Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 3 mars 2006 à 15h00
Égalité des chances — Article 14

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Je constate que la commission et sans doute aussi le Gouvernement ont pris conscience que les réponses qu'ils proposaient en l'espèce pour les quartiers sensibles allaient trop loin. Il est dommage qu'ils ne s'en soient pas aperçus auparavant.

À dire vrai, la situation des quartiers sensibles, quelle que soit la question posée - celle de l'emploi, celle de l'activité économique, celle de l'école, celle de la santé, celle de la formation, celle de la culture -, agit comme une loupe portée sur les dysfonctionnements et les travers d'une société largement gangrenée par la seule logique de la rentabilité financière.

L'article 14 vise à donner satisfaction aux différents groupes de supermarchés, peu nombreux et très concentrés entre les mains de quelques-uns, qui, eux, se délectent de la création de zones sensibles.

Un communiqué de presse du groupe Leclerc, rendu public le 1er février dernier, est d'ailleurs très instructif à cet égard. Je le cite : « Pour 2006, E. Leclerc prévoit une croissance quasi identique - 4 %. Le contexte législatif va permettre à l'enseigne d'accroître son différentiel de prix. Le chiffre d'affaires du groupe bénéficiera aussi d'un ambitieux programme d'ouvertures de surfaces spécialisées et d'agrandissements des magasins. Les centres E. Leclerc sont convaincus que la loi Jacob-Dutreil va permettre un redécoupage du paysage de la distribution en France, en favorisant les enseignes dont les coûts structurels sont les plus bas. » Pour faire plus de bénéfices !

Le communiqué poursuit : « La réforme Jacob-Dutreil va redonner une plus grande liberté de prix aux enseignes. Profitant de cet avantage, les Centres E. Leclerc considèrent qu'ils disposeront d'une marge de manoeuvre plus importante que les sociétés cotées, soumises à la pression des marchés financiers. » Si l'on peut dire !

Le communiqué continue ainsi : « Outre l'effet positif de la baisse des prix, le groupe bénéficiera du transfert et de l'agrandissement d'une vingtaine de magasins et de l'ouverture d'une trentaine d'espaces spécialisés. »

Dans le domaine de la culture, comme cela a été dit précédemment, ils se font forts d'être partie prenante à la création tous azimuts de multiplexes.

L'avantage de ce type de communiqué de presse, c'est qu'il établit rapidement et clairement ce à quoi tendrait le présent article 14, s'il devait être adopté. Effectivement, à l'instar de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises - la loi Jacob-Dutreil -, il participe pleinement de l'activité et de la stratégie des grands groupes qui ont aussi, si l'on peut dire, « industrialisé » les modes de gestion du personnel vers le moindre coût.

Ce sont des centaines de millions d'euros que l'on s'apprête ainsi à verser à ces groupes, sans que la pérennité réelle des établissements soit garantie. En effet, il y a belle lurette qu'ils ont pris l'habitude de transférer leurs magasins au gré des opportunités législatives et, notamment, des incitations fiscales - c'est peut-être ce précédent qui a conduit la commission à réviser son jugement.

Il existe moult endroits à Paris - à cet égard, le treizième arrondissement a été précurseur - où des enseignes, à peine avoir été ouvertes en nombre, ont fermé presque immédiatement pour s'installer sans doute dans une zone sensible et y réaliser de meilleurs bénéfices.

Il est sage de supprimer cet article. Néanmoins, nous ne sommes pas au bout de nos peines si l'on considère votre conception de l'investissement dans les zones sensibles ; on voit bien, en effet, les raisons pour lesquelles vous avez proposé cet article.

Selon cette conception, l'investissement dans les zones sensibles doit permettre aux groupes de faire plus d'argent à un moment donné et aux entreprises de profiter des effets d'aubaine, puis de partir ensuite. Ce n'est franchement pas la nôtre.

Alors, tant mieux si cet article est supprimé, mais il s'inscrit dans une telle conception d'ensemble que l'on ne peut pas considérer cette suppression comme une victoire !

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