Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en 2006, lors de son audition devant la commission des relations internationales de la Chambre des représentants des États-Unis, M. Ronald K. Noble, secrétaire général d'Interpol, déclarait : « La contrefaçon est une activité criminelle à part entière qui n'est pas en périphérie des autres, mais bien au coeur de celles-ci. »
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui traite en effet d'un problème majeur et inquiétant, auquel notre pays est confronté, comme tous les autres pays du globe, et auquel nous nous devons d'apporter des réponses encore plus efficaces.
Clandestines, internationales et évolutives, les activités de contrefaçon sont à la fois particulièrement destructrices pour nos économies et, malheureusement, dangereuses pour les consommateurs.
Plus aucun domaine n'est épargné. Tous les secteurs économiques sont touchés. En effet, le trafic des marchandises contrefaites concerne non seulement l'industrie de luxe, mais également, et de manière croissante, les divers produits de consommation courante. L'opinion publique ignore encore l'ampleur et les conséquences de ce véritable fléau sur sa vie quotidienne, au point que 35 % de nos concitoyens déclarent ouvertement acheter sans scrupules des produits de contrefaçon, qu'il s'agisse de vêtements de marque, de parfums, de maroquinerie, de chaussures, de CD, de DVD, ou autres.
Or cette méconnaissance représente peut-être l'un des aspects les plus inquiétants de la contrefaçon. Car l'augmentation du phénomène, singulièrement en matière de médicaments, de pièces détachées de véhicules et de denrées alimentaires, représente un réel danger pour les consommateurs, les produits contrefaits n'offrant évidemment pas, loin s'en faut, toutes les garanties en termes de sécurité et de qualité.
Ainsi, les exemples de faux médicaments, fréquemment destinés aux régions les moins développées, sont nombreux et font froid dans le dos : les douanes ont découvert de l'aspirine à base de talc sur un marché du Burkina Faso, des collyres fabriqués avec de l'eau croupie au Nigeria et des pommades composées de sciure et de café au Mexique. Beaucoup plus grave, en 1995, un sirop de paracétamol contre la toux, préparé avec de l'antigel, a causé la mort de quatre-vingt-neuf personnes en Haïti et, trois ans plus tard, celle de trente nourrissons en Inde.
Les chiffres qui illustrent cette situation funeste de l'industrie des faux médicaments parlent d'eux-mêmes. Selon l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, près de 30 % des médicaments consommés dans les pays en voie de développement sont contrefaits. Sur le million de personnes qui meurent chaque année du paludisme, 200 000 individus pourraient être sauvés si des médicaments authentiques étaient distribués.
La contrefaçon de médicaments pourrait rapporter 60 milliards d'euros en 2010, soit deux fois plus qu'aujourd'hui. Dans ce domaine, cela a été rappelé, les saisies des douanes explosent.
L'utilisation massive d'Internet a considérablement aggravé la situation.
En effet, si les circuits de fabrication et de distribution sont suffisamment organisés et réglementés dans les pays industrialisés, la vente de tels produits explose grâce à Internet et elle concerne le plus souvent les médicaments de « style de vie », tels que les .stimulants de tous ordres ou encore les « coupe-faims ». Nous en connaissons les conséquences dramatiques et souvent irréversibles, qui ont malheureusement fait de trop nombreuses victimes.
Dès lors, on comprend bien l'importance de la lutte anti-contrefaçon, qui passe obligatoirement par l'information et la sensibilisation du grand public. Les consommateurs ne doivent plus être les victimes des dangers que la contrefaçon représente pour leur santé et leur sécurité.
Les conséquences de la contrefaçon sont désastreuses du point de vue non seulement de la sécurité sanitaire, mais également de l'économie. Cela représente des pertes de parts de marché, crée de la concurrence déloyale et perturbe les réseaux de distribution.
Les effets de la contrefaçon sont également mesurables en termes d'emplois : celle-ci serait responsable de la perte de 30 000 à 50 000 emplois par an en France !
Cette économie parallèle se révèle particulièrement nuisible aux entreprises et décourage in fine l'innovation, la création et la recherche. Or, nous le savons bien, la croissance des pays développés repose de plus en plus sur ces trois domaines.
Selon les estimations, le commerce des produits contrefaits représente aujourd'hui 10 % du commerce mondial, contre 5 % en 2000, pour un montant de profits qui est estimé entre 250 milliards et 400 milliards d'euros.
En 2004, dans la seule industrie informatique, le taux de piratage de logiciels européens était de 35 %, soit un manque à gagner de 10 milliards d'euros par an. La France affiche toujours l'un des plus forts taux européens de contrefaçon, avec 45 % de logiciels piratés.
