Intervention de Thierry Foucaud

Réunion du 18 décembre 2006 à 10h00
Loi de finances rectificative pour 2006 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Thierry FoucaudThierry Foucaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi de finances rectificative comporte plusieurs angles d'approche qu'il me sera difficile, compte tenu du peu de temps de parole qui nous est imparti, de mettre totalement en évidence.

Le premier aspect fondamental de ce débat est la réalité de l'équilibre budgétaire.

S'agissant des recettes de l'État, nous devons observer la progression non négligeable du produit de l'impôt sur les sociétés : 2, 8 milliards d'euros en valeur nette. C'est d'ailleurs, et de loin, la recette la plus dynamique du collectif budgétaire et de l'exécution budgétaire 2006, dont l'origine ne peut manquer de nous interroger !

Parmi les motifs de cette situation, permettez-moi donc de pointer le probable renforcement de la rentabilité financière des entreprises, lequel se traduit, dans la progression des recettes, bien au-delà de l'ajustement intervenu sur les modalités de versement des acomptes estimé à 500 millions d'euros.

D'où vient cette croissance de la rentabilité financière des entreprises ?

Elle vient probablement en grande partie de la faible croissance des revenus salariaux, c'est-à-dire de la compression des salaires induite par la modération salariale et la politique incitative aux bas salaires.

Elle vient probablement aussi de la faible progression de l'investissement, qui se retrouve pour partie dans la relative faiblesse de l'ajustement des recettes nettes de TVA.

Elle vient encore de la poursuite des politiques de sous-traitance interne et externe aux groupes économiques constitués dans notre pays ou encore de l'affectation des gains de productivité à la rémunération du capital, aux dépens de toute autre.

Elle vient encore de la mécanique de progression de l'impôt imputable à la poursuite de l'allégement global des cotisations sociales ou de la taxe professionnelle payée par les entreprises.

Dans ces conditions, même si cela peut vous paraître pour le moins déroutant venant de nous, nous ne pensons pas que cette progression du produit de l'impôt sur les sociétés soit une bonne chose pour ce qui est de l'état réel de l'économie et de l'emploi dans notre pays. C'est même justement parce que la richesse créée de manière exclusive par le travail salarié est mal utilisée et mal répartie que nous constatons ce processus.

Sur la progression des autres recettes fiscales, notons que l'impôt sur le revenu a encore gagné en volume net cette année. Il conviendra sans doute de se demander, sur la base de la réalité des déclarations fiscales des contribuables eux-mêmes, quels sont les revenus catégoriels qui sont à la source de cette progression.

Le dynamisme tout à fait spécifique des revenus boursiers, liés à l'inexorable progression du CAC 40, et cela bien au-delà de la croissance réelle, ainsi que la véritable explosion du rendement des cessions d'actifs et des plus-values dégagées par les particuliers, tant sur les titres mobiliers que sur l'immobilier de rapport, sont sans doute les éléments moteurs de cette progression de l'impôt sur le revenu.

Dans le même ordre d'idées, la hausse des loyers sur le secteur locatif dit « libre » n'est sans doute pas sans conséquence sur le niveau des revenus fonciers nets imposables au titre de l'impôt sur le revenu, quand bien même cette hausse des loyers s'avère un poids de plus en plus lourd sur le revenu des locataires.

En tout cas, ce n'est sans doute pas la progression des salaires qui, pour l'heure, motive l'essentiel de la progression du rendement de cet impôt. Il est donc probable que les inégalités croissantes de revenus que nous observons dans notre pays aient quelque traduction dans le produit de l'impôt sur le revenu.

Pourtant, s'il ne fallait qu'une preuve, il faudrait sans doute la rechercher dans l'exceptionnelle progression du produit de l'impôt de solidarité sur la fortune, en hausse de 408 millions sur les prévisions initiales, soit 12, 6 % de mieux que prévu !

Valorisation des patrimoines immobiliers et mobiliers, extension du nombre des contribuables, sont les facteurs convergents d'une situation qui ne fait que traduire l'enrichissement accentué des plus fortunés des Français.

Depuis la loi de finances 2003, le produit de l'ISF aura ainsi progressé de 50 % !

Permettez-moi désormais de faire un petit détour, si l'on peut dire, par le chapitre des dépenses.

Le montant des dépenses nettes prévu par l'article d'équilibre s'établit à 269, 3 milliards d'euros, soit plus de 3 milliards d'euros de plus que montant des dépenses initiales. Cette hausse est, en quelque sorte, neutralisée par l'opération menée sur le compte spécial « Pensions ». Les ouvertures et annulations portant sur les autres champs budgétaires s'annulant les unes les autres, on se retrouve avec un montant de dépenses nettes qui équivaut à celui de la loi de finances initiale.

Mais le plus important est que, comme par habitude, les décrets d'annulation et d'ouverture de crédits utilisent toutes les ficelles de la gestion budgétaire, notamment sur la gestion au mois le mois des effectifs budgétaires en jouant sur le retard des nominations aux emplois publics pourvus sur concours, par la persistance de dettes budgétaires non remboursées à la sécurité sociale - en la matière, il s'en faut de 680 millions d'euros sur la seule aide médicale de l'État - et par des économies de constatation, lesquelles traduisent en fait des choix politiques bien plus discutables.

Ainsi, à peine créée en vertu de la loi pour l'égalité des chances, l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, qui a pris le relais du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, FASILD, se voit amputée de 42 millions d'euros de crédits, au motif spécieux qu'il y aurait moins de demandes d'asile à traiter dans notre pays que l'an dernier.

La vérité est que le fameux guichet unique de l'Agence s'avère surtout une sorte de banque dont l'État se sert de temps à autre pour ses fins de mois difficiles.

Pour le reste, l'ensemble des dépenses de personnel et de fonctionnement des administrations, l'ensemble des dépenses d'intervention de l'État est soumis au régime sec, mettant en cause dans de nombreux domaines le sens même de l'action publique.

De plus en plus - devons-nous le souligner de nouveau ? -, la dépense fiscale se substitue de manière prioritaire à bien des dépenses budgétaires directes. Cette façon de faire, qui se cumule désormais avec un transfert accentué de recettes fiscales et de charges dans le cadre de la décentralisation « concurrence entre les territoires » votée en 2004, masque la réalité d'une politique entièrement tendue à satisfaire les marchés financiers, toujours si prompts à tirer parti de la rentabilité garantie du placement en titres de dette publique et à répondre aux seules attentes de la minorité de contribuables privés et d'entreprises qui estiment payer trop d'impôts.

Mais ce sont les plus nombreux, les autres, qui subissent au quotidien les coupes claires dans les budgets sociaux, la réduction des moyens de l'enseignement et de la formation des jeunes, la disparition des aides publiques au logement social ou à l'accession sociale à la propriété.

C'est cette France-là que, bien sûr, nous entendons, et c'est pourquoi nous ne voterons évidemment pas ce collectif budgétaire.

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