Intervention de Renaud Dutreil

Réunion du 13 juin 2005 à 15h00
Petites et moyennes entreprises — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Renaud Dutreil, ministre :

Nous allons également accompagner les très petites entreprises dans cet acte délicat qu'est l'embauche, en créant un nouveau réseau privé, que nous avons appelé « Tous pour l'emploi ». Celui-ci mobilisera près de 180 000 prescripteurs d'embauche, que sont les centres de gestion agréés, les experts comptables, c'est-à-dire tous ceux qui accompagnent et conseillent les petites entreprises. Mieux vaut, en effet, avoir des conseillers qui vous incitent à embaucher plutôt que des conseillers qui vous en dissuadent ! Nous allons donc engager la conversion de ce réseau avec le soutien de leurs organisations et de leurs dirigeants.

Je souhaite maintenant vous exposer brièvement l'esprit du projet de loi.

Le premier objectif correspond à une volonté permanente du Gouvernement, qui porte d'ailleurs ses fruits : appuyer la création et le développement des entreprises.

Le deuxième objectif consiste à favoriser l'emploi en améliorant des statuts jusqu'à présent laissés dans l'oubli, à savoir celui des collaborateurs des professions libérales ou des conjoints, ces femmes qui, bien souvent, travaillent aux côtés des entrepreneurs et qui étaient les grandes oubliées de notre droit.

Le troisième objectif vise à faciliter la transmission des entreprises.

Enfin, le quatrième objectif tend à revoir le cadre juridique des relations commerciales dans un souci d'équilibre et de justice. Nous serons bien entendu sensibles aux attentes des consommateurs en matière de pouvoir d'achat, mais également à celles des entreprises du commerce et de l'industrie en faveur de leur propre développement.

Je détaillerai maintenant quelque peu ces quatre objectifs.

S'agissant tout d'abord de l'appui apporté à la création, le projet de loi prévoit d'encourager l'accompagnement, car rien n'est pire que la solitude quand on crée une entreprise. L'accompagnement permet en effet de réduire de moitié les défaillances d'entreprises dans les premières années d'activité. Or un trop grand nombre de chefs d'entreprise se lancent dans l'aventure sans bénéficier du soutien de conseils efficaces.

Afin de mieux répondre à cette attente, l'article 1er prévoit que les actions d'accompagnement deviennent éligibles au financement de la formation professionnelle. L'article 2 vise à ce que les fonds d'assurance formation engagent des actions au bénéfice des créateurs-repreneurs, qu'ils soient artisans, commerçants ou professionnels libéraux.

Toujours dans l'objectif d'encourager la création, nous devons faciliter le financement des projets, en particulier pour les entrepreneurs individuels en phase de démarrage qui ne peuvent pas offrir de garanties réelles aux établissements de crédit. Afin de mieux répondre à ce besoin, l'article 5 prévoit que les dons familiaux - qu'on appelle aussi love money - destinés à financer une opération de création ou de reprise seront désormais possibles en franchise de droits de mutation.

Nous entendons également favoriser, avec l'article 6, le développement du micro-crédit. C'est une mesure sociale importante qui doit permettre aux Français ne disposant pas de beaucoup de ressources d'obtenir des crédits.

Nous voulons également faciliter l'autofinancement des entreprises individuelles dans les trois premières années de leur création ou de leur reprise. Nous le ferons en permettant à ces entreprises de déduire de leur résultat fiscal une somme de 15 000 euros, consacrée à une dotation-provision pour l'investissement. La constitution d'une telle provision aura également pour effet de lisser le résultat comptable et de permettre ainsi aux entreprises individuelles de mieux gérer leur trésorerie.

Enfin, le projet de loi rénove le prêt participatif. Il étend aux entreprises individuelles la possibilité pour un créancier de percevoir une partie de la rémunération de ses prêts sous forme d'un partage des bénéfices. C'est donc, là aussi, une incitation forte à trouver de l'argent pour entreprendre.

Mais une fois que l'entreprise existe, encore faut-il que ceux qui en assurent le fonctionnement puissent bénéficier d'un certain nombre de sécurités et ne vivent pas en redoutant l'avenir ! Favoriser de bonnes conditions d'emploi constitue donc le deuxième objectif du projet de loi.

