Peut-être la redevance que vous n’avez pas voulu augmenter jusque-là ?
Dans ces conditions d’insécurité juridique, on ne peut pas parler de financements pérennes pour l’audiovisuel public. C’est donc la remise en cause de son indépendance, voire de sa survie, contraire à l’article 34 de la Constitution révisée depuis le 23 juillet dernier.
D’autant que le montage financier du plan d’affaires met aussi en avant une économie à court terme de 100 millions d’euros. Du fait de la restructuration des services et des filiales de France Télévisions et de la création d’une entreprise unique, on ferait des économies d’échelle et on supprimerait des prétendus doublons. En fait, les audits montrent plutôt qu’il n’y aura pas de bénéfice immédiat et que dans un premier temps l’entreprise unique va coûter de l’argent du fait des modernisations qui sont nécessaires pour le projet de média global, notamment.
D’ailleurs, la commission Copé avait bien précisé que cette nouvelle ambition, en termes de service public de l’audiovisuel, devait « être associée aux moyens budgétaires nécessaires à sa mise en œuvre », ce qui comprend « la compensation des recettes publicitaires » ainsi que « la mobilisation des ressources nécessaires au développement et au rayonnement de France Télévisions ».
Or vous ne parlez plus de ressources supplémentaires. Quant à la simple compensation des recettes publicitaires, on ne sait pas si elle sera intégrale.
Permettez-moi de revenir un instant sur la taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision privées, qui permettrait de financer l’audiovisuel public. Selon moi, il est évident qu’elle sera contre-productive et qu’elle aurait dû être écartée d’emblée.
En effet, si nous raisonnons à plus long terme, le produit de cette taxe sera plus élevé si le chiffre d’affaires des chaînes privées progresse et donc si leur audience s’accroît ; cette constatation conduit à espérer que l’audience de TF1 et de M6 augmente pour que le financement des chaînes publiques soit suffisant et, par conséquent, que l’audience des chaînes publiques diminue, par l’effet des vases communicants ! On aura donc des chaînes publiques soit avec beaucoup d’audience mais peu de financement, soit avec peu d’audience et un financement important. Dans un cas comme dans l’autre, la tentation sera forte de privatiser une chaîne ou de la faire disparaître. Quelle logique !
Mais n’est-ce pas, au final, l’objectif à peine caché poursuivi depuis plus d’un an, à savoir favoriser les chaînes privées quitte à saborder le service public de la télévision et de la radio ?
Pour s’en sortir financièrement, l’audiovisuel public serait donc réduit à espérer perdre des spectateurs ! Telle n’est pas, heureusement, la volonté des dirigeants de France Télévisions, qui nous ont assuré avoir pour objectif d’atteindre l’audience la plus large possible. Encore faut-il leur en donner les moyens !
Par ailleurs, ce projet de loi ne nous donne aucune garantie que toutes les chaînes publiques seront maintenues et que les spectateurs continueront d’avoir un large choix de programmes à regarder puisqu’il ne comporte aucune référence aux différentes chaînes publiques – France 2, France 3, France 4, France 5 et RFO – comme composantes de l’entreprise unique.
De ce fait, le périmètre de France Télévisions n’est pas du tout garanti dans le projet de loi. Le financement étant, comme nous l’avons vu, plus qu’incertain, nous avons toutes les raisons d’être inquiets quant au maintien de l’identité éditoriale de chaque chaîne. À terme, cela aura sans aucun doute des conséquences sur le pluralisme des médias et sur l’offre proposée aux téléspectateurs. Pour nous, c’est inacceptable !
Nous avons plus précisément des inquiétudes sur l’avenir de France 3, chaîne généraliste qui assure aussi une information de proximité et rend compte des événements régionaux et locaux.
