Nous sommes en effet très nombreux à ne plus supporter le « démembrement » de l'idéal républicain que constitue le pullulement de ces autorités administratives indépendantes. Je le dis d'autant plus tranquillement que mon propre camp n'a pas manqué, à l'occasion, d'y contribuer en même temps que se répandait une certaine conception que, pour ma part, je considère comme appartenant à la philosophie politique traditionnelle des Anglo-saxons, une conception de la démocratie à laquelle, pour ma part, je n'adhère pas. Je voudrais très rapidement expliquer pourquoi.
La République, ce n'est pas seulement la démocratie : c'est la démocratie, cela l'intègre, mais la République, c'est quelque chose de plus.
En démocratie, on demande à chacun de dire ce qu'il croit bon pour lui ; ensuite, on fait la somme, et on regarde ce qui s'impose à tous.
Il est compréhensible, dans cette vision de l'espace public, qu'en quelque sorte les intérêts ayant chacun regroupé leurs partisans on essaie de mettre au point des mécanismes d'équilibre. On vote, bien sûr. Le vote s'impose, et puis, il y a des instances d'équilibre qui sont d'autant plus indépendantes que le système lui-même le réclame. Il n'y a donc aucune perversité dans le système.
En République, ce n'est pas la même chose. En République, on demande à chacun d'exprimer non pas ce qu'il croit bon pour lui, mais ce qu'il croit bon pour tous. Ce n'est donc pas du tout pareil puisque cela suppose un citoyen qui n'est pas un individu concret, un individu portant ses propres intérêts, défendant sa propre cause personnelle et la mettant en arbitrage parmi les autres, mais un individu qui s'élève au-dessus de l'humus qui le constitue pour dire ce qui, à son avis, est bon pour l'ensemble, pour tous.
Les trois marchent de pair : d'abord, le citoyen-individu qui transcende l'individu concret et s'élève au-dessus de son intérêt personnel ; ensuite, l'unité, l'indivisibilité de la communauté légale ; c'est en ceci que se constitue le peuple français, le peuple français qui est l'ensemble de ceux qui contribuent à la formation de cette communauté légale, les citoyens.
Nous ne sommes pas Français pour des raisons ethniques, pour des raisons de couleur de peau, pour des raisons de religion, ou autre... Nous le sommes parce que nous participons librement et également à la même communauté légale.
C'est la raison pour laquelle la justice est rendue au nom du peuple français, c'est-à-dire au nom de la communauté légale qui englobe, dépasse, transcende et annule toutes les autres communautés subsidiaires, celles qui tiennent à la religion, à la peau, à la langue et à ce qu'on voudra !
Voilà pourquoi, fondamentalement, l'idée d'une haute autorité viole la conception républicaine de l'expression du souverain et de la manifestation de l'intérêt général ; en tout cas dans la conception que, moi, j'en ai, étant, comme chacun le sait dans cet hémicycle, un Jacobin qui n'a pas honte de l'être !
L'autre brutalité vient du fait que l'on invente, pour le coup, dans un modèle qui n'est pas le nôtre, une institution qui est à la fois le législatif, l'administratif et le judiciaire de son propre domaine. Alors là, c'est le comble !
Je ne dis pas cela spécialement pour cette Haute autorité, car ce serait totalement injuste. En effet, avec mes amis, j'ai soutenu la mise en place de telles autorités dans le passé.
Je crois avoir exprimé des principes dans lesquels nombreux se reconnaissent ici. Dans le cas particulier, il s'agit d'une transposition d'une directive européenne. Nous exprimons à cet instant des points de vue qui tiennent à la conjoncture. Sur le fond, il n'y a qu'une chose à dire après tout par ceux qui, comme moi, ne vont pas voter, mais même par ceux qui vont voter : « Vive la République » et surtout pas « Vive les hautes autorités ! »