Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Garde à vue — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, c’est un sujet sensible et récurrent que nous examinons aujourd’hui.

Il y a quelque mois, nous en avions déjà débattu. François Zocchetto nous a dit, avec une nuance de regret, que débattre tous les deux mois de la garde à vue ne suffirait peut-être pas à renouveler ni à enrichir le sujet. Mais j’espère, vous nous l’avez promis, monsieur le rapporteur, que nous arriverons enfin, dans quelque temps, au cours de cette année – le plus tôt sera le mieux – à traiter à fond cette question.

La garde à vue connaît de terribles dérives, tout le monde l’admet, tant dans la manière dont elle est utilisée au quotidien par la police et la gendarmerie, que par les conditions matérielles quelquefois épouvantables et en tout cas regrettables qui l’accompagnent.

La première chose à faire pour y remédier est tout simplement de restreindre son usage. Cela relève d’ailleurs non pas du législateur mais de la pratique et donc de votre responsabilité, madame le ministre d’État.

Le nombre des gardes à vue atteint des sommets – on en compte près de 900 000 ! –, comme plusieurs orateurs l’ont déjà souligné.

Toutefois, la garde à vue constitue à l’évidence un élément essentiel de la poursuite pénale, même si elle doit bien sûr être gérée de façon telle que son efficacité soit garantie. Nous ne pouvons y renoncer, sauf à être indifférents à l’efficacité de la poursuite pénale, ce qui semble le cas de certains intervenants, si j’en juge d’après leurs propos… Une telle option existe, naturellement, mais elle est tout de même particulière, et je ne pense pas qu’elle puisse être retenue par des parlementaires responsables !

Deux éléments permettent d’expliquer ces chiffres, sans les justifier.

Le premier réside dans l’application de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances. En effet, le nombre des gardes à vue semble avoir été retenu parmi les critères d’évaluation de la performance des services de police et de gendarmerie, ce qui incite ces derniers, tout naturellement, à recourir toujours davantage à ces procédures. Il ne faut pas sous-estimer l’influence de ce phénomène dans la hausse du nombre des gardes à vue que nous constatons.

Toutefois, ce problème vaut pour la statistique en général, et pas seulement pour les gardes à vue. Dès lors que, pour apprécier une action quelconque, on se réfère à des éléments statistiques, on est presque toujours amené à développer une vision purement quantitative ; c’est la seule façon de traduire une réalité en chiffres et en statistiques, mais une telle méthode ne rend pas compte de la dimension qualitative. Or, malheureusement, c’est cette dernière qui pose aujourd'hui problème.

Mieux vaudrait reconnaître que nous sommes incapables d’apprécier la qualité d’un service public – celui de la répression pénale ou un autre –, et renoncer à porter une appréciation quand nous sommes incapables de le faire. Ou alors, cherchons à définir des critères qui ne soient pas uniquement statistiques, ce qui ouvre un champ immense à la réflexion, spécialement en matière de justice, madame le garde des sceaux !

Ainsi, combien de fois ai-je entendu parler de la durée moyenne des procès, que l’on calcule en mélangeant des ordonnances sur requête, qui sont rendues dans les deux heures, et des procédures qui ont duré cinq ou six ans, ce qui n’a aucun sens !

De façon générale, méfions-nous de ces appréciations statistiques. En réalité, dans la plupart des domaines, et singulièrement dans celui qui nous préoccupe aujourd'hui, ce qui compte, c’est la qualité de l’action et de ses résultats, qui ne s’apprécient pas à travers des chiffres.

Le second facteur expliquant l’augmentation du nombre des gardes à vue réside dans l’utilisation au quotidien de ces dernières. Pour abréger mon propos, je ne reviendrai pas sur les abus auxquels a donné lieu cette procédure : d’autres que moi les ont dénoncés, et il est donc inutile que je les rappelle. À l’évidence, il faudrait instaurer un seuil minimal de gravité pour l’infraction passible d’une garde à vue, de manière à limiter, si j’ose dire, les dégâts et les risques.

D’ailleurs, dans la plupart des pays de l’Union européenne, la garde à vue n’est prévue que dans le cas où les faits reprochés sont susceptibles d’être punis d’une peine d’emprisonnement au moins égale à cinq ans. Il faudrait envisager ce genre de limitation, me semble-t-il, mais en gardant à l’esprit le risque de « surqualification » juridique qui, malheureusement, apparaît inévitable, comme on l’a rappelé tout à l’heure à propos des affaires de terrorisme. Il faudrait, là encore, trouver le moyen d’exercer des contrôles plus sérieux et plus précis.

Mes chers collègues, au-delà de la réduction des cas de gardes à vue de droit commun, ne devons-nous pas réfléchir à une mesure qui remplacerait, ou plutôt qui compléterait celles-ci ?

Je sais qu’il est question d’une formule dite des « quatre heures ». Pourquoi pas ? Je demande que l’on y réfléchisse.

Il s'agirait d’un dispositif simplifié, d’une sorte de « mini » garde à vue, qui, semble-t-il, serait soumise à l’acceptation de la personne concernée, n’exclurait pas la présence de l’avocat et permettrait peut-être d’alléger le système.

Si les professionnels et les enquêteurs souhaitent un tel dispositif, il faut leur faire confiance, me semble-t-il. Nous devons bien voir que le domaine qui nous préoccupe ici relève essentiellement de la pratique. J’admire les gens – on en entend ici ou là – qui n’ont jamais vu le moindre procès de près, ni suivi une enquête ou assisté à un interrogatoire, et qui nous donnent des leçons, comme s’ils savaient parfaitement comment les choses se passent.

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