Intervention de Valérie Létard

Réunion du 3 mars 2006 à 15h00
Égalité des chances — Article 16

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 16, qui crée l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, l'ANCSEC, constitue l'une des dispositions les plus emblématiques du projet de loi initial.

Présentée comme le pendant pour l'action sociale dans les quartiers de l'Agence nationale de rénovation urbaine, elle soulève, madame la ministre, de nombreuses interrogations qui portent tant sur ses missions que sur ses moyens et sur son organisation. J'espère que notre débat permettra de mieux en cerner les contours.

Je voudrais, en préambule, souligner que la méthode utilisée pour créer cette agence me pose problème. Les personnels de la DIV et du FASILD vivent mal une transformation qui n'a fait l'objet ni d'une consultation préalable ni d'une concertation.

Certes, je n'ignore pas que le rôle du Gouvernement est de savoir prendre des décisions, fussent-elles parfois impopulaires. Cependant, fallait-il agir ainsi sans prendre le temps d'une réflexion associant tous les acteurs de la politique de la ville ? Je ne suis pas certaine que la démarche retenue soit judicieuse, s'agissant, en particulier, d'un champ social au sein duquel tous les interlocuteurs que j'ai rencontrés s'interrogent constamment sur le bien-fondé et l'efficacité de leur action. Il est donc dommage, à mes yeux, de s'être privé, en amont, de leur propre analyse de la situation actuelle.

Concernant l'article lui-même, j'ai déposé un amendement qui vise à préciser la nature de cette agence. Je l'ai fait dans l'espoir que soit apportée une réponse à trois interrogations qui ont été largement exprimées au cours des entretiens que j'ai menés dans ma région, et qui peuvent se résumer ainsi : une agence, pourquoi pas, mais pour quelles missions, avec quels moyens humains et comment pourra-t-elle fonctionner localement ?

Pour ce qui est des missions, à l'évidence, il règne une grande confusion, puisque le champ d'action de l'agence, constituée à partir du FASILD, sera infiniment plus étendu que le seul traitement de la question de l'intégration.

Nos rapporteurs ont bien mis en évidence les interrogations que soulevait la rédaction actuelle de cet article.

Si l'on s'en tient à l'objectif visé, l'agence devrait opérer sur tout le territoire national ou se concentrer sur les quartiers définis par la politique de la ville. Dès lors, comment se fera la hiérarchisation des choix entre ces différentes missions ?

Par ailleurs, il est à craindre que, si les règles du jeu ne sont pas suffisamment transparentes, l'inégalité entre certains territoires ne se renforce inévitablement. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à préciser dans cet amendement le périmètre géographique exact des quartiers de la ville dans lesquels l'Agence pourra intervenir.

Par ailleurs, si, vous le savez, madame la ministre, la politique de la ville est un « plus » pour tous ces quartiers en difficulté, la vraie question, si l'on veut les sortir de la crise, est la suivante : comment mobiliser de façon prioritaire le droit commun sur ces territoires ?

Or, à la lecture de cet article 16, l'on peut s'interroger sur ce point.

Quel sera le véritable pouvoir d'interpellation de l'agence sur l'action publique de l'État ? Sera-t-elle un simple guichet ou deviendra-t-elle une instance de réflexion collective permettant de « bousculer » nos modes d'intervention ? À mes yeux, c'est là que se situe le véritable enjeu !

Au-delà des crédits, certainement importants, dont elle disposera, l'agence ne pourra remplir sa mission que si lui sont donnés les moyens de rendre à la politique de la ville son caractère exceptionnel et additionnel. Il ne saurait être question, en effet, de la cantonner à un rôle de substitution au droit commun, comme c'est trop souvent le cas depuis plusieurs années.

Mes interrogations renvoient également, de ce fait, à la notion de « gouvernance », donc aux moyens dont disposera cette agence pour pouvoir articuler et mettre en cohérence les initiatives prises par chaque ministère dans les domaines de la cohésion sociale et de l'égalité des chances.

Je souhaiterais, madame la ministre, que vous puissiez nous apporter des précisions sur ces différents points, car il en va de l'intérêt même de la création de l'agence que vous nous proposez et de son efficacité future.

Pour être efficace et pouvoir créer le même effet de levier que l'ANRU en matière de rénovation urbaine, nous devons disposer d'un minimum de garanties quant aux prérogatives de l'agence, à son pouvoir d'interpellation des autres politiques d'État, ainsi qu'à son articulation avec d'autres dispositifs, notamment ceux qui ont récemment été mis en place dans le plan de cohésion sociale.

En outre, si, de plus, les financements se font systématiquement par appel à projet, l'inégalité territoriale pourrait là encore se révéler criante entre les territoires qui disposent de l'ingénierie suffisante et ceux qui en sont dépourvus, entre les associations les plus structurées et les autres.

Je ne citerai qu'un exemple, mais qui, selon moi, est significatif des craintes qu'il convient de dissiper, madame la ministre.

Un collège d'une grande commune de la métropole lillois, considéré comme l'un des plus difficiles, après avoir été désigné, à juste titre, comme site pilote pour la mise en place des équipes de réussite éducative, reçoit une aide spécifique. Or, parallèlement, ce même collège vient d'apprendre que, lors de la rentrée prochaine, quatre postes et demi d'enseignants seront supprimés. Où est la cohérence si l'on retire d'une main ce que l'on donne de l'autre ? Il nous faut veiller à ce que cela ne se reproduise plus, ce en quoi l'agence pourrait se révéler fort utile.

J'ai mentionné l'éducation, mais je pourrais dire la même chose en matière de prévention et de traitement des incivilités, puisque le ministère de la justice ne peut, faute de crédits réservés ou en nombre, soutenir suffisamment les associations qui oeuvrent dans les quartiers situés en politique de la ville.

Enfin, l'amendement que je proposerai tout à l'heure tend également à préciser la déclinaison territoriale de l'agence, en confiant, au niveau de chaque région, à des préfets délégués à la cohésion sociale et à l'égalité des chances un rôle de coordination et de pilotage du dispositif.

En effet, l'échelon pertinent pour articuler les missions de l'agence avec les actions déconcentrées de l'État et les politiques territoriales est, à l'évidence, celui de la région. Les contrats de plan État-régions sont, de fait, l'instrument qui permet d'organise la politique d'aménagement du territoire et d'élaborer la politique de la ville.

La réflexion sur l'ANCSEC doit pouvoir être menée dans une stratégie globale du territoire, puis être traduite en actions à partir de l'échelon départemental. Ainsi, pourquoi ne pas instituer un préfet à l'égalité des chances à l'échelon régional et des délégués par département ?

Des missions mieux définies, une meilleure articulation avec l'existant, des niveaux de décision plus pertinents : telles sont les améliorations que nous proposons à travers cet amendement.

Sachez, madame la ministre, que je ne doute pas de la volonté qui est la vôtre de préciser et d'améliorer, au cours de nos débats, la définition de cette agence, tout en lui laissant la souplesse nécessaire à un bon fonctionnement.

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