Intervention de Adrien Gouteyron

Réunion du 29 avril 2008 à 16h00
Mobilité et parcours professionnels dans la fonction publique — Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Adrien GouteyronAdrien Gouteyron :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai souhaité prendre la parole, car, en ma qualité de membre de la commission des finances et plus précisément de rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l’État », j’ai été amené à faire un certain nombre d’observations qu’il me paraît intéressant de verser au débat.

Je vous prie d’excuser par avance ce que mes considérations auront sans doute de trop général par rapport au texte que vous présentez, monsieur le ministre, mais j’espère qu’elles ne seront pas inutiles.

Je me suis inquiété, en effet, de la gestion des carrières de nos diplomates, actuellement caractérisée par un certain gâchis des talents. Selon mes calculs, environ 20 % de l’encadrement supérieur du Quai d’Orsay se trouve aujourd'hui sous-employé ou mal employé. Il se trouve que, le jour même où je présentais en commission mes conclusions - simples mais, me semble-t-il, peu contestables -, j’ai trouvé dans le projet de loi et les projets de décret un certain nombre de clés pour déverrouiller la situation actuelle. Ces blocages se retrouvent bien sûr au Quai d’Orsay, je les ai d'ailleurs constatés, mais aussi dans un certain nombre d’autres ministères.

L’enjeu est connu : il s’agit de passer d’une politique d’effectifs à une politique de compétences. Sous bien des législatures, les gouvernements ont préféré une politique de chiffres, une politique d’affichage de postes supplémentaires - certains n’ont d’ailleurs jamais été créés -, à une vraie gestion des ressources humaines, se préoccupant d’optimiser les compétences, de proposer une vraie carrière à nos fonctionnaires et d’abord d’éviter des situations scandaleuses. On parle parfois de « placard » ; au Quai d’Orsay, on parle de « couloir de la mort » pour les diplomates qui ne trouvent pas les postes qu’ils ont espérés et qui correspondent à leurs compétences.

C’est une singulière manière de récompenser et de motiver des agents dont la vocation est le service de l’intérêt général et le dévouement au pays. C’est pourquoi j’ai proposé que le ministère des affaires étrangères soit, en quelque sorte, pilote dans cette réforme.

L’amélioration des carrières et le développement des compétences professionnelles résident, j’en suis convaincu, dans la mobilité, qui fait l’objet du texte qui nous est aujourd’hui soumis.

Mobilité, d’abord, pour favoriser l’organisation d’une deuxième carrière, au profit non seulement de l’encadrement supérieur, mais aussi de l’ensemble des agents ; mobilité, ensuite, pour favoriser la diversité des parcours professionnels, et donc la diversité des profils pour les emplois dits « d’autorité » ; mobilité, enfin, pour favoriser une plus grande homogénéité des emplois entre la sphère publique et la sphère privée ainsi que de la gestion des ressources humaines dans le privé et dans le public.

Ma première réflexion portera sur la mobilité pour une deuxième carrière.

Le déroulement des carrières fait l’objet d’une tension persistante et préoccupante, qui touche l’ensemble des personnels d’encadrement de la fonction publique, au risque d’entraîner une démotivation. Sont à la fois concernés les agents les plus expérimentés, qui ne trouvent pas de débouchés à la hauteur des services rendus à notre pays, et les agents les plus jeunes, qui débutent leur carrière et voient leurs perspectives limitées, voire, parfois, bouchées.

Pour ceux qui ne pourront pas, sans démériter pour autant, gravir tous les échelons de la pyramide, à l’heure où le Président de la République a annoncé, par exemple, la réduction de moitié du nombre de directeurs de l’administration centrale et où la révision générale des politiques publiques prévoit de restructurer les administrations, il faut créer les conditions d’une deuxième carrière, publique ou privée.

Celle-ci doit se préparer tôt, comme dans les armées, lorsque, à quarante ans ou quarante-cinq ans, se dessine un choix difficile, mais pourtant nécessaire. Il nous faut donc imaginer des politiques de mobilité d’un genre nouveau, avec une vraie gestion prévisionnelle des talents, une incitation à la reconversion, notamment dans le secteur privé, intervenant tôt dans la carrière. Bien entendu, il faudrait que se mettent en place des cellules d’orientation et de reclassement dans les ministères.

