Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 19 septembre 2007 à 16h00
Contrefaçon — Discussion d'un projet de loi

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet de loi de lutte contre la contrefaçon vise à transposer dans notre droit interne la directive européenne du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Si nous ne contestons pas, sur le plan du principe, le bien-fondé d'un renforcement de la protection des détenteurs de droits de propriété intellectuelle, nous pensons que la lutte contre la contrefaçon ne peut se réduire à une modification de la législation : les comportements des entreprises et des pouvoirs publics, mais également ceux des consommateurs, doivent eux aussi évoluer.

Ce projet de loi ne peut donc être résumé à la simple transposition d'une directive, car il comporte plusieurs modifications substantielles de notre organisation judiciaire, sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants, et a une véritable portée politique.

Le Gouvernement place la contrefaçon dans un cadre strictement économique et hexagonal, alors que personne n'ignore que son ampleur dépasse le cadre de nos frontières et celui de nos entreprises. Je crois nécessaire, par conséquent, de resituer ce projet de loi dans son contexte.

La contrefaçon ferait perdre chaque année plus de 6 milliards d'euros à la France et détruirait plus de 30 000 emplois. Évidemment, ce constat ne peut laisser indifférent. Nous sommes aujourd'hui confrontés à une pratique qui n'est plus artisanale, mais représente une véritable industrie. Il est donc important de modifier notre appréhension de ce phénomène devenu extrêmement organisé et planétaire.

Les filières de contrefaçon ont, bien entendu, profité des failles que présente notre économie mondialisée. En tant que pays développé, nous ne pouvons fermer les yeux sur le lien qui existe entre la contrefaçon et les délocalisations ou l'exploitation des travailleurs, adultes et enfants, des pays en développement. Les entreprises ont elles aussi une part de responsabilité dans cette situation.

Ainsi, nous savons bien que les grandes marques - je pense en particulier à l'industrie du luxe - étiquettent en France des produits élaborés dans une mesure plus ou moins large dans des pays en développement, par une main-d'oeuvre surexploitée et misérable. Ces pays, une fois en possession des savoir-faire et des technologies exportés par la firme, disposent de tous les outils nécessaires à la contrefaçon.

La lutte contre la contrefaçon ne peut donc se cantonner au simple champ judiciaire. Freiner les délocalisations de productions et repenser nos modèles d'échanges avec les pays en développement constituerait, à mon avis, un autre élément de la lutte contre la contrefaçon.

Malheureusement, le projet de loi n'envisage la contrefaçon que dans sa dimension hexagonale et, de plus, du seul point de vue des entreprises victimes de contrefaçon, les consommateurs étant les grands oubliés du texte.

Pourtant, la contrefaçon touche désormais la quasi-totalité des secteurs. L'industrie du luxe n'est plus seule visée : toutes les catégories de biens de consommation sont aujourd'hui concernées. La contrefaçon de médicaments, de jouets, de lunettes de soleil, d'appareils domestiques ou encore de pièces de rechange pour les automobiles ne peut donc être réduite à un simple manque à gagner pour les entreprises : la santé et la sécurité publiques sont elles aussi directement menacées lorsqu'il est question de contrefaçon. Or le projet de loi ne prend pas en compte cette problématique.

Notre rapporteur, en revanche, s'est saisi du problème : il propose un amendement visant à instaurer des sanctions plus sévères lorsque la contrefaçon porte atteinte à la santé et à la sécurité des personnes. Dans ce cas précis, la peine maximale passerait de trois à cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 à 500 000 euros d'amende.

Si je ne conteste pas le renforcement de la lutte contre la contrefaçon lorsque celle-ci constitue un danger pour les consommateurs, je ne peux que regretter que la seule réponse apportée soit toujours un durcissement des sanctions ou la création d'une circonstance aggravante. Des sanctions civiles, douanières et pénales existent déjà.

Cette remarque ne s'applique pas uniquement à ce texte. L'option qui est systématiquement choisie est la solution de facilité : au lieu de s'attaquer concrètement aux causes d'un phénomène, on réprime toujours plus sévèrement.

La contrefaçon est souvent liée à la criminalité organisée, aux réseaux de blanchiment d'argent. Je ne pense pas que les personnes qui sont à la tête de ces réseaux seront plus inquiètes une fois cet amendement adopté.

Augmenter les moyens et les personnels des services de police et des douanes chargés de démanteler ces réseaux criminels semblerait bien plus efficace. Mais force est de constater que nous débattons régulièrement de cette question et que nous ne partageons guère le même point de vue !

De façon assez étonnante, le renforcement de la lutte contre la contrefaçon peut également avoir des effets pervers. C'est le cas dans le domaine agricole.

Si l'on prend l'exemple des obtentions végétales, la loi du 1er mars 2006 entérine le principe du brevetage des semences agricoles utilisées par les agriculteurs : elle porte ainsi atteinte à leur droit à pouvoir réutiliser la semence issue de leur propre récolte.

