L’article 1er crée l’entreprise unique. Comment ne pas s’en étonner, alors que la droite a démantelé l’ORTF en 1974 ? Que cache donc ce revirement ?
Bien sûr, vous mettez en avant une meilleure rationalisation des moyens, tout comme la nécessité de favoriser les économies d’échelle et la mutualisation. Nous ne sommes pas contre des gains de productivité, mais n’est-ce pas ce que fait déjà le président de France Télévisions ?
Par ailleurs, compte tenu de l’asphyxie financière à laquelle vous condamnez le service public, celui-ci aura-t-il d’autres choix ? Sûrement pas ! Alors, pourquoi l’inscrire dans la loi ?
N’est-il pas étrange d’avoir contribué à multiplier le nombre de chaînes gratuites grâce à la TNT afin de renforcer la diversité de la télévision française, et de vouloir aujourd’hui homogénéiser le service public ?
C’est pourquoi nous souhaitons la suppression de cet article 1er dont nous pensons qu’il n’a pas lieu d’être. Il est trop évident que, sans ressources et sans moyens nouveaux à la hauteur des défis qui l’attendent, une telle réorganisation vise ni plus ni moins le démantèlement de l’audiovisuel public. Car ce type de nouvelle « gouvernance », comme vous aimez la qualifier, est une bombe à retardement tant pour le périmètre actuel de France Télévisions que pour l’emploi des salariés.
Aujourd’hui, c’est un sujet tabou. Pourtant, il est bien question de 900 départs volontaires, et le porte-parole de l’UMP prépare le terrain en évoquant un plan social intégrant 2 000 licenciements. L’entreprise unique aura inévitablement des conséquences sociales, juridiques et économiques majeures.
Comment les salariés pourraient-ils ne pas être inquiets face à la perspective d’un plan social, lequel n’est d’ailleurs pas financé, et face à la disparition programmée de leur convention collective ?
De plus, il est évident que cette fusion-absorption mettra en péril l’identité de chacune des chaînes et entraînera une centralisation des choix éditoriaux et artistiques, fatale au pluralisme comme à la diversité des programmes. Contrairement à la loi audiovisuelle de 1986, ce projet de loi ne fait jamais référence aux différentes sociétés de programme que sont France 2, France 3, France 4, France 5 et France Ô. On ouvre ainsi la porte à leur privatisation.
Bien sûr, vous vous défendez d’avoir de telles intentions. Mais que ferez-vous quand les 140 millions d’euros d’économies attendues de cette fusion-absorption ne suffiront pas à combler les déficits, puisque vous compensez seulement a minima la suppression de la publicité ?
De plus, comment accepter cette conception de l’entreprise unique, alors que la représentation nationale n’aura plus de droit de regard sur le périmètre du service public ? Une fois encore, on écarte le Parlement, alors même que l’exécutif non seulement tiendra les cordons de la bourse, mais fera également peser une épée de Damoclès sur la présidence de France Télévisions.
Déjà, certains rêvent à voix haute de voir disparaître la rédaction nationale de France 3 – comme s’il y avait trop d’informations et trop de pluralisme ! –, masquant à peine le projet de la vendre à la découpe à la presse régionale, qui s’en frotte déjà les mains.
Vous présentez ce regroupement comme un sésame magique pour le passage vers le média global. Bien sûr, France Télévisions doit relever les défis technologiques du XXIe siècle et se diversifier. Mais, heureusement, elle n’a pas attendu le Gouvernement pour le faire, même sans moyens adéquats.
Si France Télévisions est « unique » – j’approuve complètement ce terme ! –, elle n’est pas une simple entreprise. Elle n’est pas et ne sera jamais une entreprise comme une autre, car elle est avant tout une entreprise culturelle. Faire l’impasse sur cette dimension essentielle ne peut conduire qu’à affaiblir l’identité de France Télévisions, qui ne s’adresse ni à des clients ni à des consommateurs, mais à des citoyens.
Même le CSA redoute que les synergies entre les rédactions ne conduisent à une rédaction unique fournissant la même information standardisée et la même expression uniformisée à l’ensemble des chaînes. Ce serait très grave pour le traitement pluraliste de l’information.
Et comment ne pas relayer la légitime inquiétude des artistes et des créateurs ? L’entreprise unique telle qu’elle est conçue porte en elle le ferment du guichet unique, qui implique l’uniformisation des programmes, l’appauvrissement des contenus, le formatage des œuvres. Ce n’est pas rendre service à la diversité culturelle ; c’est même aller à l’encontre de la convention de l’UNESCO sur la promotion de la diversité culturelle et de son expression.
Demain, le guichet unique s’imposera, tout simplement parce que le sous-financement chronique de France Télévisions sera significativement aggravé. Quand l’argent manque, on sait bien que les salariés et la création servent de variables d’ajustement !
Le pluralisme ne se limite pas à l’information, mais concerne aussi l’imaginaire. La diversité des approches artistiques apporte une pluralité de regards, indispensable à la compréhension de notre monde. C’est pourquoi nous refusons le guichet unique, qui conduira progressivement à la chaîne unique !
Et, puisque votre préoccupation première consiste à faire des économies, le meilleur moyen n’est-il pas de permettre à France Télévisions d’exercer pleinement son cœur de métier, à savoir la production ? Elle en possède les compétences et les savoir-faire. De plus cette capacité de production facilitera concrètement la réussite de son passage au média global, car elle maîtrisera mieux ses droits de diffusion et d’exploitation.
Étant donné que le modèle économique que vous préconisez pour France Télévisions n’est pas viable, nous proposons la suppression pure et simple de cet article, qui est la porte ouverte à la privatisation, à la remise en cause des conventions collectives, à l’uniformisation des esprits et à l’aseptisation de la création.