Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 8 janvier 2009 à 10h45
Communication audiovisuelle nomination des présidents de sociétés de l'audiovisuel public — Exception d'irrecevabilité

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Je vous épargnerai l’énumération des brillants personnages - dont certains siègent d'ailleurs dans notre assemblée - qui ont signé ce recours.

Le Conseil constitutionnel, dans son considérant 37, qui est essentiel et qui depuis fait autorité, a déclaré : « S’agissant d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou de principes de valeur constitutionnelle ».

Madame la ministre, ce projet de loi rend-il les garanties plus effectives qu’elles ne le sont en l’état actuel ? Vous connaissez, bien entendu, la réponse. On nous a répété à satiété toutes les considérations qui aboutissent, par un grand effort de dialectique, à prouver le contraire. Comme mes collègues, notamment Mmes Tasca et Blandin, ainsi que MM. Assouline et Lagauche, l’ont abondamment souligné hier, les conditions de nomination des membres du CSA sont telles que la consultation de cet organe et l’exigence de son avis conforme ne changeront rien, nous le savons tous très bien, au résultat du processus

En ce qui concerne l’idée, que nous avons combattue lors du débat sur la réforme constitutionnelle, selon laquelle il suffirait que 80 % des membres des commissions parlementaires concernées s’opposent à la nomination pour qu’elle ne puisse pas prendre effet, vous savez bien qu’il s’agit d’une garantie parfaitement illusoire !

Depuis le début de la Ve République, il ne s’est pas trouvé une seule occurrence de composition des commissions concernées des deux assemblées qui aurait conduit à désavouer dans ces proportions le pouvoir exécutif. Cette idée est totalement utopique, inenvisageable et n’apporte aucune garantie.

Nous avions proposé que la nomination à une fonction aussi importante que celle de président de France Télévisions fasse l’objet d’une décision positive prise par les trois cinquièmes des membres des deux commissions concernées. Dans ce cas, il aurait fallu que les groupes de la majorité, les groupes d’opposition et minoritaires trouvent un accord sur une personnalité incontestable. Comme nous avons pu le constater récemment, une telle possibilité est envisageable puisque la commission des lois du Sénat a donné un avis unanime sur la nomination de M. Jean-Marie Delarue comme contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous avons estimé que cette personnalité offrait toutes les garanties nécessaires. Une telle solution est donc possible, mais, reconnaissez-le, vous n’en voulez pas.

Nous ne tournons pas autour du pot. « Le Président de la République devient désormais l’initiateur et le titulaire du pouvoir de nomination », comme le soulignait M. Frédéric Allaire, maître de conférences à la faculté de droit de Nantes dans la revue AJDA.

Pour Mme Monique Dagnaud, qui est experte de ces sujets, le fait « que l’exécutif nomme directement le président de France Télévisions marque un recul par rapport aux libertés publiques ». Quoi qu’on puisse en dire, il est patent aujourd'hui que cette nomination est l’apanage exclusif d’une autorité indépendante. Ce projet de loi organique sera peut-être voté, mais je doute très sérieusement de sa conformité à la Constitution, puisque le président de France Télévisions, dont les responsabilités sont si importantes, sera nommé demain essentiellement, et dans les faits exclusivement, par décret du chef de l’État.

Mes chers collègues, dans ce cas, le Président de la République imposerait, révoquerait, instrumentaliserait. Il procède déjà ainsi puisque le pouvoir exécutif a obtenu de M. de Carolis qu’il mette en œuvre une telle disposition avant qu’elle soit votée, et même discutée, par le Sénat, ce qui a entraîné notre si légitime indignation.

Permettez-moi de vous lire ce qu’un observateur avisé a écrit en décembre dernier dans l’hebdomadaire Le Point : « Au moins les choses seront-elles claires, répètent, avec une intarissable jubilation, les thuriféraires du sarkozysme cathodique.

« Au moins sortira-t-on de l’hypocrisie qui faisait croire à l’indépendance d’une autorité de régulation dont chacun sait qu’elle était à notre botte.

« L’argument est insultant pour ceux qui, de la Haute Autorité de Michèle Cotta au CSA d’Hervé Bourges ou de Dominique Baudis ont été un peu mieux que des pantins et ont tenté de remplir leur mission avec probité.

« Mais il est surtout choquant par l’idée que l’on se fait du fonctionnement d’une société : quand une institution marche mal, faut-il la détruire ou l’amender ? […] Faut-il, sous prétexte que d’aucuns se conduisent comme des larbins, institutionnaliser le larbinat ? Fallait-il, en un mot, que le vice se prévalût de ses propres turpitudes ? »

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