Intervention de André Santini

Réunion du 29 avril 2008 à 16h00
Mobilité et parcours professionnels dans la fonction publique — Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, Éric Woerth vous a présenté l’esprit du projet de loi, en insistant notamment sur l’importante concertation qui a été menée et sur les objectifs du texte.

Pour ma part, je voudrais insister sur les changements concrets que ce dispositif apportera à la vie des agents et au service public. Aussi, je ne vous présenterai pas un par un chaque article du projet de loi, mais je vous proposerai plutôt quelques exemples.

Aujourd’hui, une secrétaire administrative qui, du fait de son parcours antérieur, aurait des connaissances en matière de dossiers de subventions agricoles ne peut pas exercer cette mission au sein de la direction départementale de l’agriculture, car le statut particulier du corps de « technicien supérieur agricole » ne prévoit pas le détachement en son sein d’une secrétaire administrative. L’article 1er de la loi lèvera cette difficulté. Désormais, ce sont la qualification, la compétence et l’expérience qui primeront sur l’appartenance à un corps.

Aujourd’hui, un attaché de la fonction publique territoriale souhaitant poursuivre sa carrière dans la fonction publique de l’État doit obtenir un détachement, pour une durée souvent de deux ou trois ans renouvelables, donc à titre temporaire. Désormais, grâce à l’article 2 du projet de loi, si son administration l’accepte, cet agent pourra également être directement intégré dans la fonction publique de l’État, sans période transitoire. Sa situation ne sera alors pas remise en cause à échéance régulière, alors même qu’il aura fait le choix d’une carrière durable au sein de la fonction publique de l’État.

Aujourd’hui, un attaché de préfecture que la direction départementale de l’équipement accepte de recruter sur un poste vacant peut voir son départ refusé par la préfecture pour des raisons d’opportunité. Avec l’article 4 de la loi, dès lors que la direction départementale de l’équipement aura donné son accord au recrutement, la préfecture ne pourra retenir l’attaché plus de trois mois, sauf à démontrer en quoi les nécessités de service s’y opposent. La mobilité deviendra ainsi un droit effectif.

Aujourd’hui, un agent d’une direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement, une DRIRE, qui partirait dans la fonction publique territoriale dans le cadre d’une restructuration perdrait de l’argent, car le niveau des primes y est moindre. Avec l’article 6 de la loi, le différentiel de primes sera compensé : la mobilité n’entraînera pas de perte financière pour l’agent.

Voilà quatre exemples de ce que le projet de loi changera pour les fonctionnaires. Nous avons voulu nous placer du point de vue de l’agent, face aux difficultés concrètes qu’il rencontre aujourd’hui dans sa mobilité.

C’est cette même logique qui nous a inspirés s’agissant des trois articles du projet de loi les plus discutés dans la phase de concertation.

Je voudrais d’abord revenir sur la réorientation professionnelle, qui est prévue à l’article 7. Éric Woerth a évoqué tout à l’heure les changements que nous avons apportés au texte dans le cadre de la concertation.

Il faut ici être concret.

La réforme de l’État conduira à des restructurations de services. On peut s’en féliciter ou le déplorer, mais c’est un fait. Dans ce cadre, si l’on s’en tenait strictement au droit actuel, le fonctionnaire dont l’emploi serait supprimé serait livré à lui-même pour rechercher un nouveau poste, établir un bilan de ses compétences et rechercher des formations. L’administration serait simplement tenue de lui proposer un seul poste, sans aucune garantie quant à sa localisation géographique et son articulation avec les aspirations du fonctionnaire. En cas de refus, ce dernier serait réputé démissionnaire de la fonction publique.

Serait-ce là une façon décente pour l’État de traiter ses agents ? Ceux qui contestent notre proposition voudraient-ils réellement que nous la retirions ?

Ce que nous proposons, c’est un dispositif d’accompagnement personnalisé, intervenant aussi en amont que possible, dans le cadre d’engagements réciproques de l’agent et de l’administration. Un projet personnalisé d’évolution professionnelle sera ainsi systématiquement établi, pour prévoir des actions d’orientation, de formation, d’évaluation et de validation des acquis de l’expérience. L’agent aura ici un droit de priorité. L’administration lui garantira un suivi individualisé. Elle sera tenue de faire diligence pour lui proposer un poste correspondant à son grade et à son projet personnalisé.

La réorientation professionnelle cesse lorsque le fonctionnaire accède à un autre emploi, dans un champ que nous souhaitons très ouvert.

Beaucoup a été dit à tort sur les conditions dans lesquelles le fonctionnaire en réorientation professionnelle pourrait être mis en disponibilité d’office. En l’occurrence, contrairement à ce qui a pu être affirmé, l’objectif n’est pas de créer un dispositif de licenciement déguisé. Il s’agit simplement de disposer d’une mesure dissuasive vis-à-vis d’agents qui refuseraient le principe même de la suppression de leur emploi. Cette mesure-là est particulièrement encadrée : il faut que l’agent refuse non pas un, mais trois postes. Ces postes doivent se situer dans la fonction publique et correspondre à son grade, ce qui écarte le débat sur le « déclassement » éventuel de ces offres d’emplois. En outre, ils doivent correspondre à son projet personnalisé d’évolution professionnelle.