Or, selon une récente étude, une réduction de dix points de la contrefaçon de logiciels permettrait la création de trente mille emplois en quatre ans dans ce secteur et une augmentation des recettes de 14 millions d'euros.
Les méthodes utilisées par les contrefacteurs constituent un véritable défi. Les produits fabriqués contrefaits sont de plus en plus difficilement détectables et les contrefacteurs proposent, hélas ! une offre très diversifiée
L'implication des réseaux criminels, voire d'organisations mafieuses, dans le trafic mondial de la contrefaçon et de la piraterie est parfaitement démontrée.
Autre constat alarmant, l'extension des zones géographiques impliquées dans le flux des produits contrefaits. Aux zones traditionnelles - Asie du sud-est, bassin méditerranéen, Europe du sud - viennent désormais s'ajouter de nouveaux arrivants, notamment des pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est.
Mes chers collègues, tous ces constats, préoccupants et inquiétants, appellent une mobilisation sans faille de l'ensemble des acteurs concernés et, au premier chef, des pouvoirs publics.
Quelle est la réponse des pouvoirs publics face à ce phénomène en progression continue ?
La France s'est rapidement dotée d'instruments juridiques assez efficaces, qui lui ont permis d'être pendant longtemps à l'avant-garde de la lutte contre la contrefaçon et la protection de la propriété industrielle. Si les premières lois protectrices adoptées pour lutter contre ce fléau remontent à 1791, notre arsenal juridique s'est depuis progressivement renforcé, au point d'exposer aujourd'hui le contrefacteur à de lourdes sanctions civiles, pénales et douanières.
Malheureusement, devant l'habileté scélérate des contrefacteurs et l'inventivité dont ils font preuve, nous avons pris du retard. En effet, en étant la dernière à transposer la directive européenne, la France est, hélas ! devenue l'un des refuges privilégiés de ces « criminels ».
Quel est l'état actuel du droit ? Aujourd'hui, vous le savez, la contrefaçon est susceptible d'entraîner trois types de sanctions.
Des sanctions civiles, tout d'abord, permettent la condamnation du contrefacteur à des dommages et intérêts, la destruction de la marchandise et du matériel, ou encore la publication de la décision.
Des sanctions pénales, ensuite, font de la contrefaçon un délit punissable de 300 000 euros d'amende et de trois ans d'emprisonnement et, pour les contrefaçons de marques industrielles ou internationales, de 400 000 euros d'amende et de quatre ans d'emprisonnement. Ces peines sont portées à cinq ans de prison et à 500 000 euros d'amende si le délit est commis en bande organisée.
Des sanctions douanières, enfin, permettent de saisir d'office le produit ou d'appliquer la retenue douanière, mais aussi d'infliger des amendes douanières d'une à deux fois la valeur du produit authentique.
Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis permet de franchir une nouvelle étape dans le renforcement de notre législation et démontre bien l'action déterminée du Gouvernement pour combattre ce fléau.
Ce texte a pour principal objet de transposer la directive du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Cette directive, très largement inspirée par la France, introduit de nouveaux mécanismes destinés à lutter plus efficacement encore contre la contrefaçon.
Les instances communautaires ont, en effet, été convaincues de reprendre notre procédure de saisie-contrefaçon, mécanisme qui s'avère particulièrement efficace en matière de lutte contre les atteintes à la propriété industrielle. À cet égard, il peut paraître quelque peu paradoxal que nous soyons l'un des derniers pays à transposer cette directive, de surcroît tardivement, dans notre ordre juridique interne.
Le projet de loi, qui va permettre de lutter plus efficacement encore contre la contrefaçon, comporte trois avancées majeures, en conformité avec la directive.
En premier lieu, il prévoit un renforcement des procédures simplifiées et accélérées de saisine du juge civil, en particulier des requêtes non contradictoires, aujourd'hui limitées à la saisie-contrefaçon.
En deuxième lieu, le projet de loi crée un droit d'information destiné à contraindre les personnes en possession de marchandises contrefaisantes à fournir des informations sur leur origine et sur leurs réseaux de distribution.
Enfin, la troisième avancée du projet de loi consiste en l'amélioration attendue de la réparation du préjudice dû à la contrefaçon.
Ainsi les dommages et intérêts devront-ils désormais soit prendre en compte les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur, soit être fixés de manière forfaitaire, ce forfait étant déterminé sur la base minimale des redevances que le titulaire de droits aurait perçues si le contrefacteur avait demandé son autorisation.
Il est important de souligner que ces trois avancées sont déclinées dans le projet de loi pour tous les types de droits de propriété intellectuelle : dessins et modèles, brevets, marques, propriété littéraire et artistique.
