu’imposera un format des armées réduit de près de 50 000 hommes ?

S’agit-il de dégager les marges de manœuvre qui pourraient permettre au Président de la République française de répondre à une éventuelle sollicitation du président des États-Unis, soucieux d’intervenir d’une façon qu’il espère plus décisive en Afghanistan ? Vous nous avez dit que non, mais les choses restent ouvertes et seront rediscutées au fil du temps.

S’agit-il, sur la base d’une analyse fine de la situation locale, et en fonction des forces mobilisées par nos partenaires, de procéder à un ajustement des effectifs et des moyens, opération par opération, voire, si c’est nécessaire, à une redéfinition des mandats ? Si c’est cette dernière hypothèse qu’il faut retenir, quels sont les éléments, les faits, les points de situation objectifs sur lesquels le Président de la République et le Gouvernement se sont fondés pour aboutir à leur décision ?

Qu’est-ce qui permet, par exemple, de considérer qu’au Kosovo la situation se soit suffisamment stabilisée pour permettre de réduire une présence militaire qui était, jusqu’à peu, présentée comme indispensable ? Josselin de Rohan l’a rappelé, la situation reste tendue à Mitrovitsa. Rien ne permet de répondre aux questions qui subsistent sur la viabilité à long terme d’un Kosovo dont l’indépendance reste contestée par de puissants voisins.

Chacun mesure l’intérêt de l’engagement français au Liban, y compris dans sa composante navale, pour faciliter le déploiement, restaurer l’autorité de l’armée libanaise au sud du pays, et éviter la reprise des affrontements entre Israël et le Hezbollah, en l’absence d’un accord durable de cessez-le-feu.

Nous restons en revanche perplexes sur les modalités de cet engagement. À quoi servent, sur le plan militaire, les très coûteux chars Leclerc ? Je veux croire qu’il y a une sorte de rationalité dans leur déploiement dans ce pays, mais laquelle ?

En ce qui concerne le Tchad, je partage le souci exprimé par Michelle Demessine tout à l’heure, lorsqu’elle a souligné à la fois l’absence de mandat international fondant les opérations Épervier et Boali, auxquelles il convient de mettre un terme, et l’intérêt de prévoir un bon dispositif de « tuilage » entre l’EUFOR et la relève qu’opérera l’ONU avec la MINURCAT.

Je partage aussi le souci affiché sur l’ensemble des travées d’un retrait rapide de Côte d’Ivoire dès lors que les élections présidentielles et législatives se seront déroulées de façon acceptable.

Au-delà de ces cas concrets, je veux insister sur les conditions dans lesquelles la France peut être amenée à intervenir en Afrique.

S’agit-il des efforts déployés, dans l’indifférence générale, par des militants longtemps caricaturés – je pense à François-Xavier Verschave, de l’association Survie, décédé récemment et dont je veux saluer la mémoire –, ou encore de l’écho donné à quelques scandales retentissants mettant en cause d’éminents responsables politiques ?

Il semblait que les leçons avaient été tirées de l’impact désastreux, pour l’image de notre pays comme pour les conditions de vie des populations, de la politique africaine de la France. Une véritable rupture avait été opérée par rapport à la politique qui avait si longtemps consisté à soutenir des oligarchies avides et des dictateurs brutaux, à vendre des armes et souvent, via des accords de coopération militaire aux secrets jalousement gardés, les moyens de s’en servir, à défendre des « intérêts français », trop souvent limités à la mise en coupe réglée des ressources naturelles et minières, à l’exportation de déchets dangereux, à la vente d’« éléphants blancs » tels que des véhicules de prestige, des flottes aériennes, des armes sophistiquées, des usines « clés en main », etc., et aussi – ce n’est pas du folklore – à la circulation de valises de billets alimentant les caisses noires des partis politiques.

Je ne veux faire ici aucun procès d’intention, même si, comme beaucoup, je pressens que, si rupture il y eut, elle n’est pas achevée, comme en témoigne le sort réservé à Jean-Marie Bockel, qui prétendait « signer l’acte de décès de la Françafrique ». Mais le serait-elle qu’il faudrait que la France, pour ne pas être suspectée de vouloir garder une ombre portée sur ce qui fut si longtemps son pré carré, se garde d’intervenir militairement, sur la base de sa connaissance ancienne du continent africain, dans des pays où elle serait suspectée d’en revenir à des pratiques du passé.

Nous sommes tout à fait hostiles à des interventions qui ne seraient pas fondées sur un mandat international clair ; je mets de côté les opérations ayant un objet précis, bien limitées dans le temps et destinées, par exemple, à évacuer des ressortissants français dans une zone de conflit.

Cela est encore plus vrai en Afrique, où il paraît décidément impossible que la France intervienne sur des bases ambiguës. Le passé colonial de notre pays et ses intérêts nourrissent, dans l’esprit de populations instruites par l’expérience, une méfiance que certains jugeront excessive. Cette méfiance existe et nous devons évidemment en tenir compte. Il s’agit de la condition préalable à la reconstruction de la confiance.

Telles sont, monsieur le ministre, mes premiers sujets d’interrogation.

Je suis évidemment satisfaite que ce débat au Parlement puisse avoir lieu : il introduit – enfin ! – un peu plus de transparence dans le processus de décision visant à engager des troupes françaises en dehors du territoire national. C’est un tout premier pas, très éloigné de cette participation active à la construction de la décision qui vous révulse et que la Constitution, en effet, ne prévoit pas.

Comme mes collègues du groupe socialiste, auquel je suis apparentée, je ne prendrai pas part au vote que vous nous proposez.

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