Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 7 juillet 2011 à 15h00
Orientation des finances publiques pour 2012 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, ce débat d’orientation des finances publiques est certes un exercice obligé, puisqu’il est prévu par la loi organique relative aux lois de finances, mais il intervient au terme d’une législature qui aura été marquée par l’aggravation des déficits publics, et moins d’un an avant le grand rendez-vous de l’élection présidentielle et des élections législatives, qui pourraient conduire à modifier les termes de la gestion des affaires publiques.

De fait, notre participation à ce débat est sous-tendue par une aspiration légitime à voir émerger et appliquer, à compter du printemps de 2012, d’autres orientations politiques que celles qui sont actuellement à l’œuvre.

Nous sommes convaincus que l’on peut réduire les déficits publics autrement qu’en comprimant au-delà de l’admissible les dépenses publiques, notamment par le biais d’une réforme fiscale digne de ce nom.

Celle que vous avez engagée depuis 2007 est à sens unique : vous allégez toujours davantage la part de la charge fiscale globale reposant sur les revenus les plus élevés, les patrimoines les plus importants ou les plus grandes entreprises, tout en reportant le poids de la crise sur les PME et les TPE, qui n’ont pas de service de la comptabilité pour organiser une « optimisation fiscale » et dont la trésorerie est faible ou nulle, les retraités, qui voient le pouvoir d’achat de leur pension fondre au rythme de la hausse continue des prix à la consommation, les salariés modestes et moyens, qui n’ont que leur salaire pour vivre…

Qu’il s’agisse de geler le barème des aides au logement, de maintenir le taux de la TVA à 19, 6 %, de réévaluer forfaitairement la taxe foncière, de réduire l’aide aux associations, qui maintiennent un lien social fort dans notre pays, de diminuer le soutien au spectacle vivant ou d’augmenter les droits d’inscription à l’université, le principe est toujours le même : solliciter sans cesse les plus modestes, au seul motif qu’ils sont les plus nombreux et que cela minimise l’effort demandé à chacun. À vous qui vous souciez du poids des prélèvements obligatoires, permettez-moi de dire que ces mesures pèsent lourdement sur le reste à vivre de tous les foyers concernés.

La législature 2007-2012 restera, dans l’histoire parlementaire de notre pays, comme l’une de celles où l’argent public aura été le plus largement distribué à ceux qui sont déjà amplement pourvus. Elle avait commencé avec la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, qui avait habilement masqué derrière l’aveuglante affaire des heures supplémentaires la réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune, le renforcement du bouclier fiscal et l’optimisation des donations-partages ; elle se termine avec l’allongement prévisible du nombre d’annuités nécessaires pour accéder à la retraite et la division par deux du rendement de l’ISF. La « niche Copé » permet désormais aux grands groupes de réaliser des opérations capitalistiques sans avoir à acquitter beaucoup d’impôts, les restaurateurs ont obtenu une baisse de TVA sans contrepartie, et les établissements financiers auront pu disposer de l’argent public sans qu’on leur impose d’exigence particulière quant à son emploi.

Vous avez privatisé Gaz de France, ouvert les services postaux à la concurrence et banalisé le livret A, mettant ainsi à la disposition des établissements bancaires ordinaires une part toujours plus importante de l’épargne populaire. Vous avez réduit de façon systématique les services publics ; la mise en œuvre de la RGPP y a largement contribué, en mettant à mal la qualité de vie de nos concitoyens : l’école, la police, la justice sont particulièrement concernées, ainsi que le secteur de la santé.

En effet, la sécurité sociale aura subi pendant cette législature de douloureuses attaques. La réforme de l’hôpital s’est traduite concrètement par la réduction du nombre des services hospitaliers et l’augmentation du reste à charge pour les assurés. Cette dernière est largement due à la tarification à l’activité, qui tend à transformer nos hôpitaux publics en prestataires de services sanitaires accessibles selon les capacités financières du malade.

Bien entendu, cette législature aura été marquée par la réforme des retraites. Elle a suscité un puissant mouvement revendicatif, que nous avons relayé jusqu’au cœur de cette assemblée. Cette supposée réforme s’appuie de fait sur un double processus : l’accroissement de la contribution des assurés, notamment par l’augmentation de la durée de cotisation et par la diminution de la valeur de chaque trimestre de cotisation, conjugué à la réduction des prestations servies par la modification des bornes d’âge et des conditions de référence. Tout cela va entraîner une augmentation du nombre de celles et de ceux qui ne pourront justifier d’une carrière complète ou qui subiront une décote sur le montant d’une pension restant indexée sur l’évolution des prix. C’est cette indexation, plus sûrement que toute autre mesure, qui constitue, sur la durée, le mode opératoire de cette réforme. La réduction des droits sociaux collectifs est au cœur de cette évolution.

