Intervention de Richard Yung

Réunion du 19 septembre 2007 à 16h00
Contrefaçon — Discussion d'un projet de loi

Photo de Richard YungRichard Yung :

Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cet été encore, les saisies de marchandises contrefaisantes ont été nombreuses et ont fait l'actualité.

Je citerai quelques exemples. Le plus symptomatique - et le plus grave d'ailleurs - est certainement la découverte de milliers de faux tubes de dentifrice portant la marque Colgate dans des grandes surfaces aux États-Unis. Ce dentifrice, produit en Chine, contenait un produit chimique extrêmement toxique qui aurait fait une quarantaine de victimes.

En juillet dernier, à Nice, les douaniers ont saisi 15 000 articles de sport : chaussures, casquettes, etc.

Le 29 août, en Italie, à l'aéroport de Rome, 300 000 jouets et articles d'habillement ont été saisis.

La contrefaçon est donc bien devenue un phénomène quotidien. Pourtant, en dépit de ces saisies, la plupart de nos concitoyens la perçoivent comme bénigne.

En effet, dans un sondage réalisé en 2006 par l'IFOP, 35 % des Français déclarent acheter ou être prêts à acheter des produits contrefaisants. Exhiber, au retour de Hong Kong, sa belle Rolex payée quinze euros est un classique des dîners en ville. Un tel achat ne provoque pas de sentiment moral négatif ; il nous appartient de les conduire à modifier leur appréciation.

Cela montre combien il est nécessaire de poursuivre les campagnes de prévention et de sensibilisation. La lutte contre la contrefaçon ne doit pas se borner à réduire l'offre de produits contrefaisants, c'est-à-dire à taper sur les stocks qui arrivent dans notre pays. Elle doit également consister - et il me semble que c'était aussi le message de l'orateur précédent - à changer les mentalités en expliquant que la contrefaçon constitue un délit dont les conséquences sont particulièrement graves et que celui qui s'y prête - le consommateur, l'acheteur - participe à cette injustice et à cette infraction.

L'une des caractéristiques de la contrefaçon moderne réside dans le fait que les contrefacteurs font désormais usage des nouveaux canaux offerts par la mondialisation. La contrefaçon est aujourd'hui pratiquée essentiellement par de véritables filières organisées : elles possèdent des outils de production de masse parfois à la pointe de la technologie et sont aussi souvent liées à des réseaux mafieux de toutes sortes qui existent dans les pays concernés.

Le phénomène de la contrefaçon n'est cependant pas nouveau. Ce qui a changé, c'est surtout le volume des produits contrefaisants et leur valeur. Les chiffres ayant déjà été donnés, je rappelle simplement que la contrefaçon entraîne la disparition de 30 000 emplois en France et une perte de 250 millions d'euros de PIB à l'échelle mondiale.

La nature des produits contrefaisants a également évolué. Longtemps cantonnée aux seuls produits de luxe - les montres, les carrés de soie ou les sacs à main que l'on allait acheter sur certains marchés asiatiques -, la contrefaçon s'étend désormais à tous les produits de consommation courante, comme le textile, mais également aux produits technologiques, aux médicaments, aux pièces détachées, aux parfums, aux logiciels, etc.

La géographie de la contrefaçon aussi a changé.

D'anciens pays contrefacteurs, comme le Japon et la Corée, sont à présent très impliqués dans la lutte contre la contrefaçon. Bien entendu, certaines situations demeurent en Asie. Ainsi, la Chine reste, si je puis dire, le champion toutes catégories de la contrefaçon : elle est probablement à l'origine des deux tiers des produits contrefaisants saisis dans l'Union européenne. D'où l'importance de la visite que Mme Lagarde va effectuer en Chine.

Toutefois, on peut penser qu'à mesure qu'elle se développera et accroîtra son portefeuille de marques - plus de 360 000 brevets ont été déposés l'an dernier -, que d'autres pays asiatiques comme la Thaïlande ou la Birmanie ne manqueront pas de contrefaire, la Chine sera sensibilisée au problème de la contrefaçon et commencera à agir de façon significative.