Voilà pourquoi je me félicite de l’annonce faite par le Gouvernement, dans le cadre de la présentation du présent projet de loi, d’une prime d’incitation au départ pouvant aller jusqu’à deux années de salaire : si celle-ci est bien utilisée, et bien calibrée, elle constituera, pour les fonctionnaires, un véritable levier de nature à créer une deuxième carrière.

Cette deuxième carrière, je l’entrevois aussi pour nos enseignants, à l’école comme à l’université. On le sait, ils exercent aujourd'hui un métier difficile. Certes, ce n’est pas chose aisée, mais, après un grand nombre d’années passées devant les élèves, il faut leur offrir la perspective de changer de voie.

À cet égard, qu’il me soit permis de faire une remarque, même si ce point n’est pas abordé dans le texte : il n’y a pas de mobilité réelle, ou peu, sans mobilité géographique.

Or, en cette période de l’année, je suis frappé de constater, comme nombre de mes collègues sans doute, que beaucoup d’enseignants très angoissés, qui vivent à 500 kilomètres de leur conjoint, voire plus loin encore, nous demandent d’intervenir en leur faveur, car ils ne trouvent pas le moyen de se rapprocher.

On a sacralisé le barème ; on a centralisé, ou, plutôt, on a laissé centraliser la gestion des personnels à l’extrême, et ce en dépit de quelques efforts déployés par un précédent ministre de l’éducation nationale, qui – je m’empresse d’ailleurs de le souligner – n’était pas de droite et s’est attiré quelques critiques en raison de l’initiative qu’il avait prise sur ce sujet. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, il faut persévérer dans cette voie. Il n’est pas possible d’en rester à la situation qui est la nôtre aujourd'hui et de laisser des enseignants bloqués loin de leur conjoint et de leur famille. Une telle situation est absolument désespérante. Parler de mobilité sans envisager cet aspect du problème me semble dérisoire.

J’en viens maintenant à la question de la mobilité favorisant la diversité des parcours professionnels, et donc des profils des emplois dits « d’autorité ».

On comptait, en 2007, selon les documents budgétaires, 470 corps de fonctionnaires au sein de l’État et des établissements publics administratifs. Sinon la totalité du moins la plupart de ces corps ont organisé, on le sait bien, une politique protectionniste visant à intégrer le moins de profils extérieurs possible, afin de protéger les voies d’accès vers les postes à responsabilité.

Ce protectionnisme est, en réalité, inefficace, puisqu’il n’empêche nullement de cruelles désillusions au cours des carrières. Toutefois, il a figé notre administration et empêché une diversité des parcours professionnels, et donc des profils, avant l’accès aux postes les plus élevés de la hiérarchie.

Permettez-moi de prendre l’exemple de la diplomatie, car je me suis un peu intéressé à la question, mais ma remarque vaut également pour d’autres fonctions.

Il existe trois métiers dans les postes à l’étranger : la diplomatie économique, la diplomatie culturelle et la diplomatie politique. Seule celle-ci, incarnée par le corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, donne accès, à de trop rares exceptions près, à la fonction d’ambassadeur.

Or nous aurions besoin aujourd’hui, dans ces temps de mondialisation, de profils diversifiés d’ambassadeurs, prenant davantage en compte l’économie et la culture, laquelle est souvent un instrument déterminant. Il faut donc réintroduire du mouvement dans les parcours professionnels, en décloisonnant notre fonction publique.

J’aborderai enfin la question de la mobilité visant à favoriser une plus grande homogénéité entre la gestion des ressources humaines publique et la gestion des ressources humaines privée.

Nos fonctionnaires sont encore largement privés des outils les plus neufs en matière de gestion des ressources humaines. Alors que ces outils sont utilisés dans le secteur privé, le secteur public est resté à l’écart de bien des innovations.

La mobilité du public vers le privé, mais aussi l’arrivée de compétences privées dans la sphère publique, devraient permettre d’introduire une sorte d’hybridation, une fertilisation croisée entre deux univers qui se méconnaissent trop aujourd’hui.

Telle me semble être la politique du Gouvernement. M’appuyant sur cette philosophie qui nous est commune et vise à l’épanouissement des compétences des agents publics, pour le service du pays, je considère que ces compétences peuvent s’épanouir tour à tour dans le public, au sein des administrations les plus diverses possibles, et dans le privé.

En conséquence, je voterai le projet de loi que le Gouvernement nous a soumis, car ce texte franchit, me semble-t-il, un pas décisif dans le sens d’une meilleure considération de nos fonctionnaires.

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