Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos portera sur les seuls articles 49 et 52 du projet de loi. Depuis maintenant deux ans, le secteur du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel connaît une crise sans précédent.
Nous avons tous en mémoire le facteur déclencheur de cette crise : la signature du protocole d'accord du 26 juin 2003, par des organisations minoritaires du secteur, remettant gravement en cause le régime d'indemnisation chômage des intermittents du spectacle.
Quelques semaines plus tard, le 6 août 2003, le gouvernement, faisant fi de toutes les règles d'usage en matière de négociation paritaire, avait apposé son agrément sur ce protocole, donnant ainsi satisfaction au MEDEF, qui n'a eu de cesse, depuis des années, de faire abolir les annexes 8 et 10 de la convention UNEDIC. C'est pour contrer cette pression que nous avions, avec Lionel Jospin, fait adopter une loi, le 5 mars 2002, confirmant le maintien des annexes 8 et 10 jusqu'à ce que les partenaires sociaux parviennent à un véritable accord.
Depuis lors, les intermittents, dont la situation sociale s'est dégradée avec l'application du nouveau dispositif, ont multiplié les initiatives afin de rétablir leurs droits acquis.
On connaît les quelques avancées obtenues grâce à la persévérance du comité de suivi, qui a réuni, chaque semaine, des professionnels du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel ainsi que des parlementaires.
On connaît surtout l'obstination du gouvernement dans son refus d'inscrire à l'ordre du jour des assemblées la proposition de loi visant à renvoyer les partenaires sociaux à la négociation, en vue de pérenniser un régime d'indemnisation chômage pour les intermittents sur des bases saines. Je rappelle que ce texte, émanant du comité de suivi, a été déposé dans les deux assemblées, par des parlementaires de tous bords.
Après avoir donné aux professionnels beaucoup d'espoir en renouant le dialogue rompu par son prédécesseur, le ministre de la culture a choisi de bloquer l'affaire en répondant « hors sujet » à ce dépôt de proposition de loi et a soumis aux intéressés un projet de charte s'articulant autour de trois axes : le soutien à la création, un meilleur encadrement des contrats d'usage et un contrôle de leur utilisation.
Il est indéniable que l'on ne pourra faire longtemps l'économie d'une réflexion renouvelée sur le soutien au spectacle vivant et la recherche de nouveaux partenaires financiers pour ce secteur, aux côtés de l'Etat. Il est, en revanche, inacceptable que le Gouvernement se dérobe dans ce débat et laisse en jachère des problèmes sociaux aussi graves. Chaque jour, en effet, de nouveaux artistes ou techniciens sont boutés hors du système et se retrouvent dans une situation de total dénuement.
Il est encore moins acceptable - et j'en viens au dispositif même des articles 48, 49 et 52 du projet de loi - qu'au détour d'un texte qui concerne les petites et moyennes entreprises le Gouvernement introduise des cavaliers législatifs, en catimini - les professionnels du spectacle, de la culture et de l'audiovisuel n'ont été ni consultés, ni même avertis de l'introduction de ces articles - afin d'appliquer la seule partie répressive de son projet de charte, au demeurant refusé par les collectivités territoriales.
L'article 49 de ce projet de loi autorise ainsi les agents de l'inspection du travail, du Centre national de la cinématographie, des directions régionales des affaires culturelles et de l'Agence nationale pour l'emploi à croiser leurs fichiers afin de vérifier si les contrats d'usage délivrés aux intermittents dans les « secteurs des spectacles, de l'action culturelle, de l'audiovisuel, de la production cinématographique et de l'édition phonographique » présentent les caractéristiques de tels contrats et ne sont pas des CDD abusifs.
L'article 52 du même projet de loi assortit de sanctions, pour les entreprises du cinéma et de l'audiovisuel fraudeuses, l'emploi abusif de contrats d'« usage », ces sanctions s'échelonnant du simple avertissement à des restrictions d'accès au compte de soutien à l'industrie cinématographique et audiovisuelle, pouvant durer cinq ans.
Je suis de ceux qui ont toujours condamné l'emploi abusif d'intermittents et préconisé davantage de contrôles, notamment par le biais des croisements de fichiers.
Mais je ne peux cautionner le dispositif que vous nous proposez d'adopter, au détour d'une loi qui, théoriquement, ne concerne que les PME. Dès lors, monsieur le ministre, nous direz-vous si les principales entreprises du secteur, France-Télévisions, TF 1 ou M 6, entrent dans le champ d'application de cette loi ?
Je ne peux non plus cautionner ce dispositif pour des raisons de fond et de déontologie.
D'abord, parce que le Gouvernement met vraiment la charrue avant les boeufs : il propose un dispositif coercitif avant d'émettre des propositions en termes sociaux et en termes de soutien à la création. Mettre un gendarme derrière les professionnels du spectacle et de la production ne suffira pas à redynamiser ce secteur ni à mettre un terme au conflit social qui le mine. Nous aurions dû être alertés par les reculades du ministre de la culture : dans un premier temps, par l'élaboration de sa charte, il a noyé la question prioritaire du régime d'indemnisation chômage dans celle du soutien à la création et, dans un second temps - celui du présent projet de loi -, il l'a réduite à la mise en oeuvre d'un arsenal répressif pour lutter contre la fraude et l'emploi abusif.
Je ne peux non plus cautionner ce dispositif parce qu'il crée un précédent dangereux en matière de droit du travail, en autorisant des agents à effectuer leur propre police dans leur secteur d'activité et à devenir ainsi juge et partie. C'est le rôle dévolu au Centre national de la cinématographie par le texte que vous nous présentez.
Je note aussi que vous instituez une disparité de traitement entre les différents secteurs d'activités culturelles qui ont recours à des intermittents ; si le texte prévoit que l'ensemble de ces secteurs seront soumis aux contrôles, en vertu de l'article 49, les sanctions assortissant ces contrôles ne sont, en revanche, prévues que pour les seuls secteurs de l'industrie cinématographique et audiovisuelle, conformément à l'article 52.
On pourrait, enfin, discuter du fait que le soutien à l'industrie de programmes soit désormais conditionné au respect de certaines règles de droit social, à l'heure où, dans ce secteur, les intermittents attendent toujours une réponse du Gouvernement en termes sociaux.
Monsieur le ministre, pour toutes les raisons que je viens d'exposer, les sénateurs socialistes, pourtant très soucieux de lutter contre l'emploi précaire, ne sauraient cautionner cette partie du texte, un dispositif tellement partiel - je devrais dire partial - au regard de la situation actuelle des intermittents du spectacle, qui n'attendent, en fait, qu'un seul geste de la part du Gouvernement : l'inscription, à l'ordre du jour prioritaire, de la proposition de loi relative à la pérennisation du régime d'assurance chômage des professions du spectacle, de l'audiovisuel et du cinéma, dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle.
Puisque le ministre de la culture va rencontrer les partenaires sociaux de ce secteur le 16 juin prochain, nous vous posons deux questions, monsieur le ministre : le Gouvernement va-t-il enfin traiter ce problème autrement que sous le seul angle de la répression des fraudes ? Va-t-il enfin considérer les intermittents du spectacle comme des travailleurs respectables et indispensables à la vie culturelle de notre pays ?