Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Garde à vue — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Nous sommes favorables à une extension de l’intervention de l’avocat durant la garde à vue. La simple présence de ce dernier lors des interrogatoires modifiera probablement leurs modalités. Elle garantira certainement un meilleur respect des droits de la défense dès le début de l’enquête pénale.

Cette évolution présente des avantages pour les suspects entendus, mais aussi pour les officiers de police, parce qu’elle constitue une garantie de sérieux, donc confère une valeur accrue aux dépositions ou aux éventuels aveux.

En effet, on admettra qu’un aveu a bien plus de valeur quand il est obtenu en présence d’un avocat, et non pas hors de tout contrôle, dans des conditions dont personne ne sait si elles sont, ou non, satisfaisantes. Tout le monde gagnera donc à ce dispositif, me semble-t-il.

Un aspect de cette proposition de loi me laisse toutefois sceptique, et il s'agit évidemment du plus délicat : le dispositif proposé présente la particularité de supprimer les dispositions dérogatoires concernant les formes les plus graves de la criminalité, à savoir celle qui est organisée. Aux termes du texte proposé, ces dispositions seraient réservées au seul terrorisme.

Mes chers collègues, je vous avoue que je ne comprends pas bien le sens de cette distinction. Bien sûr, le terrorisme constitue un crime épouvantable. Néanmoins, je me permets de signaler qu’il fait bien moins de victimes que les accidents de la circulation ou la traite des êtres humains, celle-ci constituant une forme de criminalité organisée !

La distinction fondamentale se situe donc entre la délinquance qui est organisée et celle qui est individuelle ou qui est organisée seulement de façon occasionnelle, par des complices.

La délinquance organisée qui caractérise nos sociétés modernes appelle forcément un mode de traitement plus prudent et mieux adapté. Je pense donc que toutes les infractions liées à la criminalité organisée, qu’il s’agisse de trafics de stupéfiants, de traite des êtres humains ou de trafics sexuels, ne peuvent être renvoyées au droit commun de la garde à vue.

Une telle évolution n’est pas souhaitable, me semble-t-il, car la particularité de cette forme de délinquance ou, le plus souvent, de criminalité, à savoir l’existence d’un réseau, exige que des précautions particulières soient mises en œuvre. Il faut l’admettre, et cela pour l’ensemble des circonstances de la délinquance organisée, et non pour une seule de ses variantes, car c’est toujours le même problème, et il est beaucoup plus grave qu’on ne le pense parfois.

Pour le dire clairement, mais je ne m’étendrai pas sur ce point, je songe ici à certains avocats. Il faut éviter la diffusion de certaines informations qui intéressent le réseau concerné. Nous devons éviter des « fuites » qui permettraient de faire disparaître des éléments de preuve, de préserver des complices, d’alerter le réseau. Tout cela est extrêmement grave : il y va de l’efficacité même de la lutte contre la délinquance organisée, déjà si difficile à combattre, d’autant qu’elle est transnationale.

Certes, les actes des terroristes resteraient placés hors du droit commun, mais cette disposition est nettement insuffisante. Les membres de mon groupe sont donc favorables au maintien d’un régime dérogatoire instaurant une période de secret pour les actes relevant de la criminalité organisée.

Toutefois, mes chers collègues, je poserai une question, en apportant peut-être en même temps une réponse : est-il possible d’éviter un tel système dérogatoire en posant le principe selon lequel, au stade de la garde à vue, l’avocat d’une personne relevant éventuellement d’une délinquance organisée ne pourrait pas être choisi par le suspect mais serait désigné par le bâtonnier sur une liste de défenseurs pouvant être commis d’office ?

Ce système serait pratiqué en Espagne dans les affaires concernant l’ETA, paraît-il. Je demande que l’on y réfléchisse, car il permet peut-être de garantir que les avocats soient sûrs, ce qui n’est pas acquis en un temps où ceux-ci se comptent par dizaines de milliers et où leur profession peut être embrassée si facilement…

Pour conclure sur un aspect plus technique, il paraît légitime d’attendre que se concrétisent les propositions de réforme formulées sur ce thème par le Gouvernement, parce qu’elles sont imminentes – j’espère qu’elles le sont effectivement, madame le garde des sceaux ! –, afin de nous prononcer en pleine connaissance de cause.

C'est pourquoi nous suivrons, pour notre part, les conclusions de M. le rapporteur. Je remercie d'ailleurs mon excellent collègue François Zocchetto de la qualité de son rapport. Celui-ci aura apporté des éléments utiles à une réflexion qui s’annonce encore longue, mais qui, de grâce, ne devrait pas l’être trop !

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