Comment ne pas s’insurger contre cette manière « d’arguer des failles d’un système pour le remplacer par un système ouvertement délinquant, cette façon de se gausser de la faillibilité des hommes pour décréter nul et non avenu l’effort lent, patient, parfois ingrat que l’on fait pour y remédier et qui est l’essence même de la démocratie » ?
Vous l’aurez reconnu, l’auteur de ces lignes est Bernard-Henri Lévy.
J’en viens maintenant à mon troisième argument. Madame la ministre, cela ne vous surprendra pas, j’ai quelques scrupules à l’aborder tant les deux premiers sont confondants par la clarté qui se dégage non pas de mes propos, mais de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la lettre même de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 26 juillet 1989 sur la loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, précise que, « s’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, c’est à la condition que l’exercice de ce pouvoir n’aboutisse pas à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».
Sur ce fondement, il a admis que le législateur dote d’un président commun les deux sociétés nationales de programme de télévision et prévoie que le Conseil supérieur de l’audiovisuel procède à une nouvelle nomination dans le mois suivant la publication de la loi, « considérant que les modifications ainsi apportées à la loi du 30 septembre 1986 n’affectent pas le mode de désignation des présidents des sociétés nationales de programme ; que leur nomination relève toujours d’une autorité administrative indépendante » – ce membre de phrase est très important –, « et la durée de leur mandat reste fixée à trois ans ; que ces modifications n’aboutissent donc pas à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».
Madame la ministre, il est patent que votre projet de loi organique est contraire à ces considérants du Conseil constitutionnel. J’ai d’ailleurs été très frappé par la lecture du rapport de notre collègue de l'Assemblée nationale, M. Christian Kert. Vous le savez bien, vous qui êtes une fine lettrée, il est très important de chercher la dimension subliminale des textes.
À la page 432 du rapport – je me suis donné la peine d’aller jusque-là ! –, il est indiqué que « des garanties équivalentes, ou des garanties suffisantes, peuvent donc permettre d’assurer la constitutionnalité d’une disposition législative, même lorsqu’elle peut sembler s’inscrire, sur certains points, en retrait par rapport à des dispositions législatives antérieures ».
Madame la ministre, la formulation qui a été employée et que je savoure : « même lorsqu’elle peut sembler s’inscrire […] en retrait » est un aveu subliminal. Le rapporteur de l'Assemblée nationale est très ennuyé, comme nous, comme vous, parce que ce mode de désignation est contraire à la Constitution.
À la page suivante de son rapport, M. Kert s’est surpassé et a atteint des sommets en ajoutant : « Il est donc possible de considérer que le dispositif qui est proposé […] est donc conforme aux exigences constitutionnelles. » Madame la ministre, vous rendez-vous compte de la portée de tels écrits ?
Cette formulation trahit l’embarras du rapporteur. Lorsqu’on entend vraiment défendre qu’un texte est conforme à la Constitution, lorsqu’on en est convaincu, on ne dit plus qu’il est « possible de considérer » qu’il est conforme à la Constitution !