Intervention de Jean-Claude Peyronnet

Réunion du 29 avril 2008 à 16h00
Mobilité et parcours professionnels dans la fonction publique — Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jean-Claude PeyronnetJean-Claude Peyronnet :

La réduction des effectifs - 66 000, je vous l’ai dit - s’est traduite dans un premier temps par une dégradation des conditions de travail des fonctionnaires, par une perte d’expertise, puisque ce sont les agents les plus qualifiés qui ont logiquement quitté le service public pour le secteur privé, et par une baisse de l’attractivité de la fonction publique, qui a rendu difficiles les recrutements.

Plutôt que de réciter le bréviaire qui vante le modèle canadien, vous feriez mieux de tirer les leçons de ces faits, car, quelques années plus tard, après avoir supprimé 66 000 fonctionnaires, il a fallu en recruter de nouveau 50 000 dans les services de santé et les services sociaux des provinces et des territoires !

Comment pouvez-vous penser - les mêmes causes produisant les mêmes effets – qu’il en ira différemment en France ? Peut-on décemment croire que cette réduction des effectifs n’aura aucune conséquence sur la qualité de nos services publics ? En tout cas, nous ne le pensons pas.

On nous dit que le présent texte permettra « d’offrir de réelles opportunités de carrière aux fonctionnaires ». Qu’en est-il ?

Ces derniers sont tout à fait favorables à une plus grande mobilité. Ils en comprennent les évolutions nécessaires, mais insistent pour qu’elles ne soient pas mises en place à n’importe quel prix.

Cette mobilité doit concerner l’ensemble des fonctionnaires. Or le texte présente un réel déséquilibre parce que le droit à la mobilité est mis en œuvre surtout pour les fonctionnaires de l’État. Le fonctionnaire m’apparaît ainsi comme une simple variable d’ajustement budgétaire.

Mais on comprend pourquoi ce texte ne concerne que les fonctionnaires de l’État : il permet à l’État de se délester de ses agents dans le cadre de la restructuration, alors que le Gouvernement ne peut pas agir sur la fonction publique territoriale dans ce domaine. L’État est donc seul concerné ou presque. Je parle de la deuxième partie du texte concernant les restructurations, la première étant beaucoup plus acceptable, je vous l’ai dit tout à l’heure.

Heureusement que, pour l’instant, et j’espère que cela durera, les collectivités territoriales ne sont pas obligées d’embaucher les fonctionnaires dont vous délestez le service public de l’État ; elles prendraient sinon des risques réels puisqu’elles devraient conserver au fonctionnaire d’État muté ses avantages de carrière ; ce sont des éléments que nous reprendrons dans la discussion des articles.

Il nous semble finalement, à la lecture des articles de ce projet de loi, qu’il s’agit, pour reprendre l’expression de l’un des concepteurs de ce texte – dont je ne connais pas l’identité, mais vous trouverez la citation dans Le Monde du 9 avril dernier – d’une « bombe » conçue pour « faire sauter tous les verrous » ! Je précise que je n’ai pas inventé le terme de « concepteur », qui figure également dans Le Monde.

De quels verrous parle-t-on ?

Bien évidemment, il ne peut s’agir que des principes fondamentaux qui régissent le statut général de la fonction publique.

Sur les quinze articles que comporte ce projet de loi, cinq concentrent plus spécialement l’opposition du groupe socialiste : les articles 6, 7, 8, 9 et 10.

En effet, ils enfoncent clairement un coin dans le statut des fonctionnaires.

Certes, ce statut n’est pas un tabou. Mais enfin, la stabilité de l’emploi est-elle forcément synonyme d’inefficacité ? La sérénité qui l’accompagne n’est-elle pas au contraire le gage d’un travail de qualité ?

On est confondu devant de telles positions purement idéologiques, car l’objectif de réduction des dépenses de l’État par réduction des effectifs s’accompagne, malgré vos dénégations initiales, d’une mise en place d’une idéologie de la précarité dont vous espérez peut-être qu’elle sera garante de paix sociale, mais qui peut tout aussi bien devenir une bombe à retardement.

Le projet de loi introduit ni plus ni moins que le licenciement des personnels, le généralise ou, en tout cas, le permet dans le cadre des restructurations, en prévoyant qu’un agent de l’État dont l’emploi est supprimé pourra être mis en disponibilité d’office ou admis à la retraite s’il refuse successivement trois emplois. Cet aspect a déjà été évoqué.

Le texte prévoit également d’élargir le périmètre du cumul d’emplois à tous les emplois permanents à temps non complet des trois fonctions publiques, principe introduit par la loi de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007.

Devant l’opposition générale des fonctionnaires, le ministre de l’époque, Christian Jacob, avait limité cette mesure aux zones rurales. Elle est généralisée aux termes du présent texte. On voit là très nettement la manière de procéder des gouvernements qui se sont succédé ces dernières années : dans un premier temps, on propose une mesure limitée dans le temps ou dans l’espace et, dans un second temps, on la généralise, le plus souvent d’ailleurs sans avoir analysé les conséquences de la mesure initiale.

Cette généralisation du cumul d’emplois à temps non complet n’apportera aucune sécurité, d’abord, pour le fonctionnaire, à qui il appartiendra d’aller chercher par ses propres moyens un complément de salaire, ni, ensuite, pour l’usager du service, à qui l’on enlève la garantie de se trouver face à des personnels de qualité.

Surtout, le projet de loi élargit les possibilités de recours aux formes d’emplois précaires en facilitant le remplacement d’un fonctionnaire par un agent contractuel ou intérimaire en cas de vacances temporaires d’emploi, pour faire face à des besoins occasionnels, saisonniers ou encore à des surcroîts d’activité.

Là où vous voyez les « conditions pour assurer la continuité et l’adaptation du service », nous voyons, nous, une externalisation du remplacement des personnels absents.

D’ailleurs, cette disposition n’a pas choqué que notre groupe, puisque le rapporteur lui-même y a fait allusion tout à l’heure. L’amendement de suppression qu’il a proposé la semaine dernière a été adopté par la commission des lois par vingt voix contre seize. Autrement dit, un certain nombre de sénateurs de la majorité siégeant à la commission des lois ont voté pour cette suppression.

L’amendement qui a été voté ce matin et qui rétablit l’intérim sous d’autres formes ne donne pas plus satisfaction. J’ai bien entendu ce que disait Mme Gourault sur le recours à l’intérim, mais je souligne que les infirmières et, d’une manière générale, les métiers rares ne se recrutent pas dans les agences d’intérim. Pour trouver des infirmières, il faut aller en Belgique, en Espagne. C’est donc un leurre de penser, monsieur le ministre, qu’en province - à Paris, je ne sais pas ce qu’il en est – on trouvera des infirmières grâce aux sociétés d’intérim !

Je reviendrai plus précisément, lors de la discussion des articles, sur les raisons qui ont incité le groupe socialiste du Sénat à présenter des amendements de suppression. Nous vous démontrerons qu’avec ces dispositions le Gouvernement finira par affaiblir et désorganiser les services publics, par porter atteinte aux principes fondateurs de la fonction publique et engager une privatisation rampante. Ces mots sont forts, mais je les crois profondément vrais.

Monsieur le ministre, vous l’aurez donc compris, le groupe socialiste, que je représente en cet instant, votera contre un texte qui aurait pu s’intituler « projet de loi portant diverses dispositions tendant à banaliser le statut de la fonction publique ».

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