Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Garde à vue — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Michèle Alliot-Marie, ministre d'État :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec grand plaisir que je vais répondre à vos différentes interventions.

Je remercie Mme Anne-Marie Escoffier à la fois du travail qu’elle a entamé sur le projet de réforme de la procédure pénale et de la façon dont elle a présenté le dossier.

Il est vrai que deux questions se posent : celle de la présence de l’avocat et celle des conditions de la garde à vue. Sur ce dernier point, la seule réserve que je formulerai est relative à l’image de notre pays.

Je suis la première à le dire, dans un certain nombre de cas – trop fréquents ! –, les conditions dans lesquelles s’effectue la garde à vue ne sont pas tolérables, les mauvaises conditions matérielles et le manque d’hygiène, par exemple, portant atteinte à la dignité des personnes.

Cela dit, nous devrions aussi préciser que des avancées ont été permises grâce aux efforts de tous. Et si, dans certains lieux, les conditions ne sont effectivement pas dignes de notre pays, dans nombre d’autres elles sont parfaitement respectueuses de la dignité des personnes.

Alors arrêtons de battre notre coulpe pour tout et n’importe quoi, reconnaissons la réalité – ce que je fais – et cessons de stigmatiser systématiquement notre pays ! Nous pouvons reconnaître ce qui ne va pas, sans pour autant considérer que la situation qui est la nôtre est indigne. M. Jean-Marie Delarue en est d’ailleurs convenu lui-même : des gardes à vue s’effectuent aussi dans des conditions parfaitement admissibles. Sachons faire la différence !

Pour en terminer sur ce point, j’ajoute que la présence de l’avocat ne garantit pas, à elle seule, les conditions de la garde à vue. En effet, ce n’est pas lui qui peut changer l’état des locaux ! Il s’agit bien de deux problèmes réels et indépendants l’un de l’autre que nous devons régler parallèlement.

M. Jean Louis Masson trouve le texte insuffisant, mais il refuse le renvoi à la commission. Je n’ai donc pas très bien saisi la logique du raisonnement.

M. François-Noël Buffet distingue la nécessité de la garde à vue des conditions dans lesquelles elle s’effectue. Effectivement, à chaque fois qu’elle est nécessaire, la garde à vue doit se dérouler dans des conditions satisfaisantes.

J’ai bien noté le souhait du groupe UMP s’agissant du projet de réforme de la procédure pénale. Ce texte est important, puisqu’il comporte un millier d’articles. La partie qui est d’ores et déjà disponible en compte sept cents et couvre des sujets qui vont de la commission des faits au renvoi devant la juridiction de jugement. Nous serons sans doute amenés à le scinder. Je verrai avec les présidents des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat comment procéder pour conserver à l’ensemble sa cohérence tout en répondant aux souhaits qui ont été émis quant aux améliorations rapides à apporter.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, qui dit avoir lu l’avant-projet de réforme de la procédure pénale, affirme que les professionnels ne seraient pas très rassurés. Je n’ai pas l’impression que c’est ce qui se dessine aujourd’hui. J’ai effectivement reçu de nombreux témoignages d’inquiétude, mais avant que le texte ne soit disponible et avant même que la première phrase n’en soit écrite, ce qui laissait d’ailleurs planer quelque suspicion sur les a priori idéologiques de certains !

Mais, depuis que le texte est disponible sur Internet, les professionnels se font de plus en plus nombreux à en approuver les grandes lignes. J’en ai encore été témoin hier, quand le premier président de la cour d’appel de Paris, magistrat du siège, s’est prononcé, lui qui travaille sur le texte.

Dans la presse également, de plus en plus de professionnels, avocats ou universitaires, se félicitent du sens de la réforme même si, ce qui est normal car c’est le jeu de la concertation, ils souhaitent – tout comme moi - un certain nombre d’amendements.

L’interprétation que vous avez faite du principe de l’audition libre ne me paraît pas exacte. J’y reviens donc.

L’audition libre est réservée aux infractions peu graves et pour les cas où il n’y a aucun risque de disparition, ni de l’auteur, ni des preuves sur l’initiative de ce dernier. Surtout, cette audition libre est facultative, c’est-à-dire que la personne peut toujours demander à bénéficier des règles qui sont celles de la garde à vue.

S’agissant des mineurs, je vous rappelle qu’ils font l’objet de dispositions particulières.

Le cas du terrorisme est également spécifique, comme la Cour européenne des droits de l’homme elle-même le reconnaît, et peut donner lieu à des dispositions particulières.

Quant à la question prioritaire de constitutionnalité, je vous rappelle que, dans sa décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a lui-même déclaré l’article 63-4 du code de procédure pénale conforme à la Constitution et, ce faisant, a validé la garde à vue. À cette occasion, il a également déclaré conforme à la Constitution le report de l’intervention de l’avocat en matière de criminalité organisée.

La jurisprudence constitutionnelle est donc très claire.

S’agissant de l’attitude du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme, je pensais avoir répondu à M. Jean-Pierre Michel ; mais sans doute ne l’avais-je pas convaincu...

Je vous rappelle donc que la Turquie a été condamnée en raison de l’interdiction de la présence de l’avocat pendant toute la garde à vue. Quand on veut citer un exemple à l’appui de la thèse que l’on soutient, encore faut-il le faire avec exactitude !