Qui donc peut présenter toutes ces mesures de bon sens, qui ne sont en rien inéquitables par rapport aux salariés du secteur privé, comme des atteintes au statut ou aux agents publics, alors même qu’elles ouvrent un nouveau droit pour tous les fonctionnaires, celui d’être véritablement accompagnés lorsque l’administration évolue ?

Oui, ce qui est moderne et sans doute nouveau, c’est que l’administration prenne soin de l’évolution de la carrière de ses agents !

Car l’administration est toujours libre d’évoluer dans son organisation. Sur le plan des principes, il faut en effet récuser cette idée selon laquelle le fonctionnaire serait « propriétaire » de son emploi. Le principe même de la fonction publique de carrière repose sur la distinction du grade et de l’emploi. Le fonctionnaire a cette garantie qui lui est propre d’appartenir à un corps et à un grade. Mais la contrepartie, c’est bien que les emplois dépendent, eux, de l’administration, qui est pleinement libre de les redéployer en fonction des besoins du service public. Il ne faut pas confondre les garanties statutaires, qui sont légitimes, et l’inamovibilité des structures et des emplois de l’administration, qui ne l’est pas.

Le deuxième article le plus discuté est celui qui permet de cumuler des emplois à temps non complet, c'est-à-dire l’article 8.

Prenons un service de l’État qui aurait un besoin permanent correspondant à deux tiers de temps, par exemple un poste de secrétariat. Aujourd’hui, il doit créer un emploi à temps plein et ne peut pas obliger l’agent à se mettre à temps partiel. L’agent est donc à la fois sur-rémunéré pour sa quotité de travail et sous-occupé.

Avec le projet de loi, l’administration pourra créer un emploi de deux tiers de temps et l’agent pourra partager son activité entre cet emploi et un autre pour compléter sa rémunération. Ainsi, une secrétaire pourra assurer à deux tiers de temps le secrétariat d’une commission médicale en préfecture et appuyer, pour le tiers de son temps restant, le secrétariat du directeur départemental de l’agriculture.

Si nous nous plaçons dans l’hypothèse d’une restructuration, c’est un moyen très concret pour un fonctionnaire de rester dans la même ville. Est-ce que le fonctionnaire préférerait un emploi d’un seul tenant, mais qui l’obligerait à déménager ? Il le peut toujours. Cette disposition lui offre donc plus de possibilités ! Là encore, il faut se placer du point de vue de l’agent et être pragmatique.

Le troisième article sur lequel je voudrais revenir, à savoir l’article 10, concerne l’intérim.

Aujourd'hui, l’intérim est interdit dans l’administration depuis un arrêt du Conseil d’État du 18 janvier 1980.

Concrètement, comment procéder lorsqu’un agent part en congé maladie pour trois semaines, alors que sa présence à cette période de l’année est indispensable pour faire face à un pic d’activité ? Le recrutement d’un vacataire prend nécessairement du temps. L’intérim offre ici une solution.

Il faut se garder d’une assimilation de l’intérim à de la précarité. Là encore, plaçons-nous du point de vue de la personne. Est-il préférable pour elle d’enchaîner des contrats de vacation de quinze jours ou d’être salariée d’une société d’intérim reconnue, qui fournit un statut défini par le code du travail et lui procure des missions ? L’intérim, ce n’est pas plus de précarité dans l’administration ; c’est moins de précarité pour les personnes concernées !

Il faut dédramatiser l’intérim, qui n’a rien de honteux. Nous voulons simplement offrir aux administrations un outil supplémentaire, qui répond à un réel besoin. Nous voulons faire de l’intérim non pas la règle, bien évidemment, mais simplement une faculté offerte à l’administration lorsqu’elle n’a pas d’autre solution. En effet, qui d’entre nous aurait l’audace de soutenir que les hôpitaux publics, dont nous avons plusieurs fois rencontré les personnels et dont chacun connaît le fonctionnement en flux tendus, n’ont et n’auront jamais besoin de l’intérim ?

L’enjeu est ici la continuité du service public et sa réactivité. Il s’agit de répondre à l’usager qui ne comprend pas que le traitement de sa demande soit retardé de plusieurs semaines, au seul motif qu’aucun outil ne permet de remplacer le fonctionnaire qui aurait dû s’en charger. Il s’agit pareillement d’aider le fonctionnaire en place pour qu’il n’ait pas à souffrir d’une surcharge subite de travail parce que son collègue indisponible ne peut pas être remplacé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi pour conclure de citer le Président de la République, qui, alors candidat, s’exprimait ainsi le 7 juillet 2005 : « l’attachement au service public ne se mesure pas au nombre des cris que l’on pousse à son sujet. Il se mesure à la hauteur de l’ambition que l’on a pour lui, de la volonté que l’on met pour le faire changer, des moyens qu’on lui donne pour y parvenir, de la confiance qu’on lui fait pour réussir ». Nous avons une chance : pour une fois - peut-être la première depuis le général de Gaulle -, un Président de la République en exercice s’intéresse aux questions de fonction publique ! Profitons-en pour conduire une modernisation d’ampleur.

Le projet de loi s’inscrit pleinement dans cette ambition. Ne nous trompons pas de débat : vouloir ne rien changer aux règles de fonctionnement de la fonction publique, c’est tuer lentement mais sûrement le service public. Nous ne sommes pas partisans du statu quo parce que nous croyons à l’avenir de la fonction publique et du service public.

Voilà l’esprit qui anime le projet de loi que nous vous présentons aujourd’hui.

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