Intervention de François Zocchetto

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Garde à vue — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto, rapporteur :

Mais la machine s’est emballée et nous avons assisté à un dévoiement de la procédure.

Comme l’a dit tout à l'heure Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi, on peut estimer à 800 000 le nombre de gardes à vue opérées en 2009 en France, dont 150 000 pour des infractions routières.

Je ne reviendrai pas longuement sur l’utilisation du nombre de gardes à vue comme indicateur statistique. Il serait heureux que le ministère de l’intérieur abandonne cette pratique qui a conduit à une certaine perversion de la mesure, mais, notamment pour les personnes ayant fait l’objet d’une garde à vue, et chacun ici en connaît, le mal est fait.

Je ne reviendrai pas plus longuement sur les conditions de détention, qui, nous en sommes tous convaincus – du moins je l’espère ! –, sont souvent déplorables. La responsabilité n’en incombe d’ailleurs pas toujours, loin s’en faut, aux personnels de police et de gendarmerie. Il n’est qu’à constater tout simplement l’état des locaux pour comprendre que toute personne se retrouvant en garde à vue voit, d’un seul coup, son quotidien basculer.

En matière de garde à vue, la Cour européenne des droits de l’homme accentue sa jurisprudence.

Ainsi, aux termes de l’arrêt Salduz c. Turquie, du 27 novembre 2008, la personne gardée à vue doit bénéficier de l’assistance d’un avocat « dès le premier interrogatoire […] par la police ».

Puis, dans l’arrêt Dayanan c. Turquie, du 13 octobre 2009, la Cour exige que l’action des avocats s’exerce librement, pour permettre à l’intéressé d’obtenir « la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. »

D’autres arrêts rendus plus récemment sont venus compléter cette jurisprudence, M. Mézard l’a évoqué à l’instant.

Autre point important pour appréhender le problème de la garde à vue dans son exhaustivité, la Cour de Strasbourg entend désormais limiter strictement les exceptions au principe de la présence de l’avocat. Aucune dérogation n’est ainsi possible, « sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

La législation française est visée, pour ce qui concerne non seulement, bien sûr, les infractions en matière de terrorisme, mais aussi la criminalité organisée.

Je tiens néanmoins à le rappeler, pour rassurer celles et ceux qui pourraient nourrir quelques inquiétudes, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne s’applique qu’aux États parties aux affaires jugées, la Turquie et la Pologne en l’occurrence. Il n’est toutefois pas certain que nous souhaitions être longtemps comparés à ces deux pays sous cet angle-là…

Il reste que la jurisprudence de la CEDH est difficile à interpréter, tant et si bien qu’un certain nombre de tribunaux français, semaine après semaine, n’hésitent pas à annuler, non pas forcément l’intégralité des gardes à vue, mais des actes accomplis au cours de celles-ci. Des premiers présidents de cours d’appel m’ont ainsi personnellement indiqué qu’ils seraient particulièrement sensibles aux thèses exposées par ceux qui se référeraient à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme…

Dans ce contexte, mes chers collègues, je suis, comme vous tous sans doute, extrêmement préoccupé par l’insécurité juridique dans laquelle nous risquons de nous trouver.

On a vu récemment des tribunaux correctionnels annuler des actes de garde à vue et, en conséquence de cette annulation, ordonner la remise en liberté de personnes pourtant loin d’être « innocentes », au sens commun du terme, dans la mesure où elles avaient été reconnues coupables à l’occasion de précédentes affaires. Nul doute que ces personnes ne tarderont pas à être de nouveau jugées !

Mes chers collègues, quelles sont les solutions envisageables ?

Il importe de nous pencher sur l’avant-projet de loi présenté par le Gouvernement, dont le texte, comme l’a rappelé Mme le garde des sceaux, a été mis en ligne il y a trois semaines environ. Il s’inspire en partie des suggestions du comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger.

Par ce biais, le Gouvernement entend tout d’abord limiter la garde à vue aux strictes nécessités de l’enquête. Cela peut paraître évident, mais encore faut-il le rappeler, ne serait-ce que pour « guider » la jurisprudence de la Cour de cassation.

Ensuite, le texte du Gouvernement prévoit un second entretien à la douzième heure de garde à vue. Celle-ci, aujourd'hui, dure en principe vingt-quatre heures, mais peut-être prolongée sur autorisation écrite du procureur. Proposition supplémentaire, en cas de prolongation au-delà de vingt-quatre heures, le mis en cause pourrait être assisté, lors des auditions, d’un avocat, qui aurait alors eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés.

Enfin, aux termes de l’avant-projet de loi, pour les infractions passibles de moins de cinq ans d’emprisonnement, les personnes pourraient être entendues dans le cadre d’une audition libre, au commissariat ou à la gendarmerie, sans contrainte et pour un maximum de quatre heures.

Ces propositions me paraissent intéressantes et méritent d’être discutées, tout comme celles qui sont contenues dans la présente proposition de loi.

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