A la fin de la semaine dernière, nous avons appris par différentes voies, monsieur le ministre, que vous alliez faire évoluer votre projet sur le titre VI et que de nouvelles solutions seraient envisagées en ce qui concerne la loi Galland. De plus, nous entamons aujourd'hui la discussion générale d'un projet de loi dont nous n'avons pas encore étudié les amendements en commission.
Est-ce ainsi que le Gouvernement souhaite s'affranchir de la collaboration essentielle des parlementaires qui, confrontés chaque jour sur le terrain aux difficultés croissantes de nos concitoyens, aux problèmes de maintien des petits commerces à la fois dans le monde rural et dans les quartiers, connaissent particulièrement bien le nécessaire équilibre qui doit exister entre les différentes formes de commerce ?
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je ne crois pas un instant que l'exercice du prétendu contrôle des prix aboutisse à faciliter la vie et, surtout, les achats quotidiens des plus modestes d'entre nous, et favorise un redémarrage de la croissance. Les grandes surfaces, quelles que soient la loi et les politiques tarifaires, n'arriveront jamais à concurrencer les hard discounters.
Le Gouvernement tente de répondre à un problème structurel par une baisse des prix, comme d'autres mettent un cautère sur une jambe de bois. Vous ne tromperez personne, et le message du 29 mai ne semble pas être parvenu jusqu'à vos oreilles.
En déclarant l'urgence sur ce projet de loi, le Gouvernement interdit que puisse être menée une réflexion de fond sur une réforme aussi importante, qui pourrait menacer des milliers d'emplois : je fais ici allusion à l'exemple des Pays-Bas, où 15 000 emplois ont été supprimés ! Une certaine prudence s'impose donc, et une étude d'impact aurait été nécessaire.
Alors que vous nous présentez un projet de loi « en faveur des petites et moyennes entreprises », je constate, ce qui m'inquiète, que des réponses sont apportées aux problèmes des grandes surfaces concentrées en une poignée de groupes internationaux, tandis que nos PME ont des attentes réelles dans la régulation de leurs activités commerciales.
Je souhaite profiter de cette discussion générale pour aborder avec vous l'ensemble des questions liées aux relations entre les Français et leurs commerçants, et je tiens à ce que ces questions soient envisagées sous tous leurs aspects, sans omettre l'avenir des différentes structures commerciales.
Lorsque l'on parle de la loi Galland, et plus particulièrement aujourd'hui du VI relatif à la modernisation des relations commerciales, il est bien souvent trop facile de regarder les choses par le petit bout de la lorgnette tant le sujet est vaste et compliqué. M. le rapporteur lui-même ne nous a-t-il pas dit tout à l'heure que le dispositif proposé, notamment l'article 31, était « inutilement complexe » ?
Mais cela ne doit en rien cacher la réalité : il s'agit bien ici de l'avenir du commerce en France en ce qui concerne aussi bien les formes de commerce que les pratiques tarifaires ou commerciales. Au-delà de ces données macroéconomiques et microéconomiques, c'est chaque Français qui est concerné, et ce quelle que soit la règle ou la politique des prix pratiquée.
Si cette question des prix semble obséder actuellement tout le microcosme politique, il ne faut pas s'y tromper : ce n'est pas la politique des prix, même avec de fortes baisses, qui augmentera le contenu du porte-monnaie.
De son côté, le Gouvernement attend une baisse des prix à la consommation, ce qui, selon lui, contribuerait à augmenter le pouvoir d'achat des ménages. Or, dans le budget des ménages, les dépenses fixes - électricité, gaz, loyer - n'ont cessé de grimper, et cela découle directement de la politique menée par le Gouvernement depuis trois ans.
En outre, face à une réalité de plus en plus difficile, les Français dont les revenus sont les plus modestes n'ont pas attendu de connaître ou de comprendre le phénomène des marges arrière pour aller faire leurs courses là où les produits sont les moins chers, c'est-à-dire chez les hard discounters. Ces commerçants ne s'y sont pas trompés dans leurs choix géographiques d'installation !
La politique actuelle du Gouvernement ne me semble pas aller dans le sens d'une inversion de la problématique. Gageons que ce n'est pas avec une période d'essai portée à deux ans, sans aucune garantie d'embauche, que les plus modestes d'entre nous auront des comportements différents ! Et ce sera d'autant plus vrai si le pouvoir d'achat continue de stagner pour les classes moyennes, voire de diminuer pour certaines catégories.
Vous l'aurez compris, je crois plus à une solution tendant à accroître les rémunérations liées au travail qu'a une hypothétique baisse des prix. Mais le Gouvernement ne veut pas aller à l'encontre de la politique du MEDEF ; il préfère, au contraire, s'aligner sur celle-ci.
En outre, ce texte n'offre pas, une fois de plus, une grande lisibilité, mais il est vrai que vous nous avez habitués à de véritables patchworks législatifs.
Permettez-moi de citer l'exposé des motifs du projet de loi : « Le Gouvernement a fait de la lutte contre la vie chère une de ses priorités. Les prix des biens de consommations courante sont l'un des paramètres essentiels qui déterminent le niveau du pouvoir d'achat, et qui influent sur la confiance des ménages. »
Par ailleurs, la loi Galland nous est toujours présentée comme une « loi qui empêche la baisse des prix » et nous devons constater qu'effectivement, aujourd'hui, le phénomène des marges arrière atteindrait en moyenne 35 %. Cette remise en cause de la loi Galland s'est toutefois réalisée dans un contexte très particulier, marqué par une sous-estimation du taux de l'inflation par les ménages.