Dans l’avant-projet du Gouvernement, le pouvoir d’enquête est transféré au parquet, qui traitera donc 100 % des affaires – contre 97 % actuellement, ce qui ne pose en général aucun problème –, cela sous le contrôle du nouveau juge du siège, le juge de l’enquête et des libertés, qui jouira du même statut, et donc des mêmes garanties, que le juge d’instruction aujourd’hui.

Le nouveau système offrira davantage de garanties.

La présentation que vous avez faite de l’avant-projet de loi est en grande partie erronée, car, contrairement à ce que vous avez affirmé, il est explicitement prévu que l’aveu fait hors la présence d’un avocat ne pourra pas fonder à lui seul une condamnation.

De plus, la défense pourra, comme avec le juge d’instruction aujourd’hui, demander au juge de l’enquête et des libertés tout acte utile à la manifestation de la vérité.

Pour le déroulement des enquêtes, ce sont bien des garanties supplémentaires par rapport à la situation actuelle. Et, grâce à la réforme, la vérité judiciaire ne sera certainement pas établie au stade de la garde à vue. La large introduction du contradictoire apportera des garanties qui n’ont jamais existé jusqu’à présent.

Il ne faut pas faire de présentations erronées ; cela laisse entendre que vos propositions seraient inspirées par autre chose que la volonté de voir la justice rendue dans les meilleures conditions !

M. Pierre Fauchon a eu grandement raison de rappeler qu’il faut être prudent quand on ne connaît pas soi-même, par une pratique de terrain avérée, les réalités, les difficultés et les besoins.

Je ne reviens pas sur le fait que l’aveu fait hors la présence de l’avocat ne pourra pas fonder à lui seul une condamnation. Cela figure dans l’avant-projet de loi.

Vous avez évoqué l’idée d’une « mini » garde à vue par rapport à l’audition libre. Nous avons réfléchi à un certain nombre de points et nous aurons l’occasion d’y revenir, mais je ne voudrais pas que nous retombions dans les lourdeurs de la procédure de la garde à vue.

Notre idée est d’aller vite, de trouver une procédure qui soit la plus légère et la moins traumatisante possible pour les petits problèmes. C’est pourquoi nous avons renoncé au système envisagé initialement au profit d’une version plus light, si vous me permettez l’expression, réservant la garde à vue et les garanties qui s’y attachent aux situations plus graves.

Je vous remercie d’avoir réaffirmé que des régimes dérogatoires sont nécessaires pour la grande criminalité et le terrorisme. Je note votre idée de désignation de l’avocat par le bâtonnier. C’est ce qui se fait en Espagne pour tout ce qui est lié au terrorisme. J’ignore les réactions des uns et des autres sur ce point ; je serai à l’écoute du débat que nous ne manquerons pas d’avoir.

M. Laurent Béteille, fort de son expérience, a lui aussi montré combien il était important, pour préparer un texte, d’avoir une connaissance concrète et pratique de toutes les phases de la procédure. C’est la raison pour laquelle je souhaite la concertation la plus large, afin que les praticiens nous fassent également part de leurs analyses.

Je vous remercie, monsieur le sénateur, d’avoir appelé au respect de la déontologie par les avocats. Elle est respectée dans la grande majorité des cas, mais, malheureusement, il subsiste toujours des exceptions...

Vous avez eu raison d’insister sur toutes les conséquences concrètes qu’aurait la proposition de loi, notamment le risque d’allongement de la durée des gardes à vue en raison de la nécessité de reporter les auditions jusqu’à l’arrivée des conseils. Une telle mesure peut avoir des conséquences en termes de coûts budgétaires et de libertés publiques, d’où l’importance d’avoir une vraie discussion sur le sujet.

Je félicite Mme Alima Boumediene-Thiery de s’être plongée dans les sept cent vingt-cinq articles de l’avant-projet et d’en avoir tiré un certain nombre de conclusions.

Sachez, madame le sénateur, que, si j’ai choisi d’élaborer un projet de loi, c’est bien pour qu’il soit amendé et qu’aucun point ne soit laissé dans le flou. Je n’ai nullement l’intention d’ignorer certaines questions.

Les régimes dérogatoires seraient contraires à la position de la Cour européenne des droits de l’homme, dites-vous. C’est inexact, puisque celle-ci a déjà reconnu que de tels régimes pouvaient être nécessaires en matière de terrorisme et de grande criminalité.

Je trouve votre vote en faveur de la proposition de loi de M. Mézard peu cohérent avec votre constat que nombre de questions sont laissées en suspens. Cela étant, je ne vous taxerai pas d’hypocrisie.

En revanche, monsieur Sueur, il est quelque peu hypocrite d’affirmer que nous voudrions ajourner toute décision en la matière, alors que, je l’ai dit très clairement, le projet de loi sera déposé avant l’été, et de prétendre que nous refuserions de faire bouger les choses quand l’avant-projet comporte des modifications sensibles, comme cela a été reconnu, y compris sur vos travées. Il y a également une certaine hypocrisie à soutenir que ce texte serait bouclé, alors que jamais autant de temps n’avait été donné à la concertation et que tout article est susceptible d’être amendé.

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