C'est ce qui s'est produit avec le Japon, qui a été pendant longtemps un pays contrefacteur. Aujourd'hui, il est à la pointe de la lutte anti-contrefaçon, y compris en Chine.

Quant aux conséquences de la contrefaçon sur les consommateurs, elles sont les plus dangereuses : le non-respect des normes et des règles de sécurité des produits copiés met en danger la santé des consommateurs. Bien que le niveau général des contrefaçons semble s'améliorer - peut-être ne faudrait-il d'ailleurs pas le dire -, les produits contrefaisants restent, bien sûr, de moins bonne qualité que les produits contrefaits. La plupart des médicaments contrefaisants sont, par exemple, dépourvus de tout principe actif. Plus grave encore, ils contiennent parfois des produits extrêmement nocifs.

Il s'agit d'un secteur important de la contrefaçon, car la marge bénéficiaire y est l'une des plus élevées, au point de remplacer le trafic de drogue. C'est une raison de plus pour agir dans ce domaine.

Par ailleurs, le commerce des marchandises contrefaisantes participe aussi au financement de nombreuses organisations mafieuses et terroristes ; je pense, notamment, à la guérilla colombienne, qui pratique la contrefaçon pour blanchir l'argent du trafic de drogue.

Pour contrecarrer ce fléau, la France possède un arsenal juridique particulièrement répressif.

Pendant longtemps, au Moyen Âge et au xvie siècle, la contrefaçon était punie de la peine de mort. Et encore récemment, indépendamment du développement de la contrefaçon, la Chine fusillait de temps en temps une dizaine de contrefacteurs pour montrer sa bonne volonté en la matière. Heureusement, les choses ont évolué !

Le système français de lutte contre la contrefaçon se fonde d'abord sur des actions de prévention menées, en particulier, par le Comité national anti-contrefaçon, le CNAC, le Comité Colbert et l'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI.

Notre système juridique comprend un outil remarquable : la procédure de saisie-contrefaçon. Seules la France et la Belgique appliquent cette mesure. L'un des mérites du texte est de la généraliser à tous les pays européens.

J'en viens à la transposition des directives européennes. On dit que la France accomplit des progrès en matière de transposition des directives. Il convient de nuancer cette assertion, car la directive du 29 avril 2004 aurait dû être transposée dans notre droit avant le 29 avril 2006. Quant à la directive du 6 juillet 1998, elle aurait dû être transposée avant le 20 juillet 2000. Ce retard est d'ailleurs incompréhensible dans la mesure où il s'agit de textes qui ne sont pas très controversés.

Le présent projet de loi est de nature technique. Il tend à transposer la directive du 29 avril 2004, qui vise à punir plus sévèrement la contrefaçon effectuée à des fins commerciales. Il vise également à transposer la directive du 6 juillet 1998 sur la protection juridique des inventions biotechnologiques. Enfin, il a pour objet de mettre en oeuvre deux règlements européens : l'un sur les dessins et modèles communautaires, l'autre sur l'octroi des licences obligatoires pour les brevets visant à la fabrication des produits pharmaceutiques destinés aux pays en voie de développement. Ce dernier texte, je tiens à le souligner, est important politiquement. Ce sujet a évidemment donné lieu à de nombreux débats entre les pays développés et les pays en voie de développement, dans le cadre de l'OMC et des différents forums sur les problèmes d'accès aux médicaments pour les pays pauvres.

En transposant ce règlement européen dans sa propre législation, la France montre l'exemple. Elle témoigne également de son attachement à la possibilité pour les pays en voie de développement d'accéder aux médicaments à des prix raisonnables pour eux, même si, en pratique, les effets de ce règlement seront relativement limités. Car il est peu probable qu'un pays en voie de développement demande une licence obligatoire pour fabriquer des médicaments en France pour son propre compte. Il demandera plutôt une licence obligatoire pour fabriquer des médicaments soit sur son territoire, soit sur celui d'un pays voisin, lui aussi en voie de développement.

