Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 29 avril 2008 à 16h00
Mobilité et parcours professionnels dans la fonction publique — Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence, amendements 6 4

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la fonction publique a, au cours de la précédente législature, connu d’importantes réformes qui, sans refondre le statut général, l’ont sensiblement modifié et auxquelles le Sénat a apporté une contribution essentielle.

Ces réformes s’inscrivent dans une démarche générale de modernisation de l’État, liée à la redéfinition de ses missions dans un contexte global de mondialisation de l’économie, de décentralisation de l’initiative publique, de redéploiement des missions de service public sur les fonctions essentielles : les rapports entre public et privé, entre centre et périphérie, entre national et supranational changent en permanence et obligent l’État à s’adapter en introduisant dans son fonctionnement de nouveaux concepts - en matière de droit du travail, de management, de gestion - qui remettent en cause certains de ses principes fondateurs.

Dans ce contexte, la mobilité des individus et des organes qui composent les collectivités publiques est un phénomène croissant. La recomposition permanente des structures administratives, plus subie que prévue, nécessite une plus grande souplesse pour les gérer que le droit rigide hérité du siècle dernier. La volonté des fonctionnaires de pouvoir évoluer dans leur carrière va dans le même sens.

Cette mobilité inévitable peut être envisagée de plusieurs façons suivant que l’on met l’accent sur les principes fondateurs du droit français de la fonction publique ou sur l’ouverture sans complexe à son temps et aux exemples des pays voisins. Mais elle ne doit pas être envisagée verticalement, en partant du sommet suivant une définition unilatérale de l’intérêt général. Elle implique, pour être acceptée par les personnes qui font vivre au quotidien ces administrations, de respecter leurs droits au moment de leur imposer de nouveaux devoirs.

Tel est le sens du débat dans lequel s’inscrit le projet de loi que le Parlement est conduit à examiner.

Quelle a été la démarche du Gouvernement ?

Quelques mois après son élection, lors d’un déplacement à l’Institut régional d’administration de Nantes, au mois de septembre 2007, le Président de la République a souligné la nécessité d’une refondation de la fonction publique et marqué sa volonté de conclure un nouveau pacte avec les fonctionnaires et les citoyens, appelé « Service public 2012 ».

Aussi, en qualifiant pour sa part la rénovation de la fonction publique d’« urgence nationale », le Premier ministre a lancé, le 1er octobre dernier, un débat national sur la fonction publique, qui vient de s’achever avec la publication d’un livre blanc sur l’avenir de la fonction publique dont l’élaboration avait été confiée au conseiller d’État M. Jean-Ludovic Silicani.

Dans le même temps, le Gouvernement a engagé une réflexion sur les missions et le format des administrations dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.

Les premiers travaux issus de cette réflexion ont permis au Conseil de modernisation des politiques publiques d’arrêter, le 12 décembre 2007, puis le 4 avril 2008, de nombreuses réformes.

Ces réformes en cours doivent permettre d’atteindre l’objectif de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite entre 2009 et 2011 tout en améliorant la qualité du service public. Elles permettront également d’économiser près de 7 milliards d’euros à l’horizon 2011.

Pour les accompagner, et dans la mesure où la conférence sur les parcours professionnels s’est tenue à l’automne 2007, le Gouvernement a pris l’initiative de soumettre au Sénat, sans attendre la publication du livre blanc, un projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, sur lequel l’urgence a été déclarée.

Ce projet de loi constitue, selon vos propres mots, monsieur le ministre, une « boîte à outils visant à développer la mobilité des fonctionnaires et à leur offrir la liberté de mener leur carrière en exprimant mieux leurs talents, en levant les blocages multiples qui entravent les carrières ».

Toutefois, ce texte comprend deux dimensions bien distinctes : d’une part, une série de dispositions destinées à faciliter la mobilité choisie des fonctionnaires ; d’autre part, des mesures destinées à accompagner la restructuration engagée des administrations publiques, et surtout celles de l’État, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, sous la forme de dispositions proposées ou imposées aux agents de ces administrations.

