Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s’exprimera ici à deux voix : je vous exposerai l’économie générale de ce projet de loi, laissant à André Santini le soin de présenter le texte plus en détail.
Le projet de loi que nous vous présentons aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, est la première étape de la modernisation de la fonction publique à laquelle nous tenons tant. Il procède d’une conviction forte : la qualité de la gestion des ressources humaines est essentielle. Si elle l’est évidemment dans une entreprise, elle l’est encore plus dans les services publics.
Elle est essentielle, d’une part, pour les fonctionnaires eux-mêmes, qui sont en droit d’attendre de l’État une véritable gestion des ressources humaines ; elle l’est, d’autre part, pour les citoyens afin que l’État leur fournisse un service public de qualité au meilleur coût possible.
C’est fort de cette conviction que, lors des conseils de modernisation des politiques publiques du 12 décembre 2007 et du 4 avril 2008, le Gouvernement s’est donné pour ambition de dynamiser les parcours professionnels des fonctionnaires. Rendre les carrières plus attractives, plus diversifiées, permettre à chaque fonctionnaire de découvrir les différents métiers et les différents territoires de l’État, s’assurer que chaque fonctionnaire qui le souhaite puisse changer de métier ou de région, telle est notre unique ambition.
Il faut faire circuler les idées et les compétences, faire circuler aussi les femmes et les hommes qui les portent. C’est à cette condition que nous aurons un État moderne et dynamique ainsi que des fonctionnaires heureux de leur métier et fiers d’être au service du public.
Le Président de la République, notamment dans le discours sur la fonction publique qu’il a prononcé à Nantes voilà quelques mois, a insisté sur ce point : il faut davantage gérer des hommes et des femmes et moins des catégories juridiques. Le fonctionnaire en tant que personne ne doit pas s’effacer derrière le statut. Quant aux procédures, elles ne doivent pas entraver l’expression des talents. Il faut sortir d’une approche par trop mécanique, égalitariste et anonyme, pour remettre de l’humain et de l’individualité dans la gestion de la fonction publique.
Nous ne sommes pas en train de faire de l’idéologie, bien au contraire. Nous souhaitons être pragmatiques et répondre aux demandes concrètes des agents que nous rencontrons au quotidien : construire une carrière dans la fonction publique ne doit plus être un parcours du combattant. C’est ce que nous ont demandé ceux qui se sont exprimés lors du grand débat national sur les valeurs, les missions et les métiers de la fonction publique qu’André Santini et moi-même avons organisé depuis le mois d’octobre et qui vient de s’achever.
Certes, le chemin à parcourir est long : aujourd’hui, on estime à moins de 5 % le nombre de fonctionnaires qui servent hors de leur corps d’appartenance. La mobilité est donc peu développée ; elle n’est pas la règle dans la fonction publique et concerne avant tout l’encadrement supérieur. Elle correspond rarement à une mobilité entre ministères ou entre fonctions publiques. Surtout, elle se heurte à des obstacles structurels, qui résultent du cloisonnement des corps, de la lourdeur des procédures, de la multiplicité des régimes indemnitaires et de pratiques de gestion parfois trop rigides.
Certaines situations sont ubuesques ! Ainsi, pour simplement changer de direction au sein d’un même ministère, tout en restant parfois dans le même bâtiment, il arrive qu’il faille changer de corps, avec toute la paperasse et les tracasseries que cela implique. C’est particulièrement vrai à l’échelon local, tant l’organisation de l’État y est trop souvent « en tuyaux d’orgue ». Je suis sûr que vous l’avez-vous-mêmes constaté dans vos communes et dans vos territoires, mesdames, messieurs les sénateurs.
Dès lors, comment s’étonner que la mobilité soit une préoccupation centrale des fonctionnaires, comme nous l’avons directement observé lors de nos déplacements sur le terrain ?
Selon une enquête de l’institut IPSOS, 86 % des fonctionnaires estiment qu’une fonction publique moderne doit donner à ses agents la possibilité de changer de métier au cours de leur vie professionnelle.
Pour concrétiser cette ambition, plusieurs textes ont été élaborés. Le projet de loi que André Santini et moi-même vous présentons aujourd’hui est le principal d’entre eux. Il est complété par une série de décrets, à caractère indemnitaire notamment.
Je souhaite lever tout de suite une ambiguïté : ce texte n’est qu’une première étape. Nous aurons l’occasion de poursuivre cette modernisation en prenant appui sur le livre blanc que nous a remis Jean-Ludovic Silicani le 17 avril dernier. Nous lui avions demandé de travailler sur les valeurs qui fondent aujourd'hui l’engagement des fonctionnaires et sur les conséquences que cela entraîne aujourd'hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez bien entendu associés très en amont à la progression des travaux et au projet de loi qui devrait en découler au cours des mois à venir.
Le projet de loi que nous vous présentons aujourd’hui est le fruit d’une très grande et intense concertation. Je mesure combien ce terme peut être galvaudé, mais je veux le dire ici avec force : vous ne pourrez pas dire que ce texte a été écrit en catimini, sans concertation, sans discussion, sans dialogue.
Trois débats ont été organisés au Conseil supérieur de la fonction publique les 16 octobre, 18 décembre et 18 mars, avec les organisations syndicales, qui sont nos partenaires quotidiens. Le premier a porté sur les principes, car nous avons tenu à débattre des principes ; le deuxième a été consacré aux mesures concrètes qui nourrissent le projet de loi, le troisième aux décrets qui l’accompagnent et aux modifications du texte initial que nous étions prêts à accepter.
