Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 19 septembre 2007 à 16h00
Contrefaçon — Discussion d'un projet de loi

Christine Lagarde, ministre :

...la saisie-contrefaçon a prouvé son efficacité par le passé, et nous nous attacherons dans ce projet de loi à en étoffer le dispositif.

Deuxième étape : il s'agit de limiter les dégâts occasionnés. Pour ce faire, nous allons renforcer les mesures provisoires qui peuvent être prononcées à l'encontre des contrefacteurs, comme la saisie conservatoire des biens ou le blocage des comptes bancaires, et instaurer d'autres mesures provisoires à l'encontre, cette fois, des intermédiaires, notamment ceux qui sévissent sur Internet. Par ailleurs, les titulaires de droits de propriété intellectuelle pourront désormais demander au juge de faire rappeler des circuits commerciaux les marchandises contrefaites.

Troisième étape : pour démanteler plus aisément les réseaux, ce projet de loi va consacrer le droit d'information, qui permet d'exiger que les personnes interpellées fournissent des informations sur l'origine de leur marchandise et leurs réseaux de distribution.

Quatrième étape : pour juger efficacement les cas de contrefaçons, notre droit prévoit déjà la spécialisation de certains contentieux de propriété industrielle, par exemple dans les domaines des semi-conducteurs ou des marques communautaires. Notre projet de loi, en mettant en oeuvre le règlement n° 6/2002 de la Communauté européenne, permettra de spécialiser également les actions relatives aux dessins et modèles communautaires.

Étant donné la complexité juridique et technique de ce type de contentieux, le principe de spécialisation des juridictions pourrait être étendu à tous les droits de propriété intellectuelle. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, du travail scrupuleux, approfondi et déterminé que vous avez mené pour défendre cette idée. Le Gouvernement sera a priori favorable à l'amendement que la commission des lois présentera en ce sens.

Cinquième étape : pour mieux dédommager les victimes de la contrefaçon, le projet de loi permettra au juge de calculer les dommages et intérêts en prenant en compte, au titre du préjudice causé, les bénéfices réalisés par le contrefacteur. Si ceux-ci ne peuvent être prouvés, le plaignant aura la possibilité de demander au juge un montant forfaitaire de dommages et intérêts pour dissuader le contrefacteur de poursuivre ses agissements et le sanctionner de manière exemplaire. Cette nouvelle disposition juridique représente un progrès essentiel car il s'agit bien, en l'occurrence, de décourager la contrefaçon. Pour cela, il faut faire payer les responsables et ceux qui ont tiré des revenus illicites de ce commerce lui-même illicite.

Voilà donc l'ensemble des mesures que nous vous proposons d'adopter pour mieux réprimer la contrefaçon. En effet, n'oublions pas que lutter contre la contrefaçon, c'est aussi défendre la propriété industrielle ainsi que l'intelligence et la recherche investies dans cette propriété intellectuelle.

Dans certains domaines particuliers comme celui du médicament, le droit de la propriété industrielle doit connaître un certain nombre d'aménagements rendus nécessaires par le caractère spécifique de l'activité ainsi que par les écarts considérables de développement entre les pays développés, qui accueillent en général la plupart des titulaires de brevets, et les pays en voie de développement ou émergents, où s'expriment en général la plus grande partie des besoins dans ce domaine.

Notre projet de loi prévoit ainsi l'octroi de licences obligatoires pour les brevets de produits pharmaceutiques destinés à être exportés vers des pays connaissant des problèmes de santé publique, c'est-à-dire essentiellement des pays en voie de développement. Il ne sera donc plus nécessaire de « contrefaire » des médicaments, tout simplement parce qu'on pourra les « faire » de manière légale grâce à ces licences obligatoires. Au lieu d'être copiés mal et vendus cher, comme c'est souvent le cas, ils seront fabriqués dans de bonnes conditions et pourront profiter à tous.

Nous traduisons ainsi dans notre droit le règlement n° 816/2006 du Conseil et du Parlement européen, qui applique une décision du Conseil général de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, datée du 30 août 2003. Cette décision met en oeuvre le paragraphe 6 de la déclaration de Doha du 14 novembre 2001 sur l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - les fameux ADPIC - et la santé publique qui prévoit un certain nombre de dispositions en matière de propriété intellectuelle au profit des pays émergents.

Cette chaîne complexe qui va de Doha à Bruxelles puis enfin à Paris répond à une préoccupation simple et très humaine : il s'agit de permettre aux populations les plus défavorisées, partout sur la planète, de pouvoir se procurer les médicaments nécessaires à leur survie, surtout dans l'hypothèse de pandémies. La France est fière de pouvoir participer à une initiative aussi généreuse, conforme à sa tradition humaniste et à l'idée qu'elle se fait du progrès universel. La mondialisation ne s'applique pas seulement aux marchandises, elle concerne aussi les valeurs. Cette mondialisation des valeurs est exprimée de manière tout à fait concrète par la transposition dans notre droit d'une disposition résultant de la déclaration de Doha.