Ainsi, tout au long de la législature écoulée, des mesures ont contribué à réserver les fruits de la croissance aux plus aisés et à partager les fruits amers de l’austérité entre les autres. Je me souviens notamment d’une mesure emblématique des choix du Gouvernement : la fiscalisation des indemnités journalières versées aux accidentés du travail, prétendument pour des raisons d’équité avec les salariés recevant une rente pour maladie professionnelle.

Pour notre part, nous avons toujours défendu d’autres options et nous continuerons de le faire, notamment cet automne lorsque nous examinerons le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.

À l’occasion de ce débat d’’orientation des finances publiques, je voudrais rappeler quelques-unes de nos propositions.

Je commencerai par une observation liminaire : les deux assemblées semblent s’opposer irréductiblement sur le principe de la règle d’or budgétaire que certains souhaitent imposer à notre pays. Comme le disait mon collègue Thierry Foucaud lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle, cette règle d’or n’a pas vocation à tenir bien longtemps contre le mur de l’argent. Ce n’est pas parce que le Gouvernement suit aveuglément une ligne fondée sur la diminution des dépenses publiques qu’il s’agit là de la seule méthode pour réduire les déficits. D’ailleurs, cela ne marche pas, puisque le déficit budgétaire de 2010 s’est avéré plus élevé que celui de 2009, sans que cela soit réellement imputable aux dépenses publiques.

Pour notre part, nous nous en tiendrons à un rejet pur et simple de la règle d’or, dont l’application reviendrait pratiquement à une « mise en congé » du Parlement, si l’on en croit les attendus du texte adopté par l’Assemblée nationale, qui accorde de fait une prééminence aux commissions des finances des deux assemblées et rend tout à fait secondaire, pour ne pas dire purement formel, le rôle des autres commissions permanentes. La portée et l’intérêt d’un débat comme celui-ci seraient d’ailleurs, dans ce cadre, encore plus limités, surtout si l’on donne un poids particulier aux textes de programmation des finances publiques.

Nos propositions quant au devenir des finances publiques reposent prioritairement sur l’exigence d’une réforme fiscale de grande ampleur, donnant une traduction concrète au principe républicain selon lequel chacun contribue selon ses capacités.

Le produit de l’impôt sur le revenu et celui de l’impôt sur les sociétés sont particulièrement faibles au regard des montants qu’il devrait être possible de recouvrer. L’existence d’une législation fiscale dérogatoire foisonnante est cause d’un manque à gagner de 40 milliards d’euros au titre de l’impôt sur le revenu et de presque le double s’agissant de l’impôt sur les sociétés. Les niches fiscales – prélèvements libératoires, crédits et réductions d’impôts – dans un cas et les mesures spécifiques – niche Copé, crédit impôt recherche, report des déficits – dans l’autre sont à l’origine de cette situation hallucinante. Vous prétendez vouloir y remédier : nous jugerons sur pièces, pour reprendre une expression volontiers utilisée en commission des finances.

Comme nous l’avons indiqué ce matin, un rapport de la direction générale du trésor et de la politique économique confirme l’analyse du Conseil des prélèvements obligatoires : les plus grandes entreprises, notamment les leaders du CAC 40, paient moins d’impôt sur les sociétés que les autres ! Et les éléments de comparaison européenne sont sans équivoque : malgré un taux très théorique de 33, 33 %, l’impôt sur les sociétés, rapporté au chiffre d’affaires des entreprises, est plus faible en France que dans tous les autres pays d’Europe ; il est même moins élevé que celui qui est supporté par les entreprises soumises au droit irlandais ! Il est donc plus que temps de passer ces mesures dérogatoires au révélateur de leur efficacité économique et sociale, notamment au regard du coût supporté par la collectivité.

En ce qui concerne l’imposition des revenus, nous avons connu plusieurs décennies de réduction de son taux maximal et de « reformatage » du barème, par des mesures visant à diminuer la progressivité de l’impôt. Dans le même temps, nous avons assisté à la montée en charge de la contribution sociale généralisée, considérée de plus en plus comme le « premier étage » de la fiscalité pesant sur les revenus. Au rebours des modifications auxquelles vous avez procédé, une véritable réforme fiscale doit redonner de la progressivité à l’impôt sur le revenu.