Le développement de la mobilité constitue une attente forte des agents et des employeurs publics. Toutefois, les parcours professionnels au sein des trois fonctions publiques demeurent peu diversifiés. Les nombreuses mesures adoptées récemment pour faciliter les échanges tant entre les administrations publiques qu’entre le secteur public et le secteur privé n’ont pas encore pu produire tous leurs effets, alors que les restructurations lancées rendent cette mobilité inévitable.

La réforme de l’État entreprise dans le cadre de la révision générale des politiques publiques implique la suppression d’un grand nombre d’emplois, par la fusion des grandes directions administratives déjà annoncée, et contraint les fonctionnaires concernés à la mobilité. Ce sera le cas, par exemple, lors de la fusion de la direction générale des impôts et de la direction générale de la comptabilité publique, de la réforme de la carte judiciaire, qui prévoit la suppression de plusieurs centaines de tribunaux, et de celle des armées, à travers la réorganisation de leurs fonctions de soutien.

Si, face à ces mutations, le statut général de la fonction publique offre de multiples possibilités pour faciliter la mobilité des agents et leur permettre des parcours professionnels diversifiés, les obstacles demeurent toutefois nombreux et les résultats décevants.

Diverses positions statutaires permettent aux fonctionnaires civils de l’État, aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers de ne pas exercer leur activité dans leur administration d’origine : la mise à disposition, la position hors cadre, la disponibilité et, plus récemment, le congé parental et le congé de présence parentale.

Mais ces possibilités statutaires sont limitées par une série d’obstacles soulignés par la conférence sur les parcours professionnels. Les principaux obstacles sont d’ordre juridique, statutaire et indemnitaire : la multiplicité des corps et des statuts au sein de la fonction publique de l’État ; la fermeture de certains corps au détachement ou à l’intégration ; la disparité des régimes indemnitaires ; le cloisonnement entre les fonctions publiques ; l’inertie ou le refus opposés par certaines administrations aux demandes de mobilité de leurs agents ; l’absence de prise en compte par l’administration d’origine et par l’administration d’accueil d’un fonctionnaire en détachement des avancements de grade ou d’échelon obtenus dans l’autre administration ; les difficultés rencontrées au moment de la réintégration dans le corps ou le cadre d’emploi d’origine.

À ces obstacles juridiques et statutaires s’ajoutent ceux qui sont liés aux pratiques managériales des gestionnaires des ressources humaines, sans parler des difficultés matérielles, sociales et familiales qui sont liées à la mobilité.

Il en résulte, selon le dernier rapport annuel sur l’état de la fonction publique, que 4, 9 % seulement des agents civils de l’État n’exerçaient pas leur activité dans leur administration d’origine au 31 décembre 2004.

Récemment, des mesures ont été adoptées pour faciliter les échanges aussi bien entre les administrations qu’entre les secteurs public et privé.

La loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique a ainsi modifié le régime des contrats à durée déterminée en les transformant en contrats à durée indéterminée au bout de six ans.

Plus récemment, la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique a favorisé les échanges entre les administrations, modernisé les règles de déontologie, simplifié le régime des cumuls d’activités. Je citerai également la loi du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale.

Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui s’inscrit dans cette démarche. Il vise à placer la gestion des ressources humaines au cœur de la réforme de la fonction publique, gestion qui devrait profiter aussi bien aux fonctionnaires qu’à l’administration elle-même, et donc à la qualité du service rendu aux administrés : les agents se voient reconnaître de nouvelles garanties favorisant la mobilité ; l’administration acquiert de nouveaux outils pour gérer les effectifs et elle s’ouvre sur l’extérieur en diversifiant les recrutements.

Le chapitre Ier du projet de loi, consacré au développement des mobilités, assouplit et développe les possibilités, pour un fonctionnaire, de changer d’emploi au cours de sa carrière, et donc de renforcer sa qualification professionnelle en même temps que d’exercer les tâches qui l’intéressent.

