Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 8 janvier 2009 à 10h45
Communication audiovisuelle — Article 1er

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

L’article 1er de la loi sur l’audiovisuel public est conçu dans l’oubli de ces territoires lointains que constitue l’outre-mer français.

Ces territoires sont intégrés après coup, sans véritable réflexion, sans cohérence, avec les travers que l’on déplore souvent en termes d’inadaptation des textes aux réalités locales. Et c’est le cas pour la présente loi, dès cet article 1er.

En effet, en fusionnant les différentes chaînes dans une société unique, les auteurs de cet article ignorent ou feignent d’ignorer non seulement l’intérêt et l’importance des télévisions de proximité, cela pour toutes les régions françaises, mais plus encore les particularités des départements et territoires d’outre-mer et les contraintes qui leur sont propres et qui ont rendu nécessaire et pertinent un Réseau France Outre-mer suffisamment autonome pour s’adapter avec souplesse aux réalités des territoires qu’il dessert.

Permettez-moi, pour m’expliquer, de citer le cas particulier de la Guyane, où la fracture numérique est importante par rapport à la métropole et qui n’a pas encore résolu le problème de la couverture de l’ensemble de son territoire par la télévision par ondes hertziennes. Sa situation est en complet décalage avec le niveau de réforme que cette loi préconise.

Or, en Guyane, RFO, qui comprend à la fois la radio et la télévision, est non seulement un média de proximité, mais un véritable service public et démocratique, partout où la chaine est captée. Parfois, pour certaines populations et dans certaines parties du territoire, c’est le seul support éditorial de l’information, de l’éducation ou de la prévention sanitaire et sociale, notamment là où la population n’a pas accès à la lecture et aux médias imprimés.

En outre, sans même parler de la défense de l’expression des cultures et des langues régionales, la production d’émissions dans des langues très localisées est parfois une réelle nécessité pour la compréhension par toutes les populations de certains messages de prévention ou d’éducation à la santé, par exemple.

À l’inverse, et parce que l’outre-mer, c’est aussi la France, RFO, avec des moyens appropriés, pourrait également développer l’ambition de faire rayonner la langue et la culture françaises en émettant vers d’autres pays et, vice versa, en faisant connaître ces autres pays, historiquement ou culturellement proches des collectivités de l’outre-mer français.

C’est déjà le cas pour l’Afrique avec AITV, ce pourrait l’être tout autant dans l’océan Indien, la Caraïbe, ou l’Amérique latine. Il s’agit là d’une plus-value potentielle que ne saurait exploiter de la même manière Audiovisuel extérieur de la France telle qu’elle est conçue dans cette réforme. Qu’en adviendra-t-il dans la nouvelle société unique ? Comment seront opérés les arbitrages concernant les programmes régionaux et locaux ou encore les décrochages particuliers, alors que la tendance produite par cette loi est l’écrasement des spécificités ?

La fusion voulue par le Gouvernement pose donc plusieurs questions sur l’avenir même de RFO : celle de l’autonomie financière d’une chaîne qui a ses spécificités et ses contraintes en matière de production, de création, de programmation et de gestion des personnels – surcoûts des communications, décalages horaires, formations à adapter, caractéristiques des audiences – et dont le secrétaire d’État Yves Jégo prévoit de compenser les pertes de recettes publicitaires par le non-remplacement des départs à la retraite Ce sont donc les suppressions de postes – déjà 65 – qui permettent le développement d’une chaîne…

D’autres questions se posent, celle des modalités de maintien de la ligne éditoriale particulière de cette chaîne avec sa souplesse et sa capacité d’adaptation à la diversité des territoires et des populations qu’elle dessert, celle de son positionnement dans le contexte de diversification de l’offre audiovisuelle dont on annonce l’arrivée sur un marché extrêmement étroit, où la seule chaîne privée locale a déjà du mal à se développer.

Il est manifeste que c’est à partir du socle de RFO que la télévision publique va jouer ce rôle historique encore nécessaire pour assurer une offre télévisuelle garante tant de la diffusion informative, culturelle, de services et de loisirs, que de la restitution de la réalité profonde d’une région, si toutefois elle a les moyens adaptés aux nécessités de production documentaire, événementielle et de fiction qui en découlent.

L’enjeu devient même stratégique à l’échelle du bassin humain et culturel de l’Amazonie atlantique, avec ses 50 millions d’âmes et son potentiel considérable de développement audiovisuel et numérique, où l’on doit de façon prioritaire faire rayonner un espace télévisuel francophone.

Aussi, la prétendue égalité de traitement entre la métropole et l’outre-mer soutenue par le secrétaire d'État Yves Jégo aboutit en fait à un creusement des écarts et comporte un risque de démantèlement d’un outil précieux pour l’outre-mer.

Nous voulons une télévision moderne, plurielle, multimédia, mais respectueuse des identités locales.

Nous voulons un service public de l’audiovisuel adapté aux situations ultramarines et ayant les moyens nécessaires pour remplir ses missions.

Nous voulons un média public, gratuit et démocratique, capable de créer et de produire des programmes répondant aux besoins réels de toutes les populations ultramarines en matière d’éducation, d’accès à la culture, aux savoirs et aux nouvelles technologies.

Nous voulons enfin une société audiovisuelle ambitieuse, capable de rayonner et de donner au monde une image de l’outre-mer français positive et valorisante pour la France.

Il y a donc lieu aujourd’hui pour le Gouvernement de prendre la mesure des enjeux de sa réforme en outre-mer et de répondre aux questions légitimes que nous nous posons quant aux moyens qui seront donnés à RFO, dans le cadre de l’entreprise unique, pour poursuivre sa mission dans le respect de son identité et en tenant compte des caractéristiques de son audience et de son marché potentiel outre-mer.

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