Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 3 mars 2006 à 15h00
Égalité des chances — Article 13

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à notre grande surprise, ce projet de loi ne comprend qu'une seule mesure en faveur de la vie culturelle des quartiers. Or, aujourd'hui, personne ne peut nier le rôle que joue la culture en matière de cohésion sociale. Constitutive d'une identité commune, elle est indéniablement un facteur d'intégration pour tous ceux qui ont la chance d'y avoir accès.

Or que nous proposait-on aujourd'hui ? Je parle au passé, car les choses ont visiblement changé ! On soumettait à nos débats l'unique article 13 qui, pour les zones franches urbaines, dispensait les projets d'équipement cinématographique de type multiplexe du régime d'autorisation préalable prévu par la loi Royer.

Une telle disposition tendait, nous a-t-on dit, à créer des pôles de vie culturelle et collective dans les quartiers. Si l'objectif paraît louable, et nous ne pouvons qu'y souscrire, dispenser d'autorisation préalable les projets de multiplexes ne nous semble pas être de nature à répondre à cette volonté.

Cela confirme, comme l'ont déjà dit mes collègues lors de la discussion générale, la précipitation avec laquelle ce projet de loi a été élaboré par le Gouvernement, à la suite de la crise sociale des banlieues. Il apparaît en effet comme un ensemble de mesures disparates, sans cohérence ni ligne directrice, en tout cas, par certains égards, déconnecté du terrain. La culture y est étrangement absente alors que ce texte vise à donner à chacun un droit identique à l'égalité des chances.

Selon moi, un tel dispositif traduisait une conception particulièrement réductrice de la politique culturelle que le Gouvernement compte développer dans ces quartiers.

Si, bien sûr, aujourd'hui, le cinéma reste un loisir populaire, les multiplexes à eux seuls ne peuvent constituer des pôles de vie culturelle. Dans la majorité des cas, reconnaissons-le, ce sont des annexes de centres commerciaux, qui proposent des activités beaucoup plus commerciales et marchandes qu'artistiques proprement dites. S'il peut paraître utile d'en implanter dans certains quartiers, alors faisons-le, mais dans des conditions maîtrisées.

Quelle vision d'ensemble des politiques culturelles à mener pour ces publics nous propose-t-on aujourd'hui ? Aucune ! Pourtant, si le Gouvernement voulait renforcer l'animation culturelle dans ces quartiers, il pourrait s'inspirer des expériences de terrain et des réussites locales.

Ainsi, les associations, par le travail en profondeur qu'elles ont réalisé, ont prouvé leur efficacité alors même que leurs crédits d'intervention ont été brutalement supprimés pour être finalement, crise des banlieues oblige, restitués dans l'urgence.

Réduire les politiques culturelles aux multiplexes, c'est aussi oublier ou méconnaître la vitalité sociale et culturelle des quartiers. Pensons, par exemple, aux expériences des « nouveaux territoires de l'art », qui ont fait l'objet d'un récent colloque au Sénat. Ces collectifs artistiques, installés dans des friches industrielles, sensibilisent les populations des zones périphériques, à l'écart des équipements culturels, et facilitent, par leurs actions de sensibilisation, l'accès de tous les publics à la culture.

Afin de favoriser cet accès à la culture dans les quartiers en difficulté, il conviendrait, tout d'abord, d'inciter et de soutenir les collectivités locales afin qu'elles mettent en place des services publics culturels de proximité, qu'il s'agisse d'écoles de musique, de bibliothèques, de maisons de quartier, de salles de spectacles et - pourquoi pas ? - de salles de cinéma d'art et d'essai... À ce sujet, je souhaiterais savoir où en est le programme des médiathèques de proximité, que l'on appelle « les Ruches », lancé par le Gouvernement en 2003 ?

