Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 29 avril 2008 à 16h00
Mobilité et parcours professionnels dans la fonction publique — Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence, amendement 22

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans une démarche de modernisation de la fonction publique que, pour ma part, je considère tout à fait souhaitable.

Cette modernisation passe évidemment par l’adaptation des règles générales d’accès et de gestion de la fonction publique, afin de tenir compte des réalités d’aujourd’hui par rapport à l’évolution non seulement des compétences et des modes de fonctionnement des organismes publics, mais aussi des connaissances, des compétences et des attentes de leurs agents.

Selon moi, cela signifie non pas la casse du statut, mais, au contraire, sa modernisation par rapport à un monde qui n’est plus du tout celui de 1946 ni même, s’agissant du statut de la fonction publique territoriale, de 1984. À l’époque, personne n’imaginait que les collectivités locales prendraient l’importance qu’elles ont aujourd’hui, ni que la fonction publique dans son ensemble engloberait plus de 5 millions de personnes… C’est dire que les entités publiques actuelles ne sont plus du tout comparables à celles des époques au cours desquelles ont été mis en place les statuts. Il est par conséquent urgent de moderniser et d’assouplir ces derniers si l’on veut éviter qu’ils ne soient de plus en plus contournés, ce qui est la tendance aujourd’hui.

La modernisation de la fonction publique passe aussi par une meilleure fluidité entre les trois grandes catégories d’agents publics, notamment entre l’État et les collectivités locales, la fonction publique hospitalière correspondant à des missions qui sont, pour certaines, très spécifiques par rapport à celles des deux autres fonctions publiques, et l’activité hospitalière se partageant déjà largement entre le secteur public et le secteur privé.

D’une manière générale, j’approuve donc l’idée qui est au centre du projet de loi de faciliter la mobilité entre les trois fonctions publiques. Je ne pense pas que cela déstabilisera l’État, l’hôpital ou les collectivités locales. En revanche, il est certain que cela aidera à résoudre un certain nombre de situations aujourd’hui souvent compliquées. Je prendrai l’exemple du fonctionnaire qui est fréquemment confronté à des difficultés lorsque son conjoint est muté géographiquement et qui, actuellement, est contraint de ne rechercher un nouveau poste qu’auprès de sa fonction publique « d’origine ». Son choix sera désormais plus large et ses chances d’aboutir seront donc plus grandes.

Par ailleurs, ces dispositions permettront aux agents qui exercent des responsabilités dans l’une ou l’autre des fonctions publiques, ou dans un service public spécifique, de saisir plus facilement une opportunité qui se présenterait à eux dans un autre service ou dans un autre organisme public. Par la même occasion, cela élargira les possibilités qu’ont les élus de s’attacher les services d’un fonctionnaire pour qui un changement d’établissement était jusqu’alors souvent compliqué.

De plus, en tant que fonctionnaire de l’État, mais aussi en tant qu’élu local depuis vingt-cinq ans, j’ai toujours regretté une telle ignorance réciproque entre les cadres de la fonction publique de l’État et ceux de la fonction publique territoriale. Nous sommes certainement nombreux dans cette enceinte à avoir déploré un jour ou l’autre, dans nos fonctions d’élus locaux, la méconnaissance des réalités de la gestion d’une collectivité territoriale qui transparaissait au travers de tel ou tel texte réglementaire que nous avions à mettre en œuvre et qui, visiblement, avait été rédigé par des administrations centrales peu au fait des réalités du terrain. Les exemples ne manquent pas, et je suis sûr que nous pourrions tous en citer !

Il faudra aussi, j’en suis convaincu, étudier la question de la mobilité entre administrations centrales et services déconcentrés de l’État. Notre pays ne se porterait certainement pas plus mal si les administrations centrales comportaient plus d’administrateurs civils ou d’attachés ayant une expérience de l’administration déconcentrée ou territoriale que nous n’en avons aujourd’hui.

Il conviendrait également de s’interroger – je m’éloigne là du texte, mais cela concerne toujours la fonction publique – sur le caractère judicieux d’un plus grand rapprochement, voire d’une fusion, entre l’École nationale d’administration, l’ENA, et l’Institut national des études territoriales, l’INET, non sur le plan géographique – tous deux sont situés à Strasbourg –, mais sur le plan des enseignements et des stages.

À la différence de M. le rapporteur, dont je salue la qualité du travail, je suis aussi favorable au recours à l’intérim dans la fonction publique. Je préfère en effet qu’il se pratique dans la clarté plutôt que de manière non dite, comme c’est aujourd’hui le cas, notamment dans la fonction publique hospitalière. De plus, même si les collectivités locales essaient aujourd’hui de se débrouiller autrement pour pallier les absences de leurs agents – en recourant à des vacataires, par exemple –, il n’en est pas moins vrai que la possibilité de recourir à l’intérim simplifierait la gestion des remplacements dans nombre de collectivités et permettrait par ailleurs aux vacataires occasionnels dans les collectivités locales d’espérer travailler entre deux remplacements, ce qui est rarement le cas aujourd’hui.