Défendre la propriété industrielle est un enjeu majeur, car il s'agit avant tout d'un outil au service de l'innovation et de la créativité. Or, l'innovation et la créativité sont au coeur même de la création de valeur et de croissance économique de notre pays.
Sous l'impulsion de notre excellent rapporteur, Laurent Béteille, dont je tiens ici à saluer, au nom de notre groupe, l'excellent travail, la commission des lois a proposé de compléter la transposition de la directive en adoptant des mesures complémentaires importantes qui rendront le texte encore plus efficace.
Il s'agit des dispositions suivantes : transposer aux droits du producteur de bases de données les mesures provisoires et conservatoires prévues à l'article 39 de la directive ; faire assumer la totalité des frais d'exécution forcée au contrefacteur condamné ; supprimer la notion « d'échelle communautaire » se référant à la notion de quantité de marchandises, difficile à apprécier et donc tout à fait inutile ; rationaliser l'organisation judiciaire en spécialisant certains tribunaux de grande instance ; sanctionner plus sévèrement les contrefaçons dangereuses pour la santé et la sécurité des personnes en en faisant une circonstance aggravante ; enfin, étendre les pouvoirs des douanes et des services judiciaires.
Je me réjouis que le Sénat saisisse l'occasion de l'examen de ce texte pour renforcer, au-delà de la directive, l'efficacité de la lutte contre la contrefaçon. Ainsi notre Haute Assemblée démontre-t-elle, une nouvelle fois, sa capacité d'initiative en apportant des solutions législatives pertinentes, efficaces et adaptées à un sujet de préoccupation particulièrement important.
Dans cet esprit, notre groupe propose d'instituer au Sénat un groupe d'étude, comme il en existe à l'Assemblée nationale. Compte tenu de l'importance du sujet et de ses multiples implications en matière économique, sociale et de santé publique, ce groupe pourrait utilement suivre la mise en oeuvre de ce texte, en apprécier les résultats et, le cas échéant, suggérer de nouvelles mesures susceptibles de briser définitivement ce fléau.
À l'issue de notre débat, je présenterai au président du Sénat une demande en ce sens qui, je l'espère, monsieur le secrétaire d'État, recevra votre appui.
Pour conclure mon propos, je souhaite évoquer un autre aspect du problème en appelant également de mes voeux un renforcement de la coopération internationale, afin de combattre les multiples menaces dues à ce commerce préjudiciable qu'est la contrefaçon.
La contrefaçon ne connaît pas de frontière ; c'est un problème d'envergure internationale. Aussi les réponses à apporter pour réussir à inverser la tendance doivent-elles être recherchées et apportées dans le cadre d'une coopération européenne et internationale.
Les contacts bilatéraux avec les pays les plus sensibles doivent se poursuivre et s'intensifier, afin d'arrêter des engagements précis et de déterminer des stratégies pratiques. À cet égard, je tiens à féliciter notre ministre de l'économie, qui a précisé tout à l'heure qu'elle souhaitait bien évidemment évoquer ce problème avec son homologue lors de sa visite en Chine.
Ainsi, l'Union européenne vient d'engager un programme d'assistance technique de quatre ans avec la Chine pour permettre un meilleur respect des droits de la propriété industrielle dans ce pays. Ce projet est cofinancé par l'Union européenne et la Chine, et la logistique est assurée par l'Office européen des brevets, en liaison avec ses États membres.
Par ailleurs, la visite de M. Hervé Novelli à Dubaï a marqué une étape décisive dans la lutte contre la contrefaçon dans cette région, en obtenant que la protection des marques françaises soit inscrite à l'ordre du jour du Comité de suivi franco-émirien créé par nos deux pays à l'occasion de ce déplacement.
L'action communautaire doit également être renforcée afin de mobiliser certains pays insuffisamment actifs et de sensibiliser les nouveaux États membres. La coopération judiciaire européenne - une thématique chère à la commission des lois - doit être améliorée.
C'est dans ce sens que, lors de la destruction de 15 000 montres de contrefaçon à Nice, le 27 juillet dernier, le ministre Éric Worth a proposé la création d'un groupe d'action financière au niveau européen, spécialement dédié à la contrefaçon.
Il est en effet de notre devoir à tous de nous protéger et de protéger les pays les plus faibles contre cette activité criminelle qui nuit au bien-être économique et social des nations et met en danger la santé et la sécurité des consommateurs.
Ce texte constitue une réelle avancée et je souhaite une nouvelle fois souligner l'engagement personnel de M. Hervé Novelli, secrétaire d'État, dans l'avancement de ce projet. C'est pourquoi nous soutiendrons, les membres de mon groupe et moi-même, ce projet de loi, car il permettra de lutter avec plus d'efficacité contre ce véritable fléau qu'est la contrefaçon.