Le Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière et le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale ont également été consultés, les 21 et 26 mars.
Il ne s’agit évidemment pas d’organiser des réunions pour faire des réunions, de se rencontrer pour se rencontrer, même si c’est très agréable. Un vrai travail a été réalisé à l’occasion de ces consultations, travail qui a contribué à enrichir considérablement le texte dans sa première version et qui s’est traduit par d’importantes évolutions.
André Santini et moi-même avons également beaucoup travaillé avec les sénateurs qui le souhaitaient, au premier rang desquels je dois citer M. le rapporteur.
S'agissant de la situation de réorientation professionnelle, qui a suscité des inquiétudes, le texte a été assez substantiellement réécrit pour bien montrer que l’objectif de cette disposition est précisément l’accompagnement des fonctionnaires, avec des engagements précis en termes de formation et de propositions d’emploi. Il n’y a donc aucune crainte à avoir. Au contraire, il s’agit d’outils nécessaires pour une gestion optimale des ressources humaines.
Quant au cumul d’emplois à temps non complet, nous avons répondu aux deux demandes des syndicats pour expliciter que la somme des emplois comportera un emploi à mi-temps au moins et ne pourra pas excéder un temps plein. Sous ces réserves-là, il sera donc possible de cumuler plusieurs emplois.
En outre, personne ne pourra reprocher au Gouvernement un manque de concertation, même si cela ne signifie pas pour autant que nous renonçons à nos objectifs. Nous faisons preuve d’esprit de dialogue, certes, mais également de conviction, et nous avons pris acte de désaccords avec les syndicats sur certaines orientations politiques, tout en restant ouverts sur les modalités de mise en œuvre de ces orientations.
À présent, nous prenons nos responsabilités, en vous proposant un texte ambitieux. Les fonctionnaires que nous avons rencontrés tout au long des derniers mois nous l’ont affirmé : ils ne se satisferont pas de grands discours ou de demi-mesures. Ils veulent des changements concrets, respectueux, ciblés et immédiats.
Voilà pourquoi nous fondons ce projet de loi sur un principe simple : un agent qui fait le choix de diversifier son parcours professionnel – d’ailleurs, cela devrait être le cas de tous les agents de la fonction publique ; je n’imagine pas un jeune fonctionnaire débuter sa carrière sans songer à la diversification et à l’enrichissement de son parcours professionnel – doit être non pas pénalisé, mais valorisé. La mobilité doit être une récompense, et évidemment pas une punition. Tel est l’objet de ce texte.
Trois grands objectifs en découlent. Ils sont d’ailleurs simples.
Premier objectif, nous souhaitons lever tous les obstacles juridiques à la mobilité des fonctionnaires. Les entraves statutaires qui existent trop souvent pour exercer des missions de niveau comparable sont totalement supprimées. Ainsi, le texte simplifie et systématise les possibilités de détachement et d’intégration dans des corps ou cadres d’emplois de niveau comparable. Il ouvre une possibilité d’intégration directe, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il crée un droit à la mobilité pour tous les agents. Il supprime les obstacles statutaires au retour des agents après une mobilité.
Le critère de l’appartenance statutaire ne doit plus prévaloir sur celui de la compétence. Nous aurons d’ailleurs de nouveau l’occasion d’aborder ce point lors de l’examen des prochains textes que nous présenterons au Parlement. Arrêtons de regarder les fonctionnaires comme des parties du statut ! Il faut les considérer comme les détenteurs d’un métier et des compétences qui l’accompagnent.
Deuxième objectif, nous voulons créer les conditions qui permettront d’assurer la modernisation, la continuité et l’adaptabilité du service public. Ainsi, le projet de loi rend possible le remplacement d’un fonctionnaire momentanément absent par un contractuel, comme c’est d’ailleurs le cas dans d’autres fonctions publiques que la fonction publique d’État, et autorise le recours à l’intérim dans les trois fonctions publiques. En outre, il généralise les possibilités de cumul d’emplois à temps non complet et facilite la réorientation professionnelle des fonctionnaires dans le cadre d’une réorganisation d’une administration ou d’un service. Dès lors, un fonctionnaire qui refuserait trois affectations dans un poste de nature similaire se verrait proposer une disponibilité. Bien entendu, cela reste une éventualité, et l’administration garde toute sa liberté de décision.
Troisième objectif, enfin, il faut offrir des outils, notamment financiers, pour encourager la mobilité. Ainsi, le projet de loi rend possible le maintien de la rémunération d’un agent dans les cas de mobilités liées à un changement de service ou à un projet professionnel particulier. Les décrets accompagnant le texte complètent cette mesure en créant des primes encourageant la mobilité et accompagnant la réorganisation des services, ainsi qu’une indemnité de départ volontaire, qualifiée par certains de « pécule ».
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les principes très pragmatiques qui nous ont guidés tout au long de la préparation de ce projet de loi.
J’en suis convaincu, il s’agit d’un texte extrêmement utile, efficace et ambitieux pour la fonction publique, non seulement pour les gestionnaires des ressources humaines, mais aussi et surtout pour les fonctionnaires eux-mêmes, qui pourront ainsi enrichir leur carrière professionnelle passée au service du public.