C’est vraisemblablement la chaîne qui a subi le plus de bouleversements dans sa grille de programmes d’information depuis le 5 janvier dernier, mais à moyens et effectifs constants. Le journal local est diffusé désormais à 18 heures 40 et n’est plus rediffusé à 19 heures 55, comme c’était le cas auparavant, afin de libérer du temps d’antenne pour la publicité avant 20 heures, puisque c’est le créneau qui se vend le plus cher ! Le journal régional est allongé d’environ cinq minutes mais sans moyens et sans équipe supplémentaires. Une nouvelle édition régionale de cinq minutes a été incluse dans le Soir 3 national à 22 heures 30 – c’est une bonne chose –, mais elle devra être bouclée à 20 heures 30, faute de moyens, d’où une incapacité à réagir si un événement se produit en début de soirée.
Cette tension sur les moyens budgétaires et humains disponibles va avoir des conséquences sur la qualité de l’offre d’information de proximité à laquelle les téléspectateurs régionaux sont pourtant très attachés. Marie-Christine Blandin en a parlé hier et j’aurais pu développer l’exemple de France 3 Limousin Poitou-Charentes dont l’édition régionale est la plus regardée en France.
Vous semblez sous-estimer, madame la ministre, cet attachement à une télévision régionale de proximité que les habitants et leurs élus ne se résigneront pas à voir disparaître.
Rappelons, à ce propos, que l’engagement initial du Président de la République n’a pas été tenu, puisque la publicité devait être maintenue sur France 3 régional afin de panacher les financements, d’assurer l’indépendance et de financer ces nouveautés de programmation.
Comme cela a déjà été indiqué, il y a de vrais aspects pervers de cette réforme depuis le 5 janvier.
La suppression, par exemple, de la rediffusion du journal local avant 20 heures sur France 3 est significative de la schizophrénie qui se développe à France Télévisions du fait de la suppression brutale de la publicité après 20 heures sans garantie, pour l’instant, d’une juste compensation.
Sur France Télévisions, le téléspectateur a désormais une « télé d’avant 20 heures » et une « télé d’après 20 heures ».
Le tunnel de quinze minutes de publicité existant jusque-là entre la fin du journal et le début du programme de première partie de soirée de 20 heures 35 est purement et simplement avancé entre 19 heures 45 et 20 heures !
Et les programmes destinés aux enfants diffusés dans l’après-midi risquent aussi d’être encore plus encombrés par la publicité, qui pourtant, nous le savons, provoque des dégâts sur les habitudes alimentaires des plus jeunes, nourrissant les risques d’obésité que Mme la ministre de la santé entend combattre par ailleurs. Quelle cohérence dans les politiques publiques !
Donc, France Télévisions sera amenée à prendre des décisions de grille avant 20 heures afin de faire le plus de recettes publicitaires possible tant que celles-ci existent encore. Il se peut que nous ayons désormais une télévision publique de moins bonne qualité avant 20 heures, alors que l’objectif affiché était précisément d’améliorer la qualité !
Alors que la télévision publique réussissait, jusqu’à présent, à faire des journaux d’information et des reportages de grande qualité, elle est aujourd'hui obligée de faire une gestion de précaution et de réduire ses frais, ce qui met en danger l’indépendance des rédactions, leurs marges de manœuvre et leur réactivité.
Je ne reviendrai pas sur l’exposé fait ce matin par notre collègue Jean-Pierre Sueur lorsqu’il a défendu la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi organique concernant la nomination des présidents des sociétés de l’audiovisuel public. Nous sommes en complet désaccord avec vous sur ce point.
Les articles 47 et 48 du projet de loi, qui concernent le Centre national de la cinématographie ainsi que les relations entre les distributeurs et les programmateurs, mériteraient un véritable débat parlementaire, et non le recours aux ordonnances. En effet, eu égard aux délais annoncés, il n’y a aucune urgence. D’ailleurs, la dernière réforme constitutionnelle était censée limiter cette pratique qui prive le Parlement du plein exercice de ses pouvoirs.
En conclusion, les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés soutiennent que ce texte est irrecevable et estiment qu’il n’y a pas lieu d’en débattre car il contredit des principes constitutionnels tels que le pluralisme, l’indépendance des médias, l’égalité des citoyens devant les charges publiques et condamne à terme le service public de l’audiovisuel.