Il conviendrait, ensuite, d'aider parfois à l'implantation de grands équipements culturels structurants qui, fréquentés par l'ensemble des habitants de la ville, permettent aux quartiers de rompre leur isolement géographique. À titre d'exemple, à Rouen, la ville dont je suis l'élue, nous avons délibérément choisi d'implanter la future grande médiathèque dans un quartier inscrit au titre de la politique de la ville.

Il conviendrait, par ailleurs, d'ouvrir les habitants aux pratiques culturelles auxquelles ils n'ont pas accès d'emblée, qu'il s'agisse de leur proposer une offre qui les sensibiliserait -évoquons ici le succès populaire des festivals d'arts de la rue -ou bien de les amener à fréquenter physiquement les établissements culturels de centres-villes tels que les théâtres, les opéras, les conservatoires, les musées.

Il conviendrait, enfin, évidemment de développer l'éducation artistique et culturelle. C'est pourquoi je trouve particulièrement regrettable qu'aucune proposition ne soit faite à ce sujet. Personne n'ignore pourtant que l'école est l'acteur déterminant de l'égalité des chances dans la mesure où elle permet, dès le plus jeune âge, l'ouverture sur les autres et à d'autres univers.

Voila pourquoi, lors des débats relatifs au projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, nous avions insisté sur l'intégration, dans le socle commun des connaissances, d'une sensibilisation aux arts et à la culture pour tous. Cette mesure a été rejetée. Je le regrette, car, aujourd'hui, l'égalité des chances inclut certes l'égalité d'accès à un logement, à un emploi, à la santé, mais aussi l'égalité d'accès à des valeurs et une culture communes. Ne pas évoquer l'éducation artistique et culturelle, c'est passer à côté d'un enjeu important de l'intégration sociale !

Dans ce domaine, il existe pourtant de nombreuses initiatives locales visant à la sensibilisation aux arts et à la culture sur le temps scolaire ou périscolaire.

À Rouen, par exemple - permettez-moi une nouvelle fois de m'inspirer de mon expérience de terrain -, mais également dans bien d'autres villes, les responsables des écoles du réseau d'éducation prioritaire et les établissements d'enseignement artistique, que ce soit les conservatoires ou les écoles de musique financées par la ville, ont mis en place, à la faveur du contrat de ville puis du groupement d'intérêt public du grand projet de ville, des programmes d'éducation musicale.

Je pourrais également évoquer les équipes de médiateurs du livre, qui travaillent dans les quartiers avec les associations. Je pourrais citer encore l'accueil en résidence de compagnies qui s'ouvrent au quartier en proposant des actions en coordination avec les habitants : un festival des arts de la rue par-ci, un festival de cinéma en plein air par-là !

Bref, voilà de nombreuses propositions très intéressantes qui permettent de revitaliser - non seulement économiquement, mais aussi culturellement - un quartier et de reconstruire le lien social.

Or que se passe-t-il aujourd'hui ? On ne cherche pas à pérenniser ce qui fonctionne, et de telles opérations sont constamment menacées par les dispositifs des politiques de la ville, sans cesse modifiés. Les élus et les acteurs de terrain, les éducateurs et les familles, qui ont « mouillé leur chemise » ces dernières années, sont aujourd'hui découragés et s'interrogent.

Qu'en sera-t-il demain ? Les élus que nous sommes, qui gèrent ces quartiers, savent combien l'équilibre y est toujours fragile et que ce qui est acquis doit absolument être consolidé.

Ces actions, madame la ministre, qui tendent à impliquer les habitants, à les rendre acteurs de leur culture et pas seulement consommateurs de produits culturels standardisés, contribuent à la démocratisation culturelle. Il convient véritablement d'être pragmatique ! Ce sont ces dispositifs, plutôt que des mesures nouvelles à l'efficacité douteuse, qui devraient être soutenus et généralisés par des financements pérennes de l'État. Associés à ceux des collectivités locales, ce sont eux qui créent une véritable dynamique dans les quartiers.

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