Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 8 février 2006 à 15h00
Réserve militaire et service de défense — Adoption d'un projet de loi

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous abordons aujourd'hui a pour objet de modifier la loi du 22 octobre 1999, dernier volet législatif de la réforme de la défense nationale induite par la professionnalisation des armées.

Ce projet de loi tend à améliorer le dispositif créé par la loi de 1999 et à prendre en compte les carences du système actuel. Il se place dans la continuité du modèle de réserve choisi en 1999 et vise à adapter les conditions d'emploi de la réserve opérationnelle aux besoins des forces armées dans un « contexte budgétaire restreint », situation qui est le fruit amer de la politique conduite par le Gouvernement.

Le présent texte a pour objet de réaffirmer le rôle de la réserve citoyenne, tout en la séparant nettement de la réserve opérationnelle, dont les activités ne sont plus strictement militaires. Il vise à améliorer la disponibilité des réservistes en les mettant plus vite et, le cas échéant, plus longtemps à la disposition des armées. Il tend, enfin, à convaincre les employeurs de jouer le jeu de la réserve en leur accordant divers avantages plus ou moins symboliques.

Le rapporteur nous a présenté un tableau réaliste et complet de la situation de la réserve militaire. Il a analysé les lacunes du dispositif actuel, ses atouts et ses faiblesses. Ainsi, sans revenir sur des aspects déjà traités lors de l'examen du projet de loi en commission et exposés par le rapporteur, je m'attarderai sur quelques points qui méritent, à mon avis, un examen plus approfondi.

La nouvelle réserve militaire instituée par la loi du 22 octobre 1999 se place donc dans une perspective marquée par la professionnalisation des armées et dans un contexte géopolitique et stratégique mouvant.

L'essor des menaces reliées au terrorisme international vient souligner, encore une fois, l'importance, le sens et le rôle d'une réserve militaire unie étroitement à l'armée professionnelle. La protection du territoire et la contribution que chaque citoyen peut apporter à la défense nationale sont des dimensions que l'on doit replacer au centre du débat sur notre politique de défense.

Voilà pourquoi, et je reviendrai sur ce point essentiel, nous souhaitons faire vivre une réserve d'emploi, capable de contribuer aux différentes missions de l'armée professionnelle et qui soit aussi une réserve citoyenne.

En 1999, l'objectif du législateur était de faire en sorte que les réservistes servent concrètement au sein des unités, dans lesquelles ils seraient mêlés aux professionnels afin de constituer de véritables unités - de combat pour certaines - entraînées, disposant du même équipement que les unités d'active, et aptes à participer à toutes les missions, y compris à l'extérieur. Cet objectif n'est pas complètement atteint aujourd'hui ; la réserve a du mal à s'insérer, à être un véritable complément de l'armée d'active.

Mais pourquoi faut-il une réserve qui soit une composante à part entière de notre défense nationale, un outil efficace et intégré à nos forces armées ?

D'abord, le concours de ces personnels est nécessaire pour assurer des missions de sécurité et de protection du territoire. Ainsi, les gendarmes issus de la réserve fournissent un renfort significatif aux unités de gendarmerie pour l'ensemble de leurs missions de sécurité publique. La contribution des réservistes est également précieuse pour les armées dans le cadre de leurs missions de service public ou pour les besoins de la sécurité civile.

Ensuite, bien entendu, la contribution que les personnels de la réserve opérationnelle peuvent apporter aux opérations extérieures constitue un renfort précieux pour les unités d'active, très fortement sollicitées. Elle permet aussi à notre pays de disposer d'un véritable réservoir d'expertise de haut niveau dans les domaines des affaires civilo-militaires et de la santé, par exemple.

L'article 9 de la loi de 1999 - que ce projet de loi ne tend pas à modifier - comporte des dispositions relatives aux « réservistes spécialistes ». Ces derniers appartiennent à la réserve opérationnelle et permettent d'apporter aux armées des expertises pointues qui, souvent, leur font défaut et pour lesquelles elles doivent parfois faire appel à des consultants extérieurs, dont on connaît le taux horaire de facturation.

L'Institut des hautes études de défense nationale, l'IHEDN, qui est sans doute l'institut le plus important en matière de sensibilisation du « monde civil » aux questions de défense et de sécurité, s'appuie déjà sur cette « réserve de spécialistes » pour permettre aux armées, à moindre coût, de bénéficier d'experts parfaitement reconnus dans leurs spécialités et rompus aux questions de défense.