Notons que, d'un point de vue strictement économique, l'inflation n'est pas néfaste en soi. Au contraire, de nombreux économistes pensent qu'elle est profitable à la croissance économique tant que son taux n'atteint pas des sommets. Elle a pour premier effet de dévaloriser les dettes, donc de favoriser l'endettement, donc l'investissement, donc les dépenses, donc la distribution de revenus, donc l'épargne. Il s'agit là du « cercle vertueux » !
Le rapport de notre collègue député Jean Gaubert sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution ainsi que sur les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages - notre collègue Claude Biwer y a fait allusion tout à l'heure - fait observer que, « faute de mettre en oeuvre une vraie politique des revenus, afin de garantir le pouvoir d'achat des ménages, le Gouvernement actuel a affiché des mesures destinées à faire baisser les prix. » Je parle ici de l'accord Sarkozy du 17 juin 2004, vous l'avez bien compris, mes chers collègues. Et le rapport Gaubert de poursuivre : « Il est donc crucial d'en mesurer la portée, alors que le décalage entre les chiffres officiels de l'inflation et la perception qu'en ont nos concitoyens ne fait que s'aggraver. »
Je crois comme lui que, si la baisse des prix pour les consommateurs est un objectif louable sur lequel tout le monde peut s'accorder, il ne faut pas oublier que ces derniers sont aussi des salariés et des contribuables. L'essentiel réside dans la politique des revenus, la politique de baisse des prix conduisant inévitablement à des comportements dangereux pour les salariés et pour les sous-traitants et fournisseurs, en particulier pour les PME et les TPE.
Nous aurons l'occasion de l'évoquer de nouveau dans la suite de la discussion, mais gardons toujours en mémoire l'exemple des Pays-Bas, où la guerre des prix dans le secteur de la grande distribution s'est traduite par une disparition de 10 000 à 15 000 emplois.
Nous ne pouvons que faire observer que c'est Nicolas Sarkozy qui a mis le feu au poudre en s'attaquant à la relance de la consommation par le biais d'une prétendue baisse des prix. Il se félicitait, lors du débat au Sénat, en juillet dernier, sur le projet de loi pour le soutien à la consommation et à l'investissement, que la consommation des ménages ait permis à la France d'échapper à la récession, alors que les investissements et les exportations diminuaient...
Doit-on encore souligner que l'endettement des ménages approche les 40 % du PIB et que certains d'entre eux sont surendettés ? Sur le plan macroéconomique, l'endettement des ménages répond logiquement à l'insuffisance d'investissement des entreprises. Cette situation est, à terme, explosive !
Notons encore que c'est à juste titre que le rapporteur s'interroge sur le lien qui est fait entre la réforme de la loi Galland et celle de la loi Raffarin, ce qui ressemble à un échange de bons procédés dans lequel la baisse des prix serait récompensée par la possibilité d'augmenter les surfaces de vente. Les garanties actuellement envisagées pour les PME, les producteurs agricoles et le petit commerce ne nous paraissent pas suffisamment réalistes.
A cette idée qui domine selon laquelle la baisse ou la faiblesse du pouvoir d'achat des ménages serait liée à une hausse des prix nécessitant une déréglementation, s'ajouterait ainsi l'idée que la solution à une trop forte concentration du secteur de la distribution consisterait à assouplir les conditions d'installation des grandes surfaces. Cela ne manquerait pas, à terme, de contribuer à la disparition des petits commerces de proximité et de renforcer le poids des cinq grandes centrales d'achat.
L'article 31 est, en fait, une réforme de la loi Galland et légalise des pratiques pour le moins douteuses. Et c'est un euphémisme !
L'Institut de liaison et études des industries de consommation, l'ILEC, dont les chiffres sont largement admis, montre que les marges arrière ont progressé, depuis 1998, de 22 % à 32 % en moyenne, alors que la dispersion est très forte : de 5 % à 60 % selon les secteurs.
Le conseil de la concurrence a lui-même rappelé en octobre 2004 que, les marges arrière étant négociées de façon bilatérale, elles ne sont pas publiques, et que le seuil de revente à perte conduit à distinguer deux volets dans ces négociations : le premier volet, ce sont les conditions générales de vente, les fameuses CGV, qui sont communiquées à toute personne qui les demande ; le second volet, ce sont les réductions hors facture et les accords de coopération commerciale, qui se caractérisent par leur opacité.
Ces pratiques reposent par ailleurs sur des manières pour le moins contestables, dans un rapport de forces qui est complètement déséquilibré par la puissance des cinq grandes centrales d'achat et des hard discounters. Un collègue d'un département du Nord ne me disait-il pas récemment que 80 % des produits laitiers relèvent dorénavant du hard discount ?
Le rapport Canivet sur la grande distribution a dénoncé des pratiques qui maquillent la réalité économique et a constaté que la loi en vigueur était peu respectée.
Enfin, les MDD, les marques de distributeur, qui semblaient séduisantes a priori et dont la part de marché ne cesse d'augmenter, ont pour effet de transférer au distributeur le contrôle du produit et de la marque, alors que, traditionnellement, ce dernier est du ressort du producteur et des PME, ce qui a pour effet de créer un nouveau statut d'indépendants interdépendants. Dans le même temps, le profit du distributeur, lui, lors de l'introduction d'une marque de distributeur, continue à augmenter au détriment du producteur.
Avant de prendre une décision, le législateur doit disposer d'informations exactes - je suggère qu'elles lui soient fournies par une commission inter-assemblées -, ce qui permettrait d'éviter que, une fois encore, sa volonté ne soit détournée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous demanderons, par la voie d'un amendement, la suppression de l'article 31.