Il ne s’agit bien évidemment pas de faire de l’intérim un mode de gestion habituel de la fonction publique ; il s’agit plutôt d’avoir la possibilité d’y recourir en tant que de besoin et dès lors que la collectivité n’a pas de meilleure solution pour assurer la continuité du service public. Sur ce point, il me semble donc que l’amendement n° 22 que j’ai cosigné avec un certain nombre de collègues de la commission des lois et qui a reçu ce matin un avis favorable de cette dernière mérite d’être adopté par la Haute Assemblée.

Pour terminer, mes chers collègues, vous me permettrez d’évoquer un point qui figure non pas dans le projet de loi que nous examinons, mais dans le rapport Silicani, et qui mériterait d’être repris dans un prochain texte, comme d’ailleurs la plupart des préconisations de ce rapport qui sont le fruit de plus de six mois de discussions. Il s’agit de la simplification du régime indemnitaire.

Ce régime est devenu incompréhensible dans les collectivités locales, tout simplement parce qu’il repose, selon moi, sur une fiction. Ainsi, je voudrais bien comprendre enfin pourquoi un maire qui veut accorder un régime indemnitaire à certains des agents de sa collectivité n’a pas d’autre choix que de leur attribuer une indemnité d’exercice des missions de préfecture, l’IEMP. Or il est évident que ces agents n’exercent aucune mission de préfecture !

Je connais d’ores et déjà votre réponse, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État : la comparabilité des régimes ! Le régime indemnitaire des collectivités locales ne doit pas être meilleur que le régime des agents des services extérieurs de l’État qui a servi de référence. Avouez que cela frôle une certaine hypocrisie et que l’on n’est même pas loin de la fiction ! Il serait tellement facile de faire plus simple. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Je me demande parfois si ce n’est pas cette logique-là qui prévaut pour le régime indemnitaire des agents des collectivités territoriales comme pour d’autres aspects de leur statut. Certes, ce n’est pas le sujet du projet de loi que nous étudions aujourd’hui…

J’espère que nous examinerons dans les prochains mois un texte plus spécifiquement consacré aux rémunérations dans la fonction publique et que je pourrai alors défendre un amendement – j’avais déjà présenté une disposition similaire en d’autres occasions et j’ai fait une nouvelle tentative, mais l’amendement que j’ai déposé n’a pas passé le filtre de la commission des finances... – permettant enfin d’unifier dans la clarté les régimes indemnitaires des agents provenant de communes différentes et transférés vers une même intercommunalité à fiscalité propre.

Je continue en effet à penser qu’il est tout bonnement incompréhensible, illégitime même, que des agents ayant le même grade, exerçant les mêmes fonctions dans une même entité et dans les mêmes conditions, aient des régimes indemnitaires différents simplement parce qu’ils viennent de communes différentes. Au moment où se mettent en place les instances intercommunales, à la suite des dernières élections locales, il n’est pas déplacé, selon moi, d’évoquer à nouveau ce problème, même si, malheureusement, nous ne pourrons pas – article 40 oblige ! – discuter de l’amendement que j’avais déposé à ce sujet.

Avant de conclure, je voudrais vous livrer une autre réflexion. Peut-on durablement simplifier et moderniser la fonction publique sans simplifier et moderniser parallèlement les lois et règlements que la fonction publique est précisément chargée de mettre en œuvre ? Personnellement je pense que non. Par conséquent, nous, législateurs, devons avoir cela en tête à chaque fois que nous discutons d’un projet de loi dans cet hémicycle.

Il est toujours tentant de compléter ou de préciser les dispositions législatives dont nous discutons, et je succombe moi-même à cette tentation ! Mais, à chaque fois que nous ajoutons une réglementation aux réglementations existantes, nous mettons également en place de nouvelles procédures qui nécessiteront la présence de nouveaux fonctionnaires et rendront encore un peu plus complexe le cadre dans lequel agissent l’État ou les collectivités locales, voire la mobilité de leurs agents...

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tels sont les quelques éléments que je souhaitais évoquer à cette tribune. J’émets le vœu que nous cessions, après la discussion de ce projet de loi, d’examiner de façon morcelée les questions de la fonction publique, que nous adoptions au contraire une approche globale des réformes que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre dans ce domaine et que nous ne fassions évoluer les statuts qu’en cohérence avec cette approche globale.

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