L'amélioration du statut des collaborateurs est une première mesure à cette fin. Le texte prévoit en effet une très sensible amélioration du statut des conjoints collaborateurs. Cette mesure essentielle est attendue depuis des dizaines d'années. Les conjoints de commerçants et d'artisans apportent une contribution importante à la marche de l'entreprise. Néanmoins, leurs droits à la retraite sont jusqu'ici très réduits, lorsqu'ils ne sont pas salariés ou associés, en cas de séparation ou de décès. Dans de nombreux cas, ces conjoints n'ont pas la possibilité de se former ou de faire valider leurs acquis issus de l'expérience. Les dispositions de ce projet de loi sont donc destinées à combler ces lacunes.

La prise en compte de leur activité et la reconnaissance de leurs droits supposeront désormais l'adhésion obligatoire des conjoints à l'un des trois statuts existants : conjoint collaborateur, conjoint salarié ou conjoint associé. C'est l'objet de l'article 10. Jusqu'ici facultative, cette adhésion n'était souvent pas saisie dans toute son importance au moment de la création de l'entreprise. Dès lors, de nombreux conjoints, après un accident de la vie, se retrouvaient sans retraite, sans qualification reconnue.

En outre, et afin de mieux protéger le patrimoine familial, la responsabilité des conjoints devra se limiter aux biens communs du couple, les biens propres du conjoint devant être protégés. Ainsi, en cas de dépassement non intentionnel du mandat de gestion, le conjoint ne pourra être appelé en garantie sur ses biens propres. C'est l'objet de l'article 11.

Enfin, l'adhésion au statut de conjoint collaborateur permettra de se constituer des droits propres en matière d'assurance vieillesse. C'est l'objet de l'article 12. Le statut ouvrira également un droit à la formation ainsi que la faculté de valider les acquis de l'expérience. C'est l'objet de l'article 14.

Une autre mesure très attendue par les professions libérales - et vous savez combien elles sont importantes dans notre pays - est le contrat de collaborateur libéral. C'est l'objet de l'article 15. Celui-ci offrira enfin un cadre juridique aux collaborateurs de professionnels libéraux qui ne disposaient pas jusqu'à présent d'un statut adapté à leur engagement professionnel.

Le projet de loi a pour troisième objectif d'encourager les transmissions, de réduire les défaillances d'entreprises et de préparer les mutations démographiques à venir. Plusieurs mesures sont envisagées à cet égard.

Tout d'abord, nous désirons créer un abattement fiscal applicable à la base pour les donations d'entreprise avec réserve d'usufruit. J'insiste sur les termes « réserve d'usufruit », car l'ancien régime ne concernait que les transferts de pleine propriété. Il s'agit là d'une avancée majeure de notre fiscalité.

Ensuite, nous prévoyons de relever l'abattement fiscal de 50 % à 75 % sur les transmissions d'entreprise. C'est, là aussi, une innovation très forte qui permettra à de nombreuses entreprises d'être transmises à des entrepreneurs dans de bien meilleures conditions qu'aujourd'hui.

En outre, nous voulons instituer une prime à la transmission d'entreprise accompagnée. Nous avons en effet la volonté d'accompagner celui qui quitte son entreprise pour la mettre entre les mains de l'un de ses salariés ou d'un repreneur.

Nous voulons également créer un tutorat en entreprise, toujours dans l'idée d'assurer une bonne transition en cas de ruptures dans la conduite de l'entreprise.

Enfin, nous avons prévu la création de la location d'actions, qui permet, d'une part, de limiter le recours aux garanties d'actifs ou de passifs et, d'autre part, aux locataires d'exercer les droits des usufruitiers.

Le quatrième objectif concerne les relations entre l'industrie et le commerce.

Sur ce sujet capital, nous devons mesurer tous ensemble notre responsabilité. L'histoire de ce dossier est bien connue. Elle montre, en particulier sur la question des « marges arrière », qu'il faut faire preuve d'équilibre et de doigté.

Nous devons garder une conscience aiguë du fait que nous touchons là à des données macroéconomiques majeures, aux données fondamentales de l'économie française, c'est-à-dire à l'évolution de la production, mais aussi du pouvoir d'achat et de la consommation, aux centaines de milliers d'emplois dans la grande distribution comme dans la production, en particulier dans les PME et le commerce de détail, qui fait la vie de nos quartiers, de nos villages, de nos villes.

Nous devons donc veiller à agir graduellement. Il ne s'agit ni de provoquer une baisse brutale des prix industriels ou des prix à la consommation ni de maintenir le statu quo qui a provoqué pendant plusieurs années des hausses de prix anormales et bien identifiées. Ces pratiques, de l'avis général, aboutissent à des comportements commerciaux irrationnels dans un contexte de complexité croissante, de bureaucratie et d'insécurité juridique inacceptable pour les entreprises.

