Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Garde à vue — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, le débat du 9 février dernier nous aura permis de confirmer, dans cet hémicycle, la gravité de la situation en matière de mesures de garde à vue. Au-delà des chiffres, nous avons fait ensemble le constat de leur multiplication inacceptable, des dérives auxquelles elles donnent lieu, de conditions matérielles souvent humiliantes et attentatoires à la dignité de trop nombreuses personnes.

Ce constat partagé, madame la garde des sceaux, nous l’avions déjà fait en 2000, s’agissant des prisons : or, sur ce dernier sujet, dix ans se sont écoulés avant que l’on aboutisse à une loi, et encore cette loi a-t-elle été votée a minima. Entre le constat partagé et l’action qui s’ensuit, il y a souvent un long délai, et un gouffre ! C’est pourquoi, en l’occurrence, nous ne saurions nous satisfaire d’un simple constat.

Ce débat nous a permis de rappeler combien notre législation s’éloignait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – même si ce dernier constat est sans doute moins partagé ! –, ce qui a d’ailleurs conduit plusieurs tribunaux à annuler des mesures de garde à vue. J’avais souligné, à cette occasion, que la multiplication quasiment exponentielle de ces mesures, notamment ces dernières années, était due à l’inflation répressive inscrite dans la politique pénale du Gouvernement, une inflation qui constitue une véritable fuite en avant permettant tous les débordements.

« Il faut repenser le droit », avais-je alors dit. Ce doit être effectivement pour nous, législateurs, une tâche urgente. Les avocats et magistrats, qui se mobilisent en grand nombre, comme le 9 mars dernier encore, nous y incitent. Ils ont raison !

Il est significatif que les secrétaires de la Conférence aient soulevé pour la première fois la « question prioritaire de constitutionnalité » à propos de la garde à vue, au motif qu’elle porte atteinte aux libertés et aux droits de la défense. Ils ont ainsi souligné le rôle limité des avocats pendant la garde à vue, dont chacun, là encore, peut faire le constat.

La proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard, qui avait déjà pris l’initiative du précédent débat, participe de cette nécessaire réécriture du droit, en prévoyant notamment la présence immédiate de l’avocat, souhaitée par nombre d’entre nous.

Si donc j’approuve la proposition de loi de notre collègue, que je voterai, je considère cependant qu’elle ne répond que partiellement aux exigences de la protection des droits. Sur ce point, la lecture de l’avant-projet de réforme de la procédure pénale, que vous soumettez à la concertation des professionnels, madame la garde des sceaux, ne me rassure pas, et ne paraît pas les rassurer non plus.

Le président du Conseil national des barreaux qualifie en effet de « faux-semblant » l’audition libre de quatre heures qui serait substituée à la garde à vue immédiate. Je considère, pour ma part, que l’obligation et l’audition libre sont des notions antinomiques. Soit la personne donne son accord à l’audition, et celle-ci est alors « libre », soit ce n’est pas le cas, et cette audition n’a rien de libre !

La législation en matière de garde à vue est devenue, au fil des lois, à la fois plus complexe et plus sévère, et a progressivement remis en cause le sens initial de la garde à vue ; c’est à ce sens que nous devons revenir pour légiférer.

Vous le savez, la garde à vue avait à l’origine pour objet de retenir les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations, avant de les déférer devant le juge. Elle est devenue trop souvent –là encore un constat partagé ! – un moyen d’intimidation et de pression donnant lieu, par voie de conséquence, à des abus. Il s’agit pourtant bien d’une mesure privative de liberté qu’aggravent trop souvent, hélas, des conditions matérielles déplorables et l’exposition des personnes concernées à des actes dégradants ou attentatoires à leur intégrité physique.

Or, je le rappelle, la privation de liberté, quel qu’en soit le mode, doit rester l’exception, puisqu’elle constitue déjà, en soi, une atteinte à la liberté individuelle.

De plus, s’il avoue, le gardé à vue présumé innocent, devient de fait, nous le savons, un présumé coupable. Or, ce stade de l’enquête est extrêmement important dans la mesure où les preuves alors obtenues détermineront le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès.

