Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 3 mars 2006 à 15h00
Égalité des chances — Article 13

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Faire appel au secteur de l'exploitation cinématographique pour promouvoir, au sein des zones franches urbaines, l'égalité des chances en matière culturelle me paraît très réducteur des besoins culturels des quartiers en difficulté ; mais cela ne semble pas être l'une de vos préoccupations !

Vouloir créer sans délai des pôles de vie culturelle en levant, dans le périmètre des zones franches urbaines, la quasi-totalité des dispositifs qui permettent de réguler l'implantation des équipements cinématographiques me parait constituer un risque d'atteinte à l'équilibre réel, mais néanmoins fragile, du secteur de l'exploitation.

Depuis une décennie, plus de mille nouvelles salles de cinéma ont en effet été créées tandis que plusieurs milliers d'autres ont été rénovées, tant et si bien que la France dispose aujourd'hui du quatrième parc de salles au monde et du premier en Europe.

Ce dynamisme, que la plupart des pays nous envie, est le résultat d'une forte politique publique de soutien à l'exploitation cinématographique à laquelle les élus locaux, en siégeant au sein des commissions départementales d'équipement cinématographique notamment, ont largement contribué.

Par le biais de ces commissions qui, je le rappelle, ont la faculté d'autoriser ou d'interdire l'implantation ou l'extension des grands ensembles de type multiplexe, les élus sont en quelque sorte les garde-fous des investissements surabondants qui pourraient devenir néfastes tant en terme de répartition géographique que de diversité de l'offre cinématographique.

Le rôle de régulation joué par ces commissions pour équilibrer la répartition géographique des multiplexes, des salles privées de plus petite envergure, des salles classées « art et essai » et des salles municipales n'a d'ailleurs jamais été remis en cause. Bien au contraire, il n'a cessé d'être conforté, et ce bien au-delà des clivages politiques, tant l'enjeu est important pour l'aménagement du territoire et l'accès des films et des publics aux salles.

Nous sommes donc très surpris que, à contre-courant de tout ce qui s'est fait en la matière depuis presque dix ans, vous décidiez aujourd'hui de prendre le risque de déstabiliser l'équilibre obtenu de longue haleine par tous les acteurs du secteur de l'exploitation.

Vous nous direz sans doute que l'article 13 de ce projet de loi prend en compte la nécessité de maintenir cet équilibre dans la mesure où il ne dispense du régime d'autorisation préalable que les projets qui concernent des zones dont la densité d'équipement est inférieure à la moyenne nationale. Il s'agit là d'une vision bien étroite du rôle assumé jusqu'à présent par les commissions départementales d'équipement cinématographique.

L'article 36-1 de la loi Royer énumère, en effet, de manière exhaustive l'ensemble des critères devant motiver la décision de la commission. Je n'en citerai que quelques-uns : la fréquentation cinématographique observée dans la zone, la situation de la concurrence, la nature et la composition du parc de salles, l'effet potentiel du projet sur la fréquentation et sur l'équilibre souhaitable entre les différentes formes d'offre de cinéma, la préservation d'une animation culturelle et économique suffisante de la vie urbaine et l'équilibre des agglomérations, le projet de programmation envisagé pour l'établissement objet de la demande d'autorisation, les relations avec les établissements de spectacles cinématographiques de la zone d'attraction concernée, la qualité architecturale du projet.

C'est la prise en compte de l'ensemble de ces critères qui fait la force et l'utilité des commissions départementales d'équipement cinématographique, et non seulement celui de la densité, qui, s'il est certes important, ne permet pas une lecture précise de la diversité des formes d'offre de cinéma.

Le cinéma n'est pas un bien ou un service comme les autres. Comme tout équipement culturel, il appelle une intervention du politique, qui doit jouer pleinement son rôle de régulateur en prenant en compte la pluralité des intérêts en jeu.

Il ne s'agit pas d'empêcher les investissements dans les projets de création ou d'extension de multiplexes.

La loi Royer, depuis la loi portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction du 2 juillet 2003, prévoit d'ailleurs la compétence des commissions départementales à partir d'un projet de trois cents places. Ce ne sont donc pas uniquement les équipements de type multiplexe qui sont soumis à l'autorisation préalable de ces commissions, c'est bien l'ensemble des projets de création de salles dépassant ce seuil, parmi lesquels figurent certes les projets de multiplexe, mais également ceux de taille plus modeste.

Le bilan des décisions rendues par les commissions départementales justifierait-il, par ailleurs, une exonération de ce dispositif ?

Les chiffres fournis par le Centre national de la cinématographie, le CNC, dont fait état M. Richert dans son rapport, au nom de la commission des affaires culturelles, sont éloquents : depuis juillet 1996, sur les 270 demandes d'autorisation examinées, 76 % ont fait l'objet d'une décision d'autorisation en première instance et 30 % de ces décisions ont fait l'objet d'un recours devant la Commission nationale d'équipement commercial. Au final, à l'issue de ces deux procédures, 73 % des demandes ont été satisfaites.

Madame la ministre, on ne peut donc pas dire que ce régime d'autorisation préalable constitue un frein aux projets de création ou d'extension de salles. Bien au contraire, nous pensons qu'il est un atout pour le cinéma français en ce qu'il participe à l'harmonisation de l'offre de salles par le biais d'une mise en perspective des projets, conformément à la réalité économique et culturelle des territoires envisagés.

C'est pourquoi, madame la ministre, comme vous le demanderont d'ailleurs MM. les rapporteurs des commissions des affaires culturelles, sociales et économiques, nous souhaitons le maintien de ce régime d'autorisation préalable.

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