Naturellement, les médicaments pour lesquels des licences obligatoires auront été délivrées afin de les fabriquer et de les développer dans des pays émergents ou en voie de développement continueront à être protégés par le brevet. Les titulaires des droits de propriété intellectuelle pourront s'opposer à toute réimportation ou commercialisation sur le territoire français - lorsqu'il s'agit de brevets français - de produits qui auront été fabriqués en vertu des licences obligatoires à destination de pays en développement. Ainsi, pour répondre au souci des titulaires de brevets et d'autorisations de mise sur le marché de produits pharmaceutiques, un bon équilibre devrait être préservé entre les intérêts de nos entreprises et les besoins des pays en voie de développement.

Pour conclure, la lutte contre la contrefaçon ne s'arrête pas à ce projet de loi ni aux secteurs visés par ce texte. Elle se poursuit bien entendu au niveau national : il y a une quinzaine de jours, Christine Albanel et moi-même avons ainsi confié à Denis Olivennes une mission spécifique consacrée à la lutte contre le téléchargement illicite. J'espère que cette mission aboutira rapidement à des propositions concrètes, afin de mieux lutter contre une des formes les plus biaisées de la contrefaçon, à savoir la réplication illicite et quasiment sans limite, compte tenu du mode de diffusion, des oeuvres de l'esprit.

De plus, la prochaine loi de finances allégera la fiscalité relative à la propriété intellectuelle : c'est une autre façon d'encourager la créativité, la recherche et le développement dans le domaine intellectuel. Un taux réduit de 15 % sera appliqué aux revenus tirés des cessions de brevets, ce qui permettra de supprimer l'écart de coût fiscal entre l'octroi de licence et la cession de brevet. Nous assouplirons également le régime fiscal des apports de brevet. Quant à la réduction accordée aux PME sur les principales redevances de dépôt de brevets, nous allons la doubler, de 25 % à 50 %.

Bien sûr, la lutte contre la contrefaçon se joue pour l'essentiel au niveau européen et international. La contrefaçon est un phénomène qui, par nature, défie les frontières : une pratique de plus en plus répandue consiste par exemple, pour échapper aux contrôles, à expédier les produits contrefaisants non pas dans des conteneurs ou sous une forme lourde permettant la saisie dans des conditions facilitées, mais en fractionnant les envois en petites quantités, par toutes les voies postales et modes de fret express disponibles.

Dans le cadre communautaire, un projet de texte d'harmonisation des mesures pénales en matière de défense des droits de propriété intellectuelle est actuellement en cours de discussion, et la France participe activement aux négociations. Par ailleurs, la création d'un système juridictionnel unifié pour le contentieux des brevets en Europe me paraît également un élément essentiel pour améliorer la compétitivité de nos entreprises. Le Gouvernement souhaite que cette question soit traitée rapidement.

Enfin, sur la scène internationale, la France n'est pas en reste : lors du G8 d'Heiligendamm, en juin dernier, nous avons proposé de créer une structure internationale, un véritable « GAFI contrefaçon », destiné à protéger et à promouvoir l'innovation ainsi qu'à permettre des échanges d'informations constants entre autorités compétentes. Nous nous employons désormais auprès de nos différents partenaires à traduire ce projet dans les faits. À court terme, des mesures relatives à la coopération douanière ou à l'assistance technique des pays en développement devraient être mises en place, tandis que les discussions de fond à plus long terme ont été confiées à l'OCDE dans le cadre du processus dit d'Heiligendamm.

Pensant aux enfants victimes des contrefaçons de jouets et, surtout, à ces enfants chinois victimes des contrefaçons de lait, pensant à tous nos chercheurs, ici et ailleurs, qui n'épargnent ni leur temps ni leur énergie, et pensant à celles de nos entreprises qui consacrent encore trop peu de leurs ressources à la recherche, j'espère vous avoir convaincus, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement prend extrêmement au sérieux la menace de la contrefaçon et met en oeuvre tous les moyens dont il dispose pour lutter efficacement contre ses méfaits.

Les marchands de contrefaçon nous donnent le vertige, je le disais tout à l'heure. Grâce à l'excellent travail déjà réalisé dans cette assemblée et aux débats que vous allez poursuivre dans le cadre naturel de l'examen de ce projet de loi, nous allons leur remettre les pieds sur terre et ranger un certain nombre de contrefaçons au musée du même nom. J'espère également que nous pourrons, sinon mettre fin, tout du moins limiter, dans la mesure de nos moyens, ces courants d'affaires parfaitement illicites qui représentent un enjeu industriel mais également de sécurité car, bien souvent, les questions de contrefaçon sont liées aussi à des trafics.

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