Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la motion que je présente au nom du groupe socialiste, apparentés et rattachés est fondée sur les motifs d’irrecevabilité suivants.
D’abord, les dispositions des articles 20 et 21 instaurant de nouvelles taxes pour certaines catégories de citoyens sont intrinsèquement discriminatoires et contraires au principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant les charges publiques.
Ensuite, les dispositions de l’article 18 supprimant la publicité aux heures de grande écoute sur les antennes de France Télévisions font dépendre le financement de la télévision publique du budget de l’État et remettent en cause l’indépendance de ce secteur.
De même, les dispositions de l’article 8 prévoyant la nomination des présidents des sociétés du secteur public de l’audiovisuel sont contraires aux exigences posées par l’article 34 de la Constitution, qui confie au législateur le soin de fixer les règles garantissant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias » depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet dernier.
Enfin, de nombreuses dispositions, telles que la suppression de la référence aux différentes chaînes et donc au maintien du périmètre de France Télévisions, remettent en cause le pluralisme.
Comment croire que nos médias du secteur public seront plus indépendants ?
Comment le croire, alors que l’on met fin au double système de financement dont bénéficiait France Télévisions, système qui lui permettait jusqu’à présent tout juste d’être en équilibre financier mais, hélas ! en sous-financement chronique par rapport aux ambitions affichées ?
Comment le croire alors que l’on laisse s’accumuler les déficits, qui ont atteint 100 millions d’euros l’année dernière depuis l’annonce de la suppression de la publicité et qui devraient, selon les prévisions, atteindre 130 millions d’euros pour 2009 ?
Comment le croire alors que l’on supprime aussi radicalement la publicité en début d’année et que l’on se prive donc d’une des ressources principales de la télévision publique sans que des alternatives de financement n’existent jusqu’à la mise en œuvre de la loi ?
Comment le croire alors que l’on lie complètement l’avenir de l’audiovisuel public à une compensation publique aléatoire selon les budgets annuels et les recettes perçues, recettes incertaines puisque les taxes proposées sont attaquables devant le Conseil constitutionnel ?
Pour notre part, nous n’y croyons pas !
En outre, il s’agit aussi, selon nous, d’une erreur économique grave, qui va bouleverser et déstabiliser tout le secteur de l’audiovisuel public.
Dans le contexte actuel de crise économique, il est incompréhensible que cette décision soit prise dans la précipitation, qui plus est sans que les règles élémentaires de la démocratie représentative soient respectées puisqu’une partie des mesures contenues dans le projet de loi ont été mises en œuvre avant même que le Sénat se prononce !
M. le Premier ministre et Mme la ministre de la culture et de la communication annoncent qu’ils mettront en place un financement pérenne assuré, d’une part, par le budget de l’État et, d’autre part, par l’institution d’une taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision ainsi que d’une taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, tout en nous assurant que ce financement ne sera pas à la charge de l’usager.
Permettez-nous d’en douter !
Tous nos interlocuteurs que concernent ces taxes sont formels.
Dans le contexte économique de la publicité, qui est dépressif, si les chaînes de télévision privées sont taxées, elles financeront moins la création. Cela aura non seulement des conséquences sur la qualité du paysage audiovisuel mais aussi des effets graves sur le plan économique et social, car, derrière, il y a des femmes et des hommes qui se battent courageusement pour la création et pour conserver leur emploi.
Quant aux opérateurs de télécoms français, ils envisagent de diminuer les investissements ou alors d’augmenter directement la facture de l’abonné, en y faisant d’ailleurs figurer clairement la nouvelle taxe.
Du bluff, me direz-vous, mais je n’en suis pas si sûre : au final, c’est bien le client qui paiera la taxe !
Dans ce secteur fortement concurrentiel, cela aura d’importantes conséquences sur les capacités d’investissement dans la fibre optique, le haut débit mobile et la couverture numérique du territoire.
Ce sont les usagers qui souffriront de cette baisse des investissements, et notamment ceux qui habitent les zones les moins rentables, par exemple les zones rurales, les zones périphériques, comme l’a dit hier M. Virapoullé, ou les zones de montagne.
Cette situation va donc aggraver la fracture numérique entre nos territoires.
Il faut aussi reconnaître que, pour l’instant, la fourniture du service audiovisuel par des opérateurs de communications électroniques n’est que peu répandue.
Ainsi, ce service représente moins de 1 % de leur chiffre d’affaires. Ce secteur n’est donc pas complètement concerné par ce projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et pourtant on veut en faire l’un des principaux contributeurs.
De notre point de vue, il eut été plus intéressant, plus efficace et plus logique de leur demander de s’engager à réaliser les investissements nécessaires à la couverture numérique du territoire qu’ils laissent le plus souvent à la charge des collectivités territoriales que sont les départements et les régions. Cela aurait d’ailleurs pu faire partie du plan de relance de l’économie, qui ne comporte aucune mesure permettant de promouvoir l’économie numérique.
Des juristes indépendants et des professeurs renommés se sont déjà penchés sur la constitutionnalité des articles 20 et 21 du projet de loi qui nous est soumis et ils sont formels : ces taxes paraissent irrémédiablement contraires à la Constitution.
D’abord, ces taxes sont non affectées au financement de l’audiovisuel public et sont donc destinées au budget général. À ce titre, elles sont gravement attentatoires au principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques inscrit dans l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui impose que la contribution commune soit équitablement répartie entre tous les citoyens, à raison de leurs facultés.
Pourquoi, en effet, parmi toutes les entreprises qui acquittent déjà l’impôt sur les sociétés en isoler quelques-unes pour les soumettre à un impôt spécifique supplémentaire ? Ces taxes seraient donc intrinsèquement discriminatoires.
Et même si ces taxes étaient affectées, elles seraient contraires au principe d’égalité puisque de nombreuses sociétés visées n’ont aucun lien avec la diffusion de programmes audiovisuels, ce qui, de fait, devrait les exclure du périmètre de la taxe. D’autant plus qu’il y a rupture de l’égalité devant l’assiette de cette taxe qui est constituée, pour l’essentiel, par le chiffre d’affaires et non par la réelle capacité contributive de ces sociétés.
Un recours devant le Conseil constitutionnel aura donc toutes les chances d’aboutir. Dans ce cas, madame la ministre, quelles solutions proposerez-vous pour compenser les pertes de France Télévisions ?