Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, on peut d’ores et déjà se poser des questions sur l’intitulé même du projet de loi que nous examinons aujourd’hui ; mon collègue Jean-Claude Peyronnet en a d’ailleurs proposé un autre.
En effet, on pourrait légitimement s’attendre à un projet de loi portant exclusivement sur la mobilité des fonctionnaires, une mobilité qui a été largement entravée par de nombreuses lois depuis la création du statut général des fonctionnaires en 1946. Or, il n’en est rien, puisque le thème de la mobilité sert surtout ici de prétexte à une réduction des effectifs et des dépenses publiques.
Supposons cependant en toute bonne foi qu’il s’agisse d’un texte portant réellement sur la mobilité des fonctionnaires. Nous ne pouvons que le constater, ce projet de loi, loin d’être ambitieux, ne va rien changer aux problèmes rencontrés par les agents de la fonction publique pour ce qui est de leur parcours professionnel.
Les premiers articles du projet de loi prévoient une systématisation des détachements et un droit à intégration, afin de garantir au fonctionnaire une mobilité « non entravée » par les statuts particuliers. « Les conditions de détachement sont par ailleurs assouplies pour que celui-ci puisse intervenir entre corps et cadres d’emplois appartenant à la même catégorie et de niveau comparable ». La mobilité entre les trois fonctions publiques et au sein de chacune d’entre elles devrait être facilitée, permettant ainsi une intégration directe dans un corps ou un cadre d’emplois de fonctionnaires remplissant toutes les conditions pour y être détachés.
Sous couvert de « progrès », le Gouvernement ne fait qu’assouplir la loi Galland de 1987, qui, elle-même, modifiait d’ailleurs insidieusement la loi Le Pors, largement négociée et approuvée à l’époque par l’ensemble des personnels.
Par ailleurs, en matière d’intégration, le Gouvernement a reculé par rapport au projet de loi initial, qui prévoyait que l'intégration pour un fonctionnaire en détachement devait arriver dans un délai de cinq ans maximum alors que, dans le projet que nous examinons, l'intégration ne peut avoir lieu qu’au bout de cinq ans. Cette condition nous paraît totalement contraire au discours tenu par la majorité quant à sa volonté de faciliter la mobilité.
Dès lors, quelle autre avancée notoire sur la mobilité pouvons-nous constater ? Aucune, malheureusement ! Ce texte comporte quelques mesures qui sont aussi démagogiques qu’elles seront inapplicables.
À titre d’exemple, l’article 6 du projet de loi prévoit que le fonctionnaire de l’État, contraint par son administration d’occuper un nouvel emploi au sein de l’une des trois fonctions publiques, a le droit de conserver le plafond indemnitaire le plus élevé entre celui que lui offrait son employeur d’origine et ce que lui propose son nouvel employeur.
Outre le fait qu’il est irréaliste, cet article va faire peser sur les administrations d’accueil, en particulier les collectivités territoriales et les hôpitaux, le financement des restructurations imposées par l’État, ce qui ne manquera pas d’aggraver leur situation financière.
Plutôt que de procéder à une telle individualisation de la rémunération, une remise à plat de l’ensemble des indemnités et de la grille indiciaire pour uniformiser les pratiques de rémunération serait plus pertinente. En somme, ce texte jette le trouble au sein d’une fonction publique déjà confrontée à de multiples problèmes.
Présenté comme une avancée majeure, ce projet de loi n’est qu’une « réformette » supplémentaire. En réalité, la mobilité est ici presque exclusivement entendue comme une mobilité quasiment forcée vers le privé, comme le montre l’article 7 du projet de loi. En effet, si la réorientation d’un fonctionnaire n’aboutit pas – cela risque d’être souvent le cas -, l’agent pourra être mis en disponibilité d’office, sans être rémunéré, ou mis à la retraite, au mépris du principe de réaffectation des fonctionnaires.
Le thème de la mobilité sert donc de prétexte. Mais alors, que contient le reste du texte ?
Il comporte un ensemble de mesures qui visent à précariser encore et toujours plus les agents de la fonction publique. Ainsi, l’article 8 élargit les possibilités de cumul d’emplois à temps non complet, dans les trois fonctions publiques. Ce faisant, il aggrave la précarité des agents à temps partiel au lieu de la résorber.
Quant à l’article 9, il étend les possibilités de recours à des contractuels pour remplacer des fonctionnaires momentanément absents dans la fonction publique d’État. De la même manière, il institue une précarité durable dans la fonction publique au lieu de l’éradiquer.
L’article 10 prévoit le recours à l’intérim, afin de pourvoir rapidement les emplois temporairement inoccupés ou pour faire face à un besoin ponctuel. Il symbolise à lui seul la volonté du Gouvernement de vider de son contenu le statut de la fonction publique, puisqu’il sous-entend qu’une mission de service public peut être assurée par un intérimaire, comme n’importe quel autre emploi.
Intérim, CDD, cumul d’emplois à temps partiel : voilà les différentes facettes de l’emploi précaire que nous dénonçons habituellement et qui vont être appliquées à la fonction publique. Si ce projet de loi n’apporte aucune réponse aux questions relatives à la mobilité des fonctionnaires, il pratique, en revanche, une saignée profonde dans le statut de la fonction publique, avant que la révision générale des politiques publiques ne l’achève définitivement !
C’est pourquoi l’ensemble des syndicats sollicités ont voté contre ce projet de loi ou se sont abstenus. Une journée de grève massive s’annonce d’ailleurs le 15 mai prochain ; cinq organisations syndicales ont appelé toute la fonction publique à cesser le travail.
La réforme que vous envisagez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, ne passe ni par la négociation ni par la concertation.
La logique sous-jacente de ce texte reprend les principes dévoilés dans le discours de Nantes du chef de l’État. Sa déclaration opposait le contrat à la loi ; le métier, plus restrictif, à la fonction ; elle défaisait les liens entre les fonctions publiques ; opposait la performance individuelle à l’efficacité sociale. Bref, ce discours annonçait le dynamitage du statut, la substitution de l’individualisme et de la concurrence aux valeurs d’égalité et de solidarité inscrites dans le statut même des fonctionnaires et à la transparence de gestion conquise par les personnels. Une telle politique s’attaque directement aux garanties apportées aux citoyens par le statut de la fonction publique.
Le chef de l’État fait peu de cas des raisons qui ont permis à notre pays de disposer d’une fonction publique intègre, au service de l’intérêt général, et préfère chiffrer froidement le gain financier réalisé pour chaque suppression de poste dans les effectifs de l’État.
Comme il a pu l’expliquer voilà quelques semaines, « lorsqu’on évite un recrutement en organisant différemment le service, on évite non pas une année de salaire, mais quarante années de salaires et vingt ans de retraite ».