Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 3 mars 2006 à 22h00
Égalité des chances — Article 19

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

La HALDE est une haute autorité indépendante. La mode est aux hautes autorités indépendantes. Le Conseil d'État, dans son rapport, en avait dénombré pratiquement une trentaine en 2001.

C'est une mode qui nous vient de l'univers anglo-saxon.

C'est une mode qui nous vient aussi de cette tendance, peut-être fâcheuse parfois, à penser qu'une autorité administrative est nécessairement plus indépendante et nécessairement plus neutre qu'une administration. Soit !

Le problème que pose l'article 19 du présent projet de loi est ailleurs, et il est de surcroît double.

D'abord, on sort du champ de la régulation économique, champ dans lequel les AAI, autorités administratives indépendantes, sont parfaitement justifiées. Le Conseil d'État, dans le rapport que je viens d'évoquer, avait d'ailleurs indiqué que, dès lors qu'il s'agissait de libertés publiques, le recours naturel, évident et recommandé était le recours au juge.

Ensuite, dès lors que l'on donne un pouvoir de sanction, comme le fait l'article 19, à la HALDE, on passe d'une autorité administrative à une autorité de jugement. Ce faisant, on enfreint le principe de la séparation des pouvoirs, comme l'a rappelé à deux reprises pour des AAI - en 1991 et en 1996 - le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel a même posé des limites. Doivent par exemple être scrupuleusement respectés les libertés constitutionnelles et les droits de la défense. Dans l'une de ses décisions, il a précisé « qu'en particulier une sanction administrative de nature pécuniaire ne peut se cumuler avec une sanction pénale ».

Par conséquent, l'article 19 du présent projet de loi est très clairement anticonstitutionnel.

Je note au passage que l'Assemblée nationale ne s'est pas émue de cette anticonstitutionnalité.

Notre commission des lois, elle, s'en est émue, et elle a déposé un amendement, habilement rédigé puisque l'on passe de la notion de sanction à la notion de transaction, mais cela revient néanmoins à faire entrer par la fenêtre ce que l'on n'a pas pu faire entrer par la porte.

Cet amendement me semble en effet appeler trois types de critiques.

Je m'interroge d'abord sur la nature de la transaction, alors que nous sommes dans le plein champ pénal - et l'amendement vise, bien sûr, deux articles du code pénal.

Je note ensuite que cette transaction éteint - bigre ! - l'action publique.

Je note enfin que la sanction pécuniaire atteint des niveaux si élevés qu'elle ne ressortit pas à une contravention mais plutôt à un délit. Nous sommes donc en présence d'une sorte de transaction-sanction ou de sanction-transaction pour des infractions pénales qui devraient naturellement relever de la seule autorité judiciaire.

Deuxième type de critiques : tout cela me paraît ressembler étrangement à une procédure qui existe déjà dans notre droit, la reconnaissance préalable de culpabilité, dite procédure du plaider coupable, mais sans les garanties qui entourent celle-ci, ce qui aura un terrible effet pervers. Je crains en effet que la HALDE n'« aspire » tout le contentieux des discriminations et que le recours à cette autorité, puisqu'elle va exercer une véritable magistrature en matière de principe d'égalité, ne se substitue à la comparution devant les tribunaux, qui est souvent plus infamante et beaucoup plus solennelle.

Troisième type de critiques : puisque l'on est au pénal et qu'il s'agit de quasi-sanctions, force est de constater que les droits et garanties de la défense sont mal définis et mal assumés, y compris dans l'amendement de la commission des lois. En particulier, on ne peut pas se contenter de renvoyer à un décret des garanties qui, en vertu de l'article 34 de notre Constitution, relèvent bien entendu du législateur.

Pour terminer, je dirai que, oui bien sûr, il faut sanctionner les discriminations, et les sanctionner avec fermeté puisque nous nous situons là au coeur de notre modèle républicain, mais que, précisément, si nous voulons les sanctionner avec fermeté, il faut ne pas les soustraire à la justice.

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