Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Garde à vue — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Michèle Alliot-Marie, ministre d'État :

M. le rapporteur l’a très bien dit : dans notre texte, nous avons prévu, au-delà de cette présence possible de l’avocat au cours de la première demi-heure, la possibilité d’un entretien avec son client à la douzième heure. Nous avons tenu compte d’un certain nombre de remarques assez justifiées qui nous ont été faites, comprenant notamment que, pendant la première demi-heure, le rôle de l’avocat s’apparente plus à celui d’une assistante sociale qu’à celui d’un réel conseil juridique. Au bout de la douzième heure, on est passé à autre chose.

C’est aussi parce que je souhaite que l’avocat puisse travailler de façon utile qu’il est prévu d’autoriser à son profit la communication des procès-verbaux des interrogatoires au fur et à mesure de leur établissement : c’est, en effet, sur cette base que le conseil va pouvoir commencer à fonder une défense.

Les avocats m’ont fait part de leur désarroi fréquent faute de savoir, jusqu’à présent, ce qu’avaient réellement dit ou tu leurs clients. À ce propos, j’ai le sentiment que nous sommes bien d’accord sur ce qui doit être visé. Pour autant, les réponses apportées à un certain nombre de questions devront s’inscrire dans une logique d’ensemble.

Je souhaite que cette logique d’ensemble soit dépourvue d’arrière-pensées et que toute suspicion pesant sur la procédure soit écartée. Il importe que les choses soient extrêmement claires.

Je commencerai par la question du rôle réel de la garde à vue : elle doit être limitée à ce pour quoi elle est faite, c’est-à-dire faire avancer l’enquête en entendant directement une personne pour obtenir des informations indispensables à la poursuite de ladite enquête.

Cela veut dire que le recours à la garde à vue doit être limité à des cas relativement graves, c’est-à-dire les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement. Et même si, dans la plupart des cas, ce principe est déjà appliqué, il est bon que cela soit dit et redit.

Il est important, en outre, de distinguer nettement la garde à vue des autres situations et d’éviter les confusions avec les cas de dégrisement. Il faudrait disposer de locaux séparés, ce qui n’est pas toujours le cas. Lorsque l’on mélange les deux situations, les conditions matérielles de la garde à vue sont absolument épouvantables !

Il faut également que la question des critères établissant la nécessité de certaines gardes à vue soit davantage précisée. Dans le texte que nous préparons, nous avons prévu que, pour des affaires qui ne présentent pas un caractère de gravité particulière – même si elles sont susceptibles d’être punies d’une peine d’emprisonnement – la personne concernée pourra, sous réserve de son accord, être entendue librement. Je précise bien que cette audition libre n’est possible, contrairement à ce qui a été dit, que si la personne en est d’accord. Si en revanche elle souhaite bénéficier des garanties attachées à la garde à vue, la personne pourra faire l’objet d’un placement en garde à vue.

Honnêtement, dans le cas d’une gamine qui a volé un tube de rouge à lèvres dans un Prisunic, je ne vois pas l’intérêt de la garde à vue ! Je préfère que l’on prenne son nom et son adresse et que le processus se déroule dans les conditions de la liberté, ce qui sera un peu moins traumatisant qu’une garde à vue !

C’est pourquoi, après avoir beaucoup hésité, nous avons finalement inscrit cette idée de l’audition libre pendant quatre heures. Elle me paraît correspondre à nombre d’affaires mineures que l’on peut régler d’une façon relativement simple, lorsque l’on ne craint ni que la personne disparaisse, ni qu’elle fasse disparaître des preuves, ni enfin qu’elle prévienne des complices. Là, nous approchons d’une plus juste proportionnalité de la garde à vue avec les nécessités de l’enquête.

Si cependant on réclame la présence de l’avocat, c’est souvent, soyons clairs, par crainte, exprimée par certains, que les policiers ou les gendarmes n’obtiennent un aveu en exerçant une pression sur la personne gardée à vue…

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité travailler non sur des généralités mais sur un projet de loi dont je signale qu’il est totalement publié et qu’il est consultable sur Internet. Et il y est écrit que l’aveu en garde à vue hors la présence de l’avocat ne peut être retenu comme seule cause d’une condamnation. Cela devrait dissiper tout problème en la matière !

Bien entendu, je sais aussi que les conditions de la garde à vue ne peuvent être détachées du sujet. Et vous avez eu raison de rappeler que certaines pratiques ont besoin d’être mieux encadrées. Parce que ce n’est pas du niveau législatif, les textes réglementaires rappelleront que les conditions de la garde à vue doivent préserver la nécessaire dignité des personnes. Je pense, par exemple, au retrait du soutien-gorge ou des lunettes. Ces mentions figureront explicitement dans les textes.

Vos propositions soulèvent un certain nombre de questions. Je devine vos soupçons, mais je me dois de dire que certains points devront être clarifiés, notamment quant à la demande de présence continue d’un avocat.

D’abord, qu’en sera-t-il en matière de terrorisme ou de crime organisé ? J’ai besoin de le savoir. Ce sera l’un des cas sur lesquels la plus grande clarté s’imposera.

En la matière, la jurisprudence européenne admet parfaitement qu’il y ait un régime spécial pour le terrorisme et le crime organisé. Je suis pour le régime spécial et ne souhaite pas que soit modifié le régime actuel prévalant pour le terrorisme et le crime organisé. Mais je souhaite changer tout le reste.

Ensuite, je vous demande de penser aux situations d’enlèvement et de séquestration. Si nous vous suivons sur le fait qu’il ne puisse pas être procédé à l’audition d’une personne gardée à vue hors la présence de l’avocat dès le départ, faudra-t-il attendre, alors qu’il peut y avoir urgence et que la vie d’une personne est en jeu ?

Et que se passe-t-il si l’avocat ne se présente pas au bout de vingt-quatre heures ? En effet, on nous signale, d’ores et déjà, un certain nombre de cas où les avocats sont demandés et ne se présentent pas. Il faut cesser de raisonner exclusivement en citadins. Imaginons la situation d’une gendarmerie dans le fin fond du Cantal ou du Queyras en plein hiver ! Et vous connaissez bien ces situations, madame Escoffier.

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