Les mesures définies par le projet de loi atteignent un point d'équilibre. Par conséquent, le Gouvernement tient fortement à ce que l'article 31, coeur de ce dispositif, soit voté en l'état.

Le projet de loi modifie le calcul du seuil de revente à perte, celle-ci demeurant une infraction pénale. Par cette mesure, il s'agit de limiter les marges arrière à 20 % du prix net des produits. Le Gouvernement a prévu un dispositif transitoire de six mois permettant de parvenir de façon graduée à cette limite. Nous attendons de cette mesure le retour à une négociation commerciale normale dans laquelle les parties fixent avant tout le prix des produits et non pas des rémunérations annexes versées en sens inverse par le producteur au distributeur.

Empêchant définitivement l'inflation de ces marges, nous introduisons un facteur de modération des prix qui n'est pas un facteur de déstabilisation, puisque nous écartons la réintégration brutale de toutes les « marges arrière » dans le seuil de revente à perte.

Soyons sérieux sur ce point ! Ceux qui veulent le statu quo désirent le maintien de versements considérables des producteurs aux distributeurs hors de toute logique commerciale. Ceux qui, à l'inverse, veulent jouer aux apprentis sorciers en modifiant le texte sous la seule pression de tel ou tel groupe d'intérêts particuliers risquent de s'écarter dangereusement de l'intérêt général de notre économie, dont nous sommes ici comptables devant le peuple français.

Il faut remettre les pratiques dans le bon sens avec pragmatisme et la volonté de ne pas compromettre les différents intérêts en jeu. Mais nous devons aussi nous intéresser à d'autres pratiques.

Vous le savez, les « accords de gamme » conduisent parfois à l'éviction du marché de certaines PME. Un encadrement plus strict de cette pratique sera donc mis en place. C'est l'objet des articles 26 et 32. Les abus, comme le refus de vente et la venté liée, seront interdits et sanctionnés.

Nous maintenons bien entendu la primauté des conditions générales de vente établies par le fournisseur afin de permettre que la négociation s'engage sur des bases claires connues de tous.

Le projet de loi donne ensuite - et c'est l'un de ses éléments les plus importants - une définition légale de la coopération commerciale, souvent désignée sous le nom de marges arrière. C'est l'objet de l'article 28. Ce dernier renforce les exigences formelles attachées au contrat de coopération commerciale. De plus, il prévoit l'obligation de formaliser dans un contrat les services autres que ceux de coopération commerciale rendus par le distributeur.

De même, en vue de faciliter l'administration de la preuve et l'exercice des sanctions par le juge, l'administration se voit reconnaître le droit, bien que n'étant pas partie au contrat, de se fonder sur les dispositions de l'article 1315 du code civil afin de demander au distributeur, sous le contrôle du juge commercial, de justifier de la réalité des services rendus à son fournisseur.

Enfin, nous souhaitons encadrer plus strictement les enchères électroniques à distance. Ce phénomène nouveau prend de l'ampleur et il faut, là aussi, le moraliser.

Interdire les enchères électroniques à distance n'aurait aucun sens. En effet, ces enchères sont souhaitées par de nombreux producteurs, et non pas seulement par les acheteurs. Elles sont en effet source de progrès et de productivité. D'ailleurs, on peut constater que, dans de très grands secteurs industriels, elles vont de pair avec l'échange des données informatisées, l'EDI, lié aux nécessités de la production à flux tendu. Par ailleurs, l'interdiction de tels moyens modernes aboutirait quasi inévitablement à leur délocalisation à l'étranger, ce que personne en France ne souhaite.

Le projet de loi comporte enfin un projet de réforme et de réorganisation très significatif des chambres de commerce et d'industrie, qui sont l'un des plus formidables réseaux dont nous disposons en France pour faire vivre notre économie territoriale. Je suis très heureux que cette réforme, dont on parlait également depuis des années et qui semblait hors de portée, ait pu déboucher grâce à la bonne volonté de tous les partenaires. Ces travaux, que nous avions engagés voilà deux ans et demi, au début du quinquennat, arrivent maintenant à leur terme. Les dispositions auxquelles nous avons abouti réunissent un très large consensus au sein des chambres de commerce et d'industrie.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la philosophie et les mesures très concrètes de ce projet de loi, qui s'inscrit dans la continuité mais qui fait également preuve d'innovation et d'audace. Ce texte contribuera à la volonté exprimée par Dominique de Villepin, ici même, de faire de notre pays non pas celui qui se signale par sa préférence pour le chômage, comme on le décrit parfois, mais celui qui, en s'appuyant sur son tissu de petites et moyennes entreprises, arrive à relancer la croissance de l'économie et de l'emploi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion