Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 3 mars 2006 à 15h00
Égalité des chances — Article 16, amendement 456

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Il est important de préciser certaines notions.

Comme l'ont déjà dit de nombreux collègues, ce projet de loi a peu de chose à voir avec la lutte pour l'égalité des droits.

En effet, madame la ministre, ce texte traduit l'esprit de la politique du Gouvernement qui, après avoir fait preuve d'un certain « populisme pénal » consistant à faire croire à nos concitoyens que l'on peut leur apporter une sécurité totale à partir du moment où seraient placés sous les verrous tous les délinquants, met aujourd'hui en place une sorte de « populisme social ». Ce dernier vise à faire croire que, parlant d'égalité des chances, ce sont les discriminations que l'on tente de faire reculer, la cohésion que l'on renforce en ramenant tout le monde au même niveau.

Mais, une fois atteint ce niveau de fausse égalité, que j'appelle pour ma part « égalité apparente », chacune et chacun devrait pouvoir réussir. Or, l'égalité des chances, telle que vous la proposez, n'est rien d'autre que l'exacerbation d'une société fondée sur la méritocratie, une société dans laquelle le modèle économique ultralibéral est appliqué jusque dans les rapports sociaux.

Comme le fait justement remarquer le sociologue François Dubet, ce projet de loi pour l'égalité des chances, notamment à travers la proposition de création de l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, « ne vise pas à produire une société égalitaire, mais une société dans laquelle chacun peut concourir à égalité dans la compétition visant à occuper des positions inégales ».

Le Gouvernement semble partir du postulat qu'il suffit que les vainqueurs de l'égalité des chances possèdent toutes les ressources et que les autres n'en aient aucune, sous le seul prétexte qu'ils auraient moins de mérites, pour que toutes les discriminations sociales, économiques, territoriales, voire sexuelles, soient dès lors acceptables.

Dans ce projet de loi, ce qui compte n'est pas tant de mettre un terme aux processus inégalitaires fondés sur la reproduction des rentes, des héritages et des privilèges, de la pauvreté et de l'exclusion, ces diverses ségrégations qui interdisent aux femmes, aux minorités, aux enfants de migrants, aux personnes en situation de handicap ou fragilisées, d'entrer dans une compétition équitable. Ce texte vise plutôt à permettre à ce que j'appellerai une « élite de classe » d'entrer dans cette même compétition.

La volonté d'établir l'égalité des droits civiques, civils et sociaux n'est pas au coeur de ce projet de loi. La réduction des inégalités sociales est positionnée à l'ultime périphérie de la politique de ce gouvernement.

Il faut reconnaître que le FASILD n'est pas un instrument parfait et qu'il devait être réformé en profondeur.

Cependant, son excellent personnel a tenté avec courage et volontarisme, certes parfois maladroitement et en commettant des erreurs, de répondre à cette exigence d'une justice sociale et citoyenne.

Au lieu de démanteler le FASILD, ce gouvernement, après avoir tiré les conséquences de ce qui allait bien et ce qui allait moins bien et avoir apprécié les points qui devaient être modifiés, aurait dû renforcer les missions et les compétences de cet organisme, voire les préciser, et augmenter ses moyens humains et financiers.

Précédemment, j'évoquais le « populisme social » qui apparaît dans le titre de ce projet de loi comme dans la dénomination de l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances.

L'amendement n° 456 rectifié est une réaction à cette même volonté de vouloir faire croire aux Français que, en créant une nouvelle agence ayant des missions largement étendues, on agit efficacement contre les inégalités sociales. Dans les faits, c'est totalement le contraire.

En élargissant les missions de l'agence susvisée aux actions en faveur de toute personne qui, sur le territoire national, rencontre « des difficultés d'insertion sociale ou professionnelle », c'est justement l'efficacité même de cette instance que vous affaiblissez. Avec un champ d'intervention ainsi défini, l'agence serait supposée s'occuper d'un trop grand nombre de personnes. Elle couvre potentiellement toutes les actions à caractère social menées non seulement dans les quartiers dits « sensibles », mais aussi sur tout le territoire. Les missions d'intégration et de lutte contre les discriminations spécifiques, actuellement remplies par le FASILD, seront noyées dans un ensemble aux frontières inconnues et incohérentes.

Il convient de recentrer les missions de la future agence sur ce qui constituait le coeur de celles du FASILD. Ce fonds mène depuis 1958 des actions en faveur de l'intégration des populations immigrées et de leur famille. Il a su évoluer en fonction de la politique d'intégration suivie, notamment en 2001 en se réorientant vers la lutte contre les discriminations. Ses missions ont été confirmées en 2005 par l'actuel gouvernement dans la loi de programmation pour la cohésion sociale. Sa remise en cause et sa disparition avec la mise en place de la nouvelle agence ne sont aucunement justifiées et comportent un risque important pour la mise en oeuvre de la politique publique d'intégration et de lutte contre les discriminations.

Or ce recentrage des missions est indispensable pour l'effectivité et l'efficacité de la lutte contre les inégalités.

C'est pourquoi j'ai proposé de modifier la dénomination de l'agence et de remplacer les mots « l'égalité des chances » par les mots « l'égalité des droits », ce qui montrerait que notre objectif est réel. Il s'agit de donner non seulement des chances mais aussi des droits pour se battre réellement contre les inégalités sociales et les discriminations.

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