Or, le projet de loi que nous examinons renforce les sanctions à l'encontre des contrefacteurs dans le domaine des obtentions végétales. Les agriculteurs vont donc se retrouver dans une situation totalement « verrouillée » qui aurait mérité, à nos yeux, un débat à part entière.

Après avoir resitué le projet de loi dans son contexte, j'en viens à son contenu.

Ce texte s'articule autour de trois axes : le renforcement des procédures simplifiées et accélérées de saisine du juge, la modification du calcul des dédommagements liés au préjudice du fait de la contrefaçon et l'introduction d'un droit d'information destiné à lutter contre les réseaux de contrefaçon.

Sur les deux premiers points, le projet de loi opère une petite révolution de notre organisation judiciaire.

Tout d'abord, la directive impose aux États membres de mettre en place des procédures permettant d'obtenir rapidement des mesures provisoires et conservatoires efficaces. Actuellement, seul le référé le permet. De telles mesures ne peuvent être obtenues par requête non contradictoire. La directive, dans son article 9.4, prescrit aux États membres de veiller à ce que ces mesures provisoires « puissent, dans les cas appropriés, être adoptées sans que le défendeur soit entendu ».

En conséquence, le projet de loi introduit de nouveaux mécanismes de procédures accélérées et simplifiées de saisine du juge. Toutefois, ces dernières n'étant pas contradictoires, elles ne respectent pas l'égalité des armes entre les parties au procès.

Les magistrats entendus par le rapporteur ont, à juste titre, soulevé le problème de l'extension dans notre droit de procédures où le défendeur ne peut être entendu : elles apparaissent contraires aux droits de la défense.

Il nous semble difficilement concevable d'entériner une telle inégalité entre les parties, même si la lutte contre la contrefaçon nécessite de s'adapter aux évolutions de cette dernière.

Ensuite, le nouveau calcul de la réparation du préjudice pose lui aussi problème. En effet, le projet de loi, qui reprend les termes de l'article 13.1 de la directive, prévoit que les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur seront pris en compte par le tribunal pour évaluer le préjudice résultant de la contrefaçon. II est également prévu que le tribunal peut allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte.

Je souhaiterais faire deux remarques sur les notions de bénéfices injustement réalisés et d'indemnisation forfaitaire.

La jurisprudence, qui se fonde sur l'article 1382 du code civil, a toujours refusé de prendre en compte les bénéfices injustement réalisés dans le calcul des dommages et intérêts, ceux-ci devant « réparer le préjudice sans qu'il en résulte pour la victime ni perte ni profit ». Le préjudice doit donc être réparé de manière stricte et intégrale - ce qui semble incompatible avec la prise en compte des bénéfices injustement réalisés -, mais également de façon concrète et précise. Or, l'indemnisation forfaitaire semble elle aussi incompatible avec toute évaluation concrète et précise du préjudice.

En guise de conclusion, si le renforcement de la lutte contre la contrefaçon est aujourd'hui nécessaire, notamment parce que la santé et la sécurité des consommateurs sont de plus en plus souvent en jeu, il ne faut cependant pas enfreindre les principes fondateurs de notre droit.

Par ailleurs, la seule répression ne peut suffire. L'action en amont des services de police et des douanes visant notamment à démanteler les réseaux est tout aussi importante que la répression, sinon davantage. Je considère qu'il vaut mieux éviter la mise sur le marché de produits contrefaisants.

Adopter de nouvelles lois doit toujours conduire à nous interroger sur les moyens de leur mise en oeuvre. La disparition des frontières ne doit pas justifier les suppressions d'emplois dans les services des douanes. Il est pourtant question de supprimer 638 postes entre 2006 et 2008.

La preuve de mon propos est apportée par ce phénomène très diversifié et mondialisé qu'est la contrefaçon : la suppression des frontières facilite le transit de marchandises contrefaisantes. Je ne peux donc que défendre l'idée selon laquelle une forte présence douanière reste indispensable sur notre territoire.

Lutter contre la contrefaçon est l'affaire de tous et doit reposer sur un partenariat entre les pouvoirs publics, les entreprises et les consommateurs.

Prenons l'exemple la ville de Saint-Denis : elle a signé, hier, une convention avec l'Union des fabricants par laquelle elle s'engage à lutter contre les produits contrefaisants vendus aux abords du Stade de France durant la Coupe du monde de rugby et à sensibiliser les consommateurs, les commerçants et les habitants au développement d'une coopération renforcée avec la police, la gendarmerie, les douanes et les services fiscaux. Saint-Ouen, Nice ou encore Saint-Tropez avaient déjà signé de telles conventions.

La réduction des moyens des services publics régaliens ne peut donc aller dans le sens d'une lutte accentuée contre la contrefaçon.

Mon propos fut quelque peu critique à l'encontre de ce projet de loi. On ne peut s'en tenir à une simple transposition. Un débat sur la contrefaçon nécessite de discuter de l'ensemble des aspects et des enjeux qu'elle comporte. Or, sur ce plan, ce projet de loi s'avère nettement insuffisant. Aussi, nous nous abstiendrons lors du vote sur ce texte.

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