Le troisième grand chantier est celui de la fiscalité locale.

La disparition de la taxe professionnelle, remplacée par la contribution économique territoriale, la CET, a constitué l’évolution de grande ampleur de la législature. Le lien avec le territoire, prétendument protégé par la CET, est en réalité de plus en plus ténu. Pour ne donner qu’un exemple, les régions n’ont plus le moindre pouvoir en matière fiscale, s’agissant du moins de ce qui constituait jusqu’alors leur principale ressource. Cette rupture du lien avec le territoire constitue une atteinte évidente au principe de libre administration des collectivités et un moyen puissant de « museler » les initiatives budgétaires et l’action de ces dernières au bénéfice des populations. Quelles marges de manœuvre et d’action reste-t-il aux collectivités territoriales une fois déduites les dépenses et charges obligatoires ? Quels choix originaux sont-elles encore en mesure de faire en l’absence de souplesse des recettes fiscales ?

Pourtant, les investissements des collectivités sont des leviers formidables pour le développement de l’activité économique. Leur réduction n’est pas, comme vous le disiez tout à l’heure, madame la ministre, un élément positif ; au contraire, elle représente un risque de dégradation de la situation, particulièrement dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics. Selon les données pour 2008 de la direction générale des collectivités locales, 800 000 emplois dépendraient de ces investissements.

Quant à la péréquation, elle reste à construire et ne sera pas possible tant qu’aucune recette fiscale digne de ce nom n’en assurera le financement.

Nous persistons et signons : il est possible de taxer les actifs financiers des entreprises, parce que le monde économique a évolué et que les richesses produites doivent servir l’emploi et non la spéculation. Un outil de péréquation pertinent et performant, indispensable pour nos collectivités, pourrait ainsi être créé grâce à cette nouvelle ressource.

La révision des valeurs locatives est un chantier qui n’est que partiellement ouvert, puisque seules les activités commerciales sont concernées.

La taxe foncière sur les propriétés bâties est maintenant le premier impôt sur le patrimoine dans notre pays. Au cours de la législature, aucune mesure n’a été prise à ce sujet, hormis la réévaluation forfaitaire et automatique de la valeur des bases chaque année. Sans même que les taux bougent, les contribuables ont vu progresser de 1 % à 2 % le montant de la taxe à payer. Il est grand temps de procéder à une révision de l’ensemble des valeurs locatives.

Madame la ministre, comment entendez-vous stabiliser en valeur la contribution du budget de l’État à la vie des collectivités territoriales tout en prenant en compte l’application de la réforme de l’intercommunalité, sinon en remettant en cause les dotations des communes ?

S’agissant de la sécurité sociale, nous sommes partisans de la socialisation des dépenses liées à la prise en charge de la dépendance. Nous sommes opposés à la mise en place de tout dispositif de caractère individuel, concurrentiel ou assurantiel destiné à couvrir, sans doute assez mal, ces dépenses. Il nous semble logique et normal que les ressources nécessaires pour relever les défis du grand âge soient assises sur des cotisations sociales collectives. En 1945, la France a fait le choix de répondre collectivement aux besoins sociaux : quoi qu’on en dise, c’est bel et bien cette réponse collective et mutualisée qui a contribué à élever la qualité de vie, au plan sanitaire, de la population. C’est d’ailleurs parce qu’il convient de rendre toute sa pertinence au choix fait à la Libération que nous devons envisager de revenir sur la politique de réduction des cotisations sociales des entreprises, source du gaspillage de plus de 30 milliards d’euros de ressources publiques, au profit du développement de l’emploi partiel, des bas salaires et de la précarité !

C’est aussi en faisant en sorte qu’il soit employé au mieux du point de vue tant de l’efficacité économique que de la justice sociale que l’on fait bon usage de l’argent public ! Quand on favorise le développement des bas salaires, on ne doit pas s’étonner ensuite de constater une perte d’intérêt pour le travail : les bas salaires vont souvent de pair avec une médiocre qualité de l’emploi. Les 2, 7 millions de chômeurs officiellement dénombrés – chiffre plus élevé qu’en 2007 – et les 4 millions de chômeurs que compte en réalité notre pays ne sont-ils pas les meilleurs témoins du fait qu’il est temps de changer de politique ?

Nous ferons tout pour que les sujets soulevés au cours de cette discussion soient présents dans le débat qui s’instaurera en vue des prochaines échéances électorales. Les électeurs ont leur mot à dire sur des choix qui les concernent directement !

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