Afin d'améliorer la prévention des actes de contrefaçon, le projet de loi prévoit la mise en oeuvre de mesures provisoires et conservatoires : interdiction de la poursuite de la contrefaçon, constitution de garanties, saisie conservatoire, dommages et intérêts provisionnels. Ainsi les victimes pourront-elles saisir le juge par le biais d'un référé ou d'une requête afin de demander l'application de ces mesures. Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que la directive de 2004 tende à introduire cette procédure, inspirée de la saisie-contrefaçon à la française, dans les législations des autres États.

Par ailleurs, l'introduction du droit d'information, qui est aujourd'hui prévu par le droit allemand, constitue sans doute la principale innovation du texte. Ce nouveau droit devrait permettre de démanteler plus facilement les réseaux de contrefaçon. Concrètement, le juge pourra ordonner la communication d'informations concernant l'origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services contrefaisants. Cette procédure sera d'autant plus efficace qu'elle concernera également les personnes trouvées en possession de produits contrefaisants.

Le texte vise également à améliorer la réparation du préjudice né de la contrefaçon, qui constituait le maillon faible de notre dispositif juridique. Actuellement, pour évaluer ce préjudice, le juge tient compte du gain manqué, des profits perdus et de l'atteinte à l'image de marque. Toutefois, ce système est insuffisant. Il est également aléatoire, car l'indemnisation de ce type de préjudice n'est aujourd'hui régie par aucun texte législatif.

Si le contrefacteur vend 1 000 produits contrefaisants alors que la victime a la capacité de produire seulement 100 produits, cette dernière ne sera indemnisée que sur la base de 100. C'est un encouragement au vice ! En effet, le contrefacteur qui a fabriqué 1 000 produits ne sera taxé que sur une centaine d'entre eux ; les 900 restants représenteront donc un bénéfice net. Au fond, le paiement des dommages et intérêts ne représentera qu'une petite partie de ses coûts de production. Cette transposition me paraît donc positive.

Les nouvelles dispositions devraient également permettre de contrecarrer la pratique répandue du forum shopping, qui permet à un requérant de choisir, parmi les juridictions compétentes, celle qui sera la plus clémente. C'est vrai, en particulier, en matière de brevets et de marques. Le dispositif qui permet, comme l'on dit, de frapper au portefeuille, me paraît un processus honnête.

Par ailleurs, je souscris totalement aux observations de M. le rapporteur lorsqu'il évoque la nécessité de renforcer la spécialisation des juridictions dans le domaine de la propriété intellectuelle ; j'ai d'ailleurs déposé un amendement identique à celui de la commission. C'est un point extrêmement important pour l'avenir du système de propriété industrielle en France. Il s'agit en effet de mettre la France en position d'être l'un des principaux pays en matière de défense de la propriété industrielle en Europe, avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne, qui ont des tribunaux de grande qualité en matière de propriété industrielle.

Pour terminer, je formulerai deux remarques un peu éloignées de l'objet même du texte.

En premier lieu, il me semble que la coopération internationale est devenue cruciale dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon. Bien sûr, nous légiférons dans le cadre national, nous prenons toutes les mesures nécessaires, mais chacun a bien conscience que la lutte contre la contrefaçon doit être menée à l'échelon mondial.

La présidence française de l'Union européenne pourrait être l'occasion de prendre des initiatives visant à renforcer la coopération judiciaire européenne en matière de lutte contre la contrefaçon. Différentes possibilités existent : nous pourrions ainsi proposer la création d'un réseau européen chargé de la lutte contre la contrefaçon, un peu sur le modèle du CNAC, ou encore - et c'est l'une des propositions du rapport Lévy-Jouet - l'instauration d'un groupe international de lutte contre la contrefaçon sur le modèle du groupe d'action financière internationale, le GAFI, comme l'a évoqué Mme la ministre.

En second lieu, des progrès doivent être accomplis sur le plan juridictionnel en matière de brevet, notamment en ce qui concerne le brevet européen. La France a fait des propositions dans ce domaine ; nous devons essayer de les faire aboutir.

Pour toutes ces raisons, nous apporterons notre soutien à ce projet de loi et aux principaux amendements qui ont été déposés.

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