C’est le cas notamment, à l’article 1er, de la levée des restrictions aux détachements et de l’obligation pour le corps ou le cadre d’emplois d’accueil de proposer l’intégration en son sein aux bénéficiaires d’un détachement se poursuivant au-delà d’une période de cinq ans ; à l’article 2, de la faculté pour le fonctionnaire d’être intégré directement dans un corps ou un cadre d’emplois de même catégorie et de niveau comparable à son corps d’origine, avec l’accord de celui-ci ; à l’article 3, de l’accès des fonctionnaires aux corps militaires ; à l’article 4, de l’affirmation d’un droit au départ des fonctionnaires vers une administration publique ou vers le secteur privé, sous réserve de l’accord de l’administration d’accueil, des nécessités du service, d’un délai de préavis pouvant atteindre jusqu’à six mois et, le cas échéant, d’une durée minimale de services effectifs. L’article 5 concerne la prise en compte des avancements d’échelon ou de grade dont le fonctionnaire a bénéficié dans l’autre corps ou cadre d’emplois. Enfin, l’article 6 prévoit la garantie, pour le fonctionnaire de l’État qui poursuit sa carrière dans une autre administration, de conserver sa rémunération.

Ces différentes dispositions ont été bien accueillies par de nombreuses organisations syndicales.

Le chapitre II du projet de loi crée de nouveaux outils pour la gestion des effectifs destinés à accompagner les restructurations.

Dans le contexte du vaste chantier entrepris par le Gouvernement pour restructurer l’administration, celle-ci se voit dotée par le projet de loi d’instruments supplémentaires qui lui permettraient d’accompagner le volet humain de cette réforme. C’est le cas des dispositions relatives au plan de réorientation professionnelle des personnels en cas de restructuration d’une administration de l’État ou de l’un de ses établissements publics administratifs – article 7.

Durant toute cette démarche, le fonctionnaire doit bénéficier, de la part de l’administration, d’un suivi individualisé et régulier, ainsi que d’un appui. En revanche, il perdrait le bénéfice de ce dispositif s’il refusait successivement trois emplois publics correspondant à son grade et à son emploi.

Le projet de loi ouvre par ailleurs des possibilités de cumul d’emplois permanents à temps non complet entre les trois fonctions publiques et sur l’ensemble du territoire - article 8.

Jusqu’à présent, cette possibilité n’était reconnue aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers qu’au sein de leur propre fonction publique - ils peuvent d’ailleurs être recrutés sur un seul emploi public permanent à temps non complet. En revanche, cette possibilité n’était pas prévue pour les fonctionnaires de l’État, qui devaient être recrutés sur des emplois permanents à temps complet, jusqu’à ce que la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique autorise une expérimentation pour assurer le maintien des services publics en milieu rural.

Le projet de loi prévoit de généraliser et de pérenniser les possibilités de cumul d’emplois permanents à temps non complet, en subordonnant leur mise en œuvre à l’accord des fonctionnaires concernés et en garantissant spécifiquement aux agents de l’État un emploi principal équivalent à un mi-temps et une durée totale de service correspondant au plus à un temps complet.

L’article 9 permet aux administrations de l’État, comme c’est déjà le cas pour les autres fonctions publiques, de faire appel à des agents non titulaires pour remplacer des fonctionnaires momentanément absents ou pour pourvoir aux vacances d’emploi, dans la limite d’une durée d’un an.

Aux termes de l’article 10, l’État, les collectivités territoriales et les établissements hospitaliers pourraient, dans certains cas, s’adresser à des entreprises de travail temporaire. Les dispositions du code du travail régissant le travail temporaire s’appliqueraient alors, sous réserve des adaptations nécessitées par la spécificité des emplois publics : soumission des salariés aux obligations des fonctionnaires et garantie de la protection normalement due par les collectivités publiques à leurs agents. Dès lors, le juge administratif deviendrait compétent pour régler les litiges.

