Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le soulignait en 1996 l’ancien vice-président du Conseil d’État, M. Renaud Denoix de Saint-Marc, dans son rapport sur le service public, les Français sont profondément attachés à l’idée de service public et lui accordent une place centrale dans leurs représentations collectives.
Ce tropisme, si profondément ancré dans notre conception du rôle de l’État, associe étroitement, quitte à les confondre, service public et secteur public. On sait néanmoins la contribution que la conception française du service public a pu apporter au développement d’une société plus juste.
Mais, de la même façon que l’émergence des services publics a coïncidé avec la croissance de l’interventionnisme étatique, l’évolution de la conception du rôle de l’État depuis les années quatre-vingt, sous l’influence de l’Europe, a eu pour effet de recentrer les missions de la puissance publique. Cette transformation a bien entendu eu pour conséquence la remise en cause du rôle traditionnel de l’État et, à travers lui, de ses agents.
Notre pays se distingue au sein de l’OCDE par l’importance de la fonction publique dans la population active. Selon l’INSEE, celle-ci employait en 2005 près de 5, 305 millions de personnes, soit 19, 2 % des 27 millions d’actifs que compte notre pays. En incluant tous les services non marchands à caractère public financés par des prélèvements obligatoires, cette proportion atteint même 21, 6 %.
Le rappel de quelques chiffres illustre le poids financier que représentent nos agents publics.
La loi de finances pour 2008 a ainsi acté le plafond de postes à près de 2, 22 millions d’équivalents temps plein. La masse salariale de l’ensemble des administrations publiques, collectivités locales comprises, pesait 13, 1 % du produit intérieur brut en 2006, soit 234, 7 milliards d’euros. Le poids global de l’emploi public a progressé de 1995 à 2005 au rythme de 3, 6 % par an, soit le double de l’inflation moyenne.
De surcroît, l’État employeur doit supporter ses propres engagements de retraite : la totalité de ces derniers est passée de 9 % des dépenses primaires en 1991 à 14 % en 2006. En ajoutant les effets prévisibles du glissement vieillesse technicité, sachant que 85 % de l’augmentation des dépenses primaires de ces dix dernières années proviennent des dépenses de personnel, tout le monde conviendra avec moi que la gestion financière de notre fonction publique est devenue un pilotage des plus complexes.
Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause le travail remarquable de ces millions d’hommes et de femmes qui ont choisi de mettre leur carrière au service de l’intérêt général. Monsieur le ministre, votre gouvernement a fait le choix délicat, mais nécessaire, de mettre la réforme de notre fonction publique au service de la réforme de l’État. J’en veux pour preuve ce projet de loi, premier jalon des conclusions du débat national sur la fonction publique piloté par le Premier ministre.
Cette question n’est toutefois pas nouvelle. La circulaire Rocard du 23 février 1989 et la circulaire Juppé du 26 juillet 1995 ont amorcé la nécessaire évolution de la conception même des missions des fonctionnaires. Mieux prendre en compte les attentes et besoins des citoyens, améliorer et simplifier les relations avec le public ou définir des objectifs quantitatifs et qualitatifs sont autant de facteurs qui contribuent à rendre l’État plus efficace.
La réforme de l’État ne peut cependant aller de pair qu’avec une révision de la politique de gestion de la fonction publique. D’aucuns parlent même de politique managériale.
Nos agents pâtissent d’une image ambivalente dans l’opinion : tantôt vus comme le fer de lance de services publics égalitaires et protecteurs, tantôt décriés comme une catégorie d’actifs surprotégés, corporatistes et peu efficients. Ces clichés décrivent mal la réalité d’aujourd’hui. Nos fonctionnaires méritent mieux. Mais nos compatriotes attendent aussi, à juste titre, que ces mêmes fonctionnaires jouent le jeu de la réforme. C’est là toute la gageure de votre fonction, monsieur le ministre. L’un de vos prédécesseurs y avait perdu son poste en 1999, je veux parler de Christian Sautter.
À l’heure de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, où responsabilisation et souplesse sont entrées dans le quotidien des administrations, il est normal que nous passions en revue la gestion des carrières. Passer d’une culture de moyens à une culture de résultats implique une transformation profonde de notre conception même de la fonction publique.