Ce processus risque de mettre sur les rails une vérité policière très difficile à contester et susceptible de devenir ensuite une vérité judiciaire.

C’est pourquoi nous avons, pour notre part, voulu inscrire les dispositions contenues dans la proposition de loi déposée par mon groupe dans un retour à la définition originelle de la garde à vue.

Ainsi, nous proposons d’encadrer le recours à cette mesure privative de liberté, d’en renforcer les garanties en termes de procédure et de respect de la dignité des personnes et, enfin, de sanctionner les violations de ces garanties.

Permettez-moi de vous livrer quelques précisions.

Restreindre le champ de la garde à vue suppose de prévoir dans la loi la condition d’indices graves et concordants de nature à justifier une mise en examen, et cela pour un crime ou un délit passible d’une peine de prison qui ne saurait être inférieure à cinq ans.

Nous sommes pour la suppression de la garde à vue pour les mineurs tout en maintenant la possibilité exceptionnelle de retenir un mineur à disposition d’un officier de police judiciaire et en prévoyant l’intervention d’un magistrat à tous les stades de la procédure.

Nous proposons aussi – je sais que vous n’y êtes pas favorable, madame le ministre d’État, et que cela suscite aussi des oppositions dans cet hémicycle – d’abroger les dispositions exorbitantes du droit commun en matière de criminalité et donc de terrorisme.

M. Gilbert Thiel, juge d’instruction au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, a critiqué la propension à « étendre de façon insidieuse la notion de terrorisme ». C’est bien là tout le problème ! Le terrorisme est facilement invoqué pour des gardes à vue exorbitantes. Depuis la loi Perben II, les dispositions antiterroristes ne présentent plus de caractère exceptionnel par rapport à la criminalité, puisqu’elles sont intégrées dans la criminalité organisée.

Nous voulons mettre fin à l’isolement du gardé à vue, notamment en supprimant les dérogations de l’article 63-2 du code de procédure pénale.

Concernant l’assistance de l’avocat, notre collègue François Zocchetto, rapporteur de la proposition de loi, avait prévu la présence de l’avocat dès la première heure, mais ce n’était que pour un entretien de trente minutes maximum, soit un entretien assez peu utile puisque l’avocat, à ce stade, ne connaît alors pas grand-chose du dossier.

C’est pourquoi nous proposons que la personne gardée à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la procédure, mais aussi que celui-ci ait accès au dossier existant.

Quant aux fouilles intégrales et aux investigations corporelles, elles doivent être interdites. Les fouilles de sécurité doivent être réalisées avec des moyens de détection électronique.

Voilà, mes chers collègues, madame la garde des sceaux, ce qui me paraît constituer une procédure de garde à vue répondant aux règles européennes.

L’actuelle et constante aggravation pénale est orchestrée par un matraquage médiatique et politique qui « surfe » sur le triptyque « peur-victime-répression ».

Il faut, nous dit-on, répondre aux victimes – c’est un fait, et je partage ce souci – et donc trouver rapidement un coupable, et c’est cette célérité qui pose un premier problème ! En effet, cela nourrit l’exigence d’une justice rapide, trop rapide parfois, alors que la justice à besoin de temps.

Dans ces conditions, la garde à vue, la culture de l’aveu, qui vulnérabilise les personnes concernées, et la politique du chiffre participent de la réponse à cette exigence.

La statistique n’a que faire du respect des droits fondamentaux ; elle permet seulement d’afficher un volontarisme politique qui n’est pas toujours suivi de conséquences.

Qu’il faille concilier les droits de la défense et la protection de l’ordre public – je préférerais d’ailleurs que l’on parle de « sûreté » plutôt que d’« ordre » –, je l’entends. Mais gardons-nous d’une vision maximaliste de la sécurité.

Les droits fondamentaux sont le socle de la démocratie et je continue de penser que leur respect par les institutions constitue partout leur meilleur vecteur.

Concernant la procédure, monsieur le rapporteur, votre rapport et vos conclusions manifestent, si l’on en doutait encore, l’impuissance du Parlement.

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