Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget du ministère de l'outre-mer pour 2007 est, il faut le reconnaître, particulièrement préoccupant, non pas du seul fait qu'il accuse une baisse de ses crédits de paiement de 12 % - encore qu'il importe de tenir compte de la baisse concomitante des autorisations d'engagement de près de 14, 5 % -, mais parce qu'il vient confirmer une politique de réduction de crédits, qui, à l'évidence, marquera la présente législature.
En effet, si l'on raisonne à périmètre constant, en faisant fi de tous les artifices de présentation auxquels on a eu parfois recours, c'est la quatrième année consécutive que le budget de l'outre-mer voit ses crédits diminuer, avec une baisse des chiffres réels de 7 % pour le budget de 2006 et de 7, 6 % pour celui de 2005.
Mais ce budget est préoccupant surtout à cause de l'insuffisance des moyens qu'il consacre aux deux grandes priorités qu'il affiche : l'emploi et le logement.
En ce qui concerne l'emploi et le soutien de l'activité économique, les crédits régressent de 5 %, alors que la situation très difficile qui prévaut toujours, à cet égard, dans les différents départements et collectivités d'outre-mer devrait conduire, bien au contraire, à une accentuation de l'effort de l'État.
Il faut, en effet, sérieusement relativiser la baisse du taux de chômage de deux ou trois points observée outre-mer depuis 1999. Elle résulte certainement, pour une part, difficile d'ailleurs à évaluer, de la mise en oeuvre successive de la loi d'orientation pour l'outre-mer jumelée à la loi Paul de défiscalisation et de la loi de programme pour l'outre-mer de 2003. Mais elle est largement due aussi à la politique d'emplois aidés menée en partenariat avec les collectivités territoriales.
Le niveau du chômage n'en demeure pas moins en moyenne beaucoup plus élevé que dans l'hexagone, avec un taux de 27, 9 % selon les chiffres du Bureau international du travail, le BIT. En Martinique, le taux est actuellement de 22 %, mais il ne va probablement pas tarder à remonter compte tenu des licenciements que l'on observe depuis plus de deux ans dans certains secteurs, notamment ceux de la banane et du BTP. Il est vrai que nous créons beaucoup d'entreprises et d'emplois, mais il est également vrai que nous en perdons une grande quantité dans le même temps.
Il faut, de surcroît, tenir compte du nombre de RMIstes - 32 500 en Martinique -, et, plus généralement, du nombre de personnes en situation de précarité : la proportion d'allocataires de minima sociaux au sein de la population âgée de vingt ans et plus atteint 25 % en Guadeloupe et à la Martinique et 29 % à la Réunion, contre 7 % en moyenne en métropole.
C'est dire l'inquiétude que peut susciter une nouvelle diminution des crédits du programme 138 portant aussi bien sur les mesures d'abaissement du coût du travail que sur les dispositifs d'insertion et d'aides directes à l'emploi.
C'est dire, surtout, l'inquiétude de voir continuer à chuter le nombre de contrats aidés financés par le budget du ministère de l'outre-mer : seulement 23 000 nouveaux contrats sont prévus en 2006.
On m'objectera sans doute que les nouveaux contrats financés dans le cadre du plan Borloo les remplacent avantageusement, notamment les contrats d'avenir et les contrats d'insertion-revenu minimum d'activité, les CI-RMA.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, j'ai salué leur mise en place. J'aurais pu plutôt ironiser sur le fait qu'avec les contrats d'avenir on semblait redécouvrir les vertus de l'emploi aidé dans le secteur non marchand, tellement stigmatisé pendant un certain temps. Au lieu de cela, j'ai accepté de signer, en juin 2005, une convention pour la mise en place de 5 000 contrats d'avenir et 300 CI-RMA sur deux ans.
Il s'agissait, m'avait-on dit - et la loi paraissait claire à ce sujet - d'activer l'allocation RMI en la versant à l'employeur et non à l'allocataire.
Depuis, j'ai véritablement mobilisé les équipes de l'Agence départementale d'insertion pour tenir mon engagement. Mais alors que nous en sommes à plus de 2 800 contrats d'avenir placés, j'apprends qu'il n'est pas question que l'État rembourse au département le montant de ²l'« allocation activée ».
Les services des administrations centrales concernées développent en effet un raisonnement - je préfère ne pas le qualifier à cette tribune - selon lequel un RMIste bénéficiant d'un contrat d'avenir n'est plus un RMIste !
À l'instar de certains de mes collègues qui se sont fortement engagés dans le dispositif, je me vois donc contraint de tout arrêter. Et il me faut maintenant trouver plus de 12 millions d'euros pour financer chaque année les contrats déjà signés.
J'aimerais évidemment, monsieur le ministre, que vous me précisiez votre position sur la situation très grave ainsi créée, une situation dans laquelle l'État ne tient pas sa parole alors que le département a respecté ses engagements.
Les réductions de crédits du programme « Emploi outre-mer » ne trouvent pas non plus de compensation dans l'évolution des autres dispositifs de soutien à l'activité et à l'emploi ne relevant pas directement du ministère de l'outre-mer, notamment dans le dispositif de défiscalisation des investissements outre-mer. On relève, en effet, une assez nette baisse des investissements aidés dans ce cadre.
