Nous, parlementaires, ne devons pas être sages, nous devons être courageux, assumant même dans la circonstance d’être désobéissants, et je pèse mes mots.
Mes chers collègues, courage donc ! Les lois auxquelles nous sommes confrontés sont une coproduction à trois. Elles visent à relever des défis : le fleurissement des nouvelles technologies, notamment du numérique qui a plus de trente ans, la multiplication massive des supports de diffusion, le lancement de la TNT, la télévision numérique terrestre, et son succès, les nouveaux entrants à dimension industrielle comme Lagardère, Bolloré et France Télécom, une nouvelle répartition des ressources – la redevance qui baisse, la publicité qui recule, les abonnements qui progressent et même la gratuité qui combat – et enfin la suppression de l’analogique pour 2011.
Le premier coproducteur de ces lois est le Président Sarkozy. Il suffit de relire la lettre de mission qu’il a adressée à Mme Albanel le 1er aout 2007, les discours du 8 janvier 2008 sur la suppression de la publicité sur France Télévisions et du 25 juin 2008 sur la stratégie qu’il a arrêtée.
Le deuxième coproducteur est le groupe Bouygues, qui possède TF1 et qui a transmis, avant les vœux de 2007, un Livre blanc de multipropositions – je devrais dire d’injonctions –, dont quatre fondamentales structurent le présent projet de loi.
La première, c’est l’assouplissement des contraintes pesant sur les groupes d’édition, c’est-à-dire la suppression du dispositif anti-concentration plurimédia voté en juillet.
La deuxième, c’est l’assouplissement de l’accès à la ressource publicitaire, c’est-à-dire l’application intégrale de la directive européenne SMA, services de médias audiovisuels, ce qu’a fait, à un chouïa près, contrairement à tous les autres pays d’Europe, le gouvernement français.
La troisième, c’est le financement du service public exclusivement par des fonds publics, c’est ce que décide, sans y parvenir, le projet de loi qu’on veut nous imposer d’adopter.
La quatrième, c’est libérer la programmation de ses obligations de production, c’est-à-dire gommer la définition de l’œuvre audiovisuelle. Ah qu’il gênait le vote unanime des deux assemblées du 22 novembre 2006 sur cette définition qui attend toujours un décret gouvernemental ! Il ne viendra jamais, le Gouvernement ayant préféré remettre cette définition à la négociation des acteurs, qu’une partie d’entre eux ont signée avec une diminution des obligations de production pour TF1.
Le troisième coproducteur est la philosophie libérale du rapport Jouyet-Lévy sur l’économie de l’immatériel, élaboré par l’inspection des finances et la publicité réunies. Devenu feuille de route du Gouvernement, il impose une vision comptable et financière du savoir et de la culture, traités comme de simples actifs financiers.
Quand on a cette coproduction à l’esprit et qu’on en lit dans la loi le bégaiement servile, nous ne pouvons y répondre que par un « Non » majuscule de résistance. Avec le groupe CRC-SPG, nous allons faire notre devoir en pensant aux citoyens-téléspectateurs et à ceux qui exercent les métiers nécessaires à la télévision, des artistes aux techniciens et aux personnels administratifs. Nous ne jouerons pas au « non » parce que d’autres disent « oui », au « oui » parce que d’autres disent « non », nous essaierons d’être, comme le disait si finement Scott Fitzgerald, « la marque d’une intelligence de premier plan [...] capable de se fixer sur deux idées contradictoires sans pour autant perdre la possibilité de fonctionner ».
Nous voulons que la télévision de service public vive en France avec son héritage qui est grand, sans ses défauts qui ne sont pas petits, mais surtout avec un accomplissement que nous sentons voir venir. La loi Sarkozy est une loi fermée, une sorte d’« acte noir », dirait Hamlet, une déclinaison de la dogmatique managériale. On dirait que le Président veut conclure l’histoire de la télévision dans l’immédiat, en en pétrifiant le sens.
Quant à nous, nous proposons une Responsabilité publique de l’audiovisuel, de l’information et de la communication, la RESPAIC – qui est le féminin de respect –, locale, nationale et internationale. Dès 1987, les états généraux de la culture, avec des milliers d’artistes de toutes disciplines, sensibilités et esthétiques, ont avancé cette idée dans une Déclaration des droits de la culture qui fut traduite en quatorze langues – la japonaise, la chinoise, l’arabe.
Les médias et les moyens de communication électroniques sont devenus aujourd'hui un besoin essentiel pour la vie quotidienne de chacun, la société, l’économie, la démocratie et les échanges internationaux. Ce sont des biens communs, des biens publics mondiaux qui doivent être régulés à chaque niveau territorial de responsabilité. Ces biens publics doivent être reconnus dans un droit universel à la communication actualisé comme un droit de l’homme, conformément à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Il est urgent de construire ce droit en France, en Europe et dans le monde : pour combattre les inégalités dans l’accès à l’information et à la communication et favoriser l’association humaine universelle, pour refuser la guerre économique fratricide des nations et développer les coopérations économiques et les échanges culturels, pour rejeter les enfermements dogmatiques et soutenir le développement de la culture, de la recherche, de la création et de l’innovation.
Pour se fassent la reconnaissance et la mise à jour de ce droit universel à la communication, nous avons besoin de cette RESPAIC, qui fixe les principes fondamentaux de la régulation et de l’éthique universelles.
Cette RESPAIC se définit par des missions, des droits et des obligations d’intérêt général appliqués à l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel et des communications électroniques, qu’ils soient privés ou publics, locaux, nationaux ou internationaux.
J’en profite pour vous dire que M. Meirieu a rédigé dans Le Monde un article de très grande qualité sur la responsabilité des médias, sur lequel nous devrions beaucoup réfléchir.