Il serait bon, madame la ministre que vous puissiez rappeler l'importance que vous attachez à ce type de réserve, d'autant que certains de ces « réservistes spécialistes » se voient souvent refuser la reconduite de leur contrat dans la réserve, au motif, pourtant sans fondement, que ce type de contrat ne peut être renouvelé. Je suis convaincu, madame la ministre, qu'il n'est pas nécessaire de vous demander d'insister sur l'importance que vous attachez à l'IHEDN, même si l'institut dépend du Premier ministre.

Je veux donc souligner le rôle décisif qu'est appelée à jouer la réserve dans notre dispositif de défense soit pour relayer et appuyer nos forces projetées, soit pour renforcer notre sécurité intérieure. Toutefois, notre rapporteur a signalé les faiblesses de notre dispositif de réserve, et ce projet de loi vise à combler certaines lacunes.

Mais il faudrait faire plus pour relever le défi d'une réserve militaire efficace et utile, faisant appel à des jeunes directement issus du secteur civil. Proposons-leur des périodes de réserve attrayantes : des formations de qualité, des responsabilités ou des missions attractives. Valorisons, dans le monde civil, le temps passé dans la réserve. Expliquons aux chefs d'entreprise l'enjeu que constitue ce devoir civique, afin que les réservistes salariés puissent exercer aisément leur droit à la disponibilité pour accomplir leurs périodes ou répondre à l'appel. Il revient aux forces armées de favoriser un recours accru aux réservistes, professionnels avertis, en assurant leur entraînement au métier des armes et leur pleine intégration au sein des unités.

Par ailleurs, si ce projet de loi rappelle le rôle essentiel de la réserve et consacre le fait que rien ne doit différencier le réserviste opérationnel en mission du militaire de carrière, je me suis demandé - mais je suis sûr que vous allez pouvoir m'apporter une réponse sur ce sujet - pourquoi, par exemple, le grade de général n'était jamais conféré à un réserviste.

Ce ne serait pas « pour faire joli », comme l'on dit, mais bien pour consacrer le fait que certaines fonctions militaires gagneraient certainement, au plus haut niveau, à être remplies par des militaires issus du monde civil. On pourrait dès lors imaginer que le président de l'IHEDN serait un général de réserve et que les postes de délégués aux réserves des armées seraient ouverts à des généraux de réserve.

Madame la ministre, nous apprécions les efforts accomplis au travers de ce projet de loi pour améliorer la situation de la réserve et la condition des réservistes. Ainsi, nos observations se placent dans une perspective constructive.

Je considère que l'instauration d'une formation initiale de qualité servira à améliorer la capacité d'action de la réserve et à fidéliser les réservistes.

De même, le Conseil supérieur de la réserve militaire travaille actuellement à améliorer l'efficacité de la réserve et son attractivité, moyennant une ouverture des filières, une visibilité améliorée de la formation continue, un meilleur emploi de ressources, notamment avec la mise en oeuvre de la base de données de compétences, et une meilleure reconnaissance individuelle : récompenses, décorations, promotions, avancement d'échelon. Nous encourageons le Conseil à développer rapidement ces orientations et à faire des propositions concrètes.

La préparation militaire a changé d'intitulé, mais il convient d'affirmer que son contenu subsistera et que l'information à destination des jeunes gens sera développée.

Le recrutement des réservistes n'est jamais aisé et nous savons tous que la tâche est ardue, car la société moderne n'est pas un terreau naturellement propice à la générosité et au don de soi. Le ministère a finalement réduit ses objectifs, puisque, de 100 000 réservistes en 2002, il est passé à un effectif définitif à l'horizon 2015 de 94 050 réservistes, avec un objectif intermédiaire, pour 2008, de 68 000 personnes.

L'activité moyenne idéale a été fixée à vingt-sept jours par an et par réserviste. Cette réadaptation de la cible commence à produire ses effets puisque, au 31 décembre 2004, la réserve opérationnelle comprenait 71 222 réservistes répartis entre 43 614 volontaires sous ESR, engagement à servir dans la réserve, et 27 608 disponibles affectés.

Notre volonté est que la défense reste, en France, l'affaire de tous les citoyens. Nous pensons que la professionnalisation doit toujours être accompagnée d'un renouveau de la relation entre l'armée et la nation. La qualité de cette relation est essentielle à la vie de la République.

À l'aube du XXe siècle, Jean Jaurès écrivait dans L'armée nouvelle - écoutez bien, mes chers collègues, car ce propos est toujours d'actualité, comme d'ailleurs tous ceux qu'il a tenus : « Tant qu'il y aura une armée, ce sera un crime contre le génie de la France et contre l'armée elle-même de la séparer de la nation ».

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