Comme le relève avec justesse notre rapporteur, M. Hugues Portelli, les statuts tels qu’ils existent actuellement semblent inadaptés à l’évolution des missions de l’administration. Leur rigidité et leur complexité engendrent parfois une rivalité de corps qui se fait au détriment de l’intérêt général. Cet héritage du siècle dernier est un obstacle à la mobilité des agents, dont ces derniers sont pourtant demandeurs. Si 86 % des fonctionnaires estiment qu’il devrait être possible de changer de métier tout en restant dans la fonction publique, seuls 4, 9 % des agents civils de l’État occupent effectivement un poste hors de leur administration d’origine, dont 60 % de catégorie A.
Les obstacles sont nombreux : obstacles juridiques, résultant de la rigidité des règles statutaires et indemnitaires ; obstacles liés aux différences de culture de gestion des ressources humaines d’un corps à l’autre ; obstacles culturels, dans un pays où la mobilité géographique professionnelle reste peu pratiquée.
La revue générale des politiques publiques voulue par le Président de la République implique, certes, une réduction des emplois publics, à travers la réorganisation de directions centrales ou le redéploiement territorial de certains services publics, mais elle permettra aussi d’accroître la mobilité des fonctionnaires afin de mettre au mieux en adéquation les besoins avec les moyens. Il n’est ainsi pas acceptable que la mobilité d’un agent soit soumise à la seule appréciation arbitraire d’un chef de service, pour qui la notion « d’intérêt du service » sert de pare-feu à des considérations moins objectives.
Je me réjouis donc que ce projet de loi s’attaque à ces rigidités afin de favoriser le décloisonnement des administrations et d’améliorer le droit applicable aux carrières des agents. Comme vous l’avez annoncé, monsieur le ministre, le projet de loi se donne les moyens de « placer la gestion des ressources humaines au cœur de la réforme de la fonction publique ».
L’élu d’outre-mer que je suis ne saurait cependant passer sous silence le cas des fonctionnaires ultramarins. Bien souvent, trop souvent même, ces derniers n’ont d’autre choix que de venir en France hexagonale au début de leur carrière.
Convenons-en, il est déstabilisant pour eux de quitter leur terre natale et leur famille, sur un plan tant matériel qu’humain. Hélas ! il leur faut attendre de longues années avant de pouvoir prétendre à un poste outre-mer, ce qui accentue leur déchirement. Or, vous le savez, la fonction publique ultramarine constitue aujourd’hui un facteur de stabilisation des économies locales en injectant de la consommation là où le chômage sévit à des niveaux bien plus élevés qu’ici.
Les fonctionnaires « locaux » apportent ainsi, bien souvent, une aide matérielle importante à leur famille. Quelles sont, monsieur le ministre, vos intentions sur cette question ?
Par ailleurs, l’adaptabilité de l’administration aux besoins de nos compatriotes implique également une capacité accrue à faire face aux effets de la pyramide démographique tout en prenant en compte les contraintes financières.
L’un des enjeux d’une meilleure gestion des ressources humaines de l’État consiste donc à rechercher les moyens de nouveaux arbitrages entre recrutements et temps de travail supplémentaire rémunéré.
À cet égard, l’article 9 autorise à juste titre l’État à faire appel à des agents non titulaires pour remplacer des fonctionnaires momentanément absents ou pour pourvoir aux vacances d’emploi dans la limite d’une durée d’un an.
De la même façon, l’introduction par l’article 10 d’une possibilité, encadrée, de recourir à l’intérim pour pourvoir rapidement des emplois temporairement inoccupés ou faire face à un besoin ponctuel constitue une avancée intéressante vers plus de souplesse.
Je regrette toutefois que la commission des lois du Sénat n’ait pas été convaincue de la pertinence de l’argument et souhaite la suppression de cet article.
Pour ma part, je soutiendrai l’amendement de notre collègue François-Noël Buffet, qui tend à encadrer la durée et le renouvellement du contrat d’intérim.
Notre fonction publique remplit des tâches difficiles, mais indispensables à nos compatriotes. Sa structure et son organisation n’ont pas encore pris le tournant du siècle.
Aux nouvelles missions et contraintes de l’État doivent correspondre de nouveaux modes de fonctionnement des administrations.
C’est le sens de ce projet de loi auquel, monsieur le ministre, la majorité du groupe RDSE apportera son soutien.