L’article 11, pour sa part, prévoit la simplification des transferts d’activités entre personnes morales de droit public.

Dans une troisième série de dispositions, le projet de loi prévoit l’assouplissement de l’accès à la fonction publique en faveur tout aussi bien des militaires que des ressortissants de l’Union européenne et en supprimant les limites d’âge.

Enfin, les trois derniers articles du projet de loi ont respectivement pour objet de permettre la dématérialisation des dossiers individuels des agents publics, de clarifier les conditions du placement d’un fonctionnaire de l’État en position hors cadre auprès d’un organisme international et d’autoriser des procédures simplifiées pour l’adoption de statuts particuliers et de nominations.

Au regard de l’ensemble de ce dispositif, quelle est la position de la commission des lois ?

Le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique constitue un texte de transition. Son principal objet est d’accompagner dans le cadre statutaire actuel la restructuration en cours des administrations publiques.

Le Gouvernement a d’ores et déjà annoncé, pour l’année prochaine, une réforme d’envergure qui devrait conduire à revoir complètement le statut général de la fonction publique. Lorsque cette mise à plat verra le jour, certaines des dispositions qui nous sont aujourd’hui proposées pourraient perdre de leur utilité. A contrario, une refonte globale du droit public du travail serait l’occasion d’un débat plus approfondi que dans le cadre d’une procédure d’urgence.

En conséquence, la commission soumettra au Sénat des amendements ayant pour objet de préserver les grands principes de la fonction publique et d’assurer la cohérence de la loi dans le temps.

Elle approuve bien évidemment les nouveaux droits reconnus aux fonctionnaires. Il lui semble toutefois possible de les renforcer en précisant les règles applicables au droit au départ des fonctionnaires dans une autre administration ou dans le secteur privé.

L’amendement n° 6 présenté à l’article 4 vise à rappeler l’existence de cas, actuellement prévus par décret en Conseil d’État, où le détachement et la mise en disponibilité sont de droit, à tirer la conséquence du droit reconnu par le projet de loi aux fonctionnaires d’être intégrés directement dans d’autres corps ou cadres d’emplois que le leur, à prévoir explicitement qu’un départ dans le secteur privé est subordonné à un avis de compatibilité de la commission de déontologie, en précisant que le silence gardé par l’administration pendant deux mois à compter de la réception de la demande du fonctionnaire vaut acceptation de cette demande.

Par ailleurs, la commission suggère que les trois emplois publics proposés à un fonctionnaire de l’État placé en situation de réorientation professionnelle avant une éventuelle mise en disponibilité d’office doivent non seulement correspondre au grade et au projet personnalisé d’évolution professionnelle du fonctionnaire, mais également tenir compte de sa situation familiale.

La commission propose également d’aligner les règles relatives au placement en position hors cadre des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers sur celles qui sont applicables aux fonctionnaires de l’État.

En ce qui concerne le recours à l’intérim, la commission comprend le souci du Gouvernement de pouvoir disposer de la souplesse nécessaire au remplacement rapide de fonctionnaires momentanément absents afin de préserver la qualité du service offert aux usagers et la bonne marche des services. Cependant, elle s’est interrogée sur la validité de la transposition d’une institution du droit du travail qui organise la précarité des salariés alors que la fonction publique compte déjà de nombreux contractuels placés dans une situation fragile.

La commission a relevé que le statut offre déjà de nombreux moyens de faire face aux absences temporaires d’agents, y compris par le recrutement de non-titulaires. Le recours aux contractuels est autorisé pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière, notamment dans de nombreux cas que le projet de loi ouvre, dans leur totalité cette fois-ci, à l’État. La commission approuve cette généralisation à l’ensemble de la fonction publique.

C’est pourquoi, après avoir dans un premier temps donné un avis négatif sur cette disposition, la commission propose de la maintenir en encadrant le recours à l’intérim dans des limites de temps et de circonstances précises.

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