Et tout cela, faut-il le rappeler, au moment où l'on discute d'un futur programme européen dont l'enveloppe globale pour l'outre-mer diminue en euros constants et dont les conditions de mise en oeuvre vont se trouver compliquées par le nouveau système dit de l'earmarking.
La deuxième priorité mise en avant par ce budget, et c'est une constante depuis des années, c'est le logement. Et là - cela a été dit avant moi -, le constat est encore plus consternant.
Le montant inscrit en crédits de paiement - 175, 5 millions d'euros - est presque du même ordre que celui des années précédentes. Il n'a pratiquement pas varié depuis 2003. Les autorisations d'engagement, quant à elles, baissent de 17 %.
Et pourtant, différents rapports officiels soulignent, comme ne cessent de le faire les élus d'outre mer, la gravité de la situation et l'importance des retards accumulés. Je veux d'ailleurs saluer au passage le rapport tout à fait remarquable de notre collègue Henri Torre.
On estime, au minimum, à 307 millions d'euros par an sur cinq ans les besoins de financement nécessaires pour mener une politique du logement en rapport avec la situation dans laquelle on se trouve.
Les rapports dénoncent par ailleurs le niveau élevé de la dette exigible de l'État ; celle-ci atteindra, d'ici à la fin de l'année, la somme de 113 millions d'euros. Le Premier ministre a annoncé que cette dette serait apurée avant la fin du mois de mars de l'année 2007. Mais, pour l'instant, seuls 60 millions d'euros paraissent effectivement mobilisables à cet effet ; il reste donc 53 millions d'euros à trouver.
Le Premier ministre a, par ailleurs, annoncé, dans le cadre de l'application du plan de cohésion sociale, une somme de 120 millions d'euros sur trois ans, dont 60 millions en 2007. Mais ces 60 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement, et il n'y a, à ma connaissance, que 13 millions de crédits de paiement inscrits en loi de finance rectificative et reportés, de façon d'ailleurs dérogatoire, sur 2007 ; cela porte donc les crédits de paiement pour 2007 à 188, 75 millions d'euros. Mais, de toute évidence, il faudra déduire de cette somme les 53 millions d'euros manquant pour assurer l'apurement de la dette de l'État.
On devine aisément la situation catastrophique dans laquelle il va falloir aborder l'année 2007, avec les conséquences que cela ne peut manquer d'entraîner, d'un point de vue tant social qu'économique. À la Martinique, plus de 400 entreprises travaillant dans le secteur de la réhabilitation du logement social sont d'ores et déjà au bord du dépôt de bilan ; certaines ont commencé à licencier du personnel. Le montant des factures impayées grevant leur trésorerie s'élève à 17 millions d'euros ! Les sociétés d'HLM, quant à elles, totalisent 9 millions d'euros de factures impayées.
Le désengagement financier de l'État est donc outre-mer, plus encore que dans l'Hexagone, une réalité.
Les collectivités locales d'outre-mer en font évidemment les frais, mais les conséquences pour elles sont d'autant plus difficiles à supporter qu'elles doivent faire face à des demandes en matière d'équipements, et plus encore en matière sociale, sans commune mesure avec celles que connaissent leurs homologues de l'Hexagone. Elles doivent supporter également de nombreux surcoûts dus à leur situation géographique.
Il devient donc urgent de prendre la mesure de leurs difficultés financières structurelles et de leur accorder un niveau de ressources suffisant pour leur permettre de continuer à jouer le rôle essentiel qu'on leur reconnaît en matière de développement économique et social.
Il faut absolument que l'État cesse de leur transférer des charges et de les utiliser comme banquiers. À ce sujet, je veux lancer à nouveau un véritable cri d'alarme sur la situation très grave dans laquelle se trouvent les conseils généraux d'outre-mer depuis le transfert de la gestion du RMI. Les niveaux de différentiels entre le montant des allocations versées et les remboursements financés par la TIPP sont devenus véritablement insupportables. Pour le conseil général de la Martinique, ce différentiel s'élève actuellement à plus de 20, 2 millions d'euros. Il est beaucoup plus important, je le sais, à la Réunion.
On le voit, pour l'élu d'un département d'outre-mer que je suis, les motifs d'insatisfaction et d'inquiétude ne manquent pas. Pour autant, je me refuse, croyez-moi, à tout pessimisme.
J'ai trop conscience, par la pratique des responsabilités que j'exerce sur le plan local, des potentialités du peuple martiniquais. J'ai trop souvent l'occasion de mesurer la capacité d'initiative dont celui-ci sait faire preuve et le refus, notamment des plus jeunes, de céder à la résignation.
Ce qui s'avère absolument indispensable, c'est que s'opère une véritable prise de conscience au niveau de l'État, c'est que, au-delà des discours et des effets d'annonce, celui-ci s'emploie à promouvoir une vision à la fois plus ambitieuse et plus réaliste de l'outre-mer.
Une vision qui incite à dépasser les clichés habituels et les raisonnements purement comptables et qui, de ce fait, doit se dégager de la seule logique de l'attribution de moyens financiers, même si ceux-ci doivent être davantage en adéquation avec la réalité des besoins.
Une vision qui intègre le rôle important que peuvent jouer les départements d'outre-mer aux quatre coins du monde ; plusieurs sénateurs l'ont souligné.
Une vision qui prenne en compte également les réelles spécificités des territoires et les aspirations profondes de leurs peuples à prendre une part plus déterminante à la construction de leur devenir.