Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous connaissons tous le plus vieux métier du monde : celui d'avocat. La contrefaçon est probablement aussi l'une des plus anciennes activités du monde. Elle ne date pas d'hier. Si vous avez la curiosité de visiter le musée de la contrefaçon, vous y verrez le bouchon d'une amphore gallo-romaine, datant de plus de deux millénaires, qui imite une marque célèbre de l'époque, la marque Sestius.
Aujourd'hui, la contrefaçon donne le vertige, tant par son ampleur que par sa dangerosité.
Elle donne le vertige par son ampleur : ce ne sont pas quelques amphores, mais quinze tonnes de faux bocaux de salades tunisiennes qui ont été interceptées l'année dernière au port de Marseille. Comme cet exemple le montre, les textiles ou les produits de luxe, notamment les sacs et les montres, ne sont pas les seuls à être visés : la contrefaçon touche tous les secteurs de l'économie marchande, depuis les produits que je viens d'évoquer jusqu'aux médicaments, en passant par les jouets, les pièces détachées pour les automobiles ou les avions.
Au total, selon les informations, qui se recoupent, la contrefaçon pourrait représenter environ 10 % du commerce mondial, pour un montant de profits illicites compris entre 250 milliards et 400 milliards d'euros par an, soit l'équivalent de l'ensemble des prestations sociales que reçoivent les Français !
En outre, ce phénomène est en pleine expansion, quantitative, qualitative et géographique.
Expansion quantitative : à titre d'exemple, en trois ans, le nombre d'articles de contrefaçon saisis par les douanes a été multiplié par trois.
Expansion qualitative : la contrefaçon ne concerne plus seulement les biens matériels, elle concerne aussi maintenant des biens immatériels, comme les créations musicales ou cinématographiques.
Expansion géographique, enfin : aux zones « traditionnelles » de contrefaçon - la Chine, la Thaïlande, Taïwan, qui sont des points de passage ou d'origine quasi obligés - s'ajoutent désormais des pays comme le Pakistan, la Turquie ou, plus près de nous, l'Italie.
La mondialisation de l'économie, dont d'aucuns nous parlent régulièrement, se double évidemment d'une mondialisation de la contrefaçon, et l'on pourrait même imaginer une contrefaçon de la mondialisation, un certain nombre de biens matériels et immatériels circulant au travers des frontières et des fantômes siglés parcourant la planète et s'échangeant au rabais.
La contrefaçon donne aussi le vertige par la gravité de ses conséquences.
La contrefaçon est d'abord un danger pour l'esprit, car elle constitue une façon de dérober les fruits de la recherche et développement, de longues années de travaux, d'investissements considérables et elle est de nature à décourager l'ensemble des acteurs économiques d'investir dans cette innovation dont nous avons tant besoin. En effet, à quoi bon consentir de gros efforts de recherche et développement, à quoi bon consacrer des équipes entières à des projets de longue haleine si on peut, au détour d'une contrefaçon, empocher la mise ?
La contrefaçon est aussi un danger pour le corps : la bonne santé des consommateurs est menacée par la contrefaçon de médicaments ou de jouets, comme l'actualité nous le rappelle régulièrement. Il n'est que de se souvenir de ces enfants chinois victimes de contrefaçon de lait en poudre, par exemple, pour savoir qu'elle ne frappe pas seulement à nos portes.
Enfin, la contrefaçon est un danger pour la société : elle nuit à l'ordre public en favorisant l'essor du travail clandestin et des réseaux mafieux, qui sont très souvent associés au phénomène de contrefaçon.
À titre d'exemple, - et cela dénote le danger qu'elle constitue de toute évidence pour nos économies - elle serait responsable de la perte de 30 000 emplois par an en France.
Si la contrefaçon donne ainsi le vertige, c'est tout simplement qu'elle engendre dans les esprits la plus totale confusion. Comment reconnaître l'original de la copie, quand les logos sont identiques ? Quel est le juste prix, lorsqu'un objet d'apparence semblable peut être vendu dix euros dans la rue et cent derrière une vitrine ? Où est le vrai, où est le faux ? Les consommateurs perdent leurs repères et les entreprises leur identité.
La contrefaçon, comme je le disais tout à l'heure, n'est pas un phénomène récent. Platon, oui, Platon déjà, au Ve siècle avant notre ère, parlait de « vertige » en dénonçant, dans son dialogue du Sophiste, « les producteurs d'illusions, les marchands de copies, les trafiquants d'images ».
Pour toutes ces raisons, le renforcement de la lutte contre la contrefaçon s'avère plus que jamais nécessaire. Le Comité national anti-contrefaçon, le CNAC, réuni la semaine dernière par Hervé Novelli, a d'ailleurs souligné le consensus qui prévaut aujourd'hui sur ce sujet, de la part des institutions publiques comme des partenaires privés.
C'est pourquoi je suis heureuse aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, de venir devant vous présenter ce projet de loi contre la contrefaçon, destiné à inscrire dans notre droit interne un certain nombre de textes communautaires sur le sujet, principalement la directive 2004/48/CE.
Hervé Novelli, qui a grandement contribué à la préparation de ce texte, me remplacera au banc du Gouvernement pour la discussion des articles, car je dois partir, immédiatement après le début de cette séance, pour la Chine, où j'aurai l'occasion d'évoquer avec mon homologue chinois différents sujets, notamment celui de la contrefaçon.