Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 7 juillet 2011 à 15h00
Orientation des finances publiques pour 2012 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le fantôme de la crise grecque hante aujourd’hui tous les débats préparatoires aux lois de finances. Pourtant la dette de la Grèce, qui s’élève à 350 milliards d’euros, est cinq fois moindre que celle de la France !

Fin 2010, notre dette atteignait en effet 1 600 milliards d’euros, soit plus de 80 % du PIB. Le service de ses intérêts nous a coûté 47 milliards d’euros en 2011 : c’est aujourd’hui le deuxième poste de dépenses de l’État. La totalité du produit de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ne suffit pas à le couvrir.

Le déficit public, quant à lui, n’a certes pas dépassé le niveau record de 7, 5 % du PIB atteint en 2009, mais, à 7, 1 % du PIB en 2010, soit 136 milliards d’euros, il sanctionne à nouveau l’incapacité du Gouvernement en matière de gestion, incapacité qui a conduit celui-ci à recourir à la dette plutôt qu’à l’impôt pour financer la hausse de ses dépenses. Or, même en imaginant que le déficit structurel soit réduit de 7 % à 5 % du PIB, ce qui est loin d’être fait, la dette française pourrait atteindre 90 % du PIB en 2012, 100 % en 2016, 110 % en 2020…

De si mauvais chiffres s’expliquent-ils par un effort particulier consenti pour contrebalancer les effets de la crise, par l’accent mis sur les dépenses d’avenir, pourvoyeuses de croissance à long terme, par un soutien indispensable aux plus fragiles d’entre nous ? Non : les déficits sont aux deux tiers structurels, et la justice sociale demeure la grande absente des préoccupations de ce gouvernement.

Le recours à la dette a permis de payer les cadeaux fiscaux aux plus riches. Les 70 milliards d’euros d’allégements fiscaux réalisés depuis 2002 ont été financés à crédit et n’ont eu d’effets notables ni sur l’emploi, ni sur le pouvoir d’achat, ni en matière de lutte contre les inégalités.

C’est ainsi que la fameuse antienne du non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux nous coûte très cher en matière d’accès au service public. Elle se traduit par une diminution du nombre de professeurs, d’infirmières et de policiers. Dès la maternelle, la norme, en matière d’effectifs, est de trente élèves par classe, les résultats des évaluations scolaires ne cessent de se dégrader, l’insécurité de progresser et l’accès aux soins de se restreindre, tandis que se détériorent de manière inquiétante les conditions de travail des personnels soignants, y compris des médecins.

Or la Cour des comptes l’indique clairement : les économies résultant de la mise en œuvre pendant huit ans de la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire de l’État partant à la retraite sur deux équivalent au coût annuel de la baisse de la TVA dans le secteur de la restauration…

Ainsi, pour servir son électorat, le Gouvernement organise des coupes claires dans ce qui constitue notre patrimoine commun, le service public, et il fait financer le service de ses intérêts personnels par les générations futures. Cette attitude pourrait se résumer d’une formule lapidaire : « après moi, le déluge ». Au vu de la situation de notre pays, les premières averses ne sont peut-être pas loin…

L’année dernière, le Premier président de la Cour des comptes nous avait alertés sur la sérieuse dégradation de la situation des finances publiques en 2009, susceptible d’hypothéquer, à terme, notre indépendance et notre souveraineté. Lors de sa récente audition par la commission des affaires sociales, il a enfoncé le clou : « Même si les déficits ont légèrement diminué cette année, ils restent beaucoup trop élevés pour prévenir l’emballement de la dette et souffrent de la comparaison avec ceux de bien d’autres pays européens. Notre ratio de dette par rapport au PIB s’approche de la zone dangereuse. » C’est la Cour des comptes qui parle !

Or, si la loi de programmation des finances publiques et le programme de stabilité envisagent un ambitieux effort de redressement, le chemin à parcourir pour atteindre l’objectif n’est pas explicitement indiqué et le chiffrage des coûts est insuffisamment fiable. En la matière, pourtant, si les efforts à fournir ne sont pas équitablement répartis, c’est tout l’équilibre de notre société qui risque d’être remis en cause.

La situation de nos finances sociales en témoigne : en 2010, le déficit du régime général, auquel il faut ajouter celui du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, dépasse 28 milliards d’euros. Toutes les branches sont touchées, et en premier lieu l’assurance maladie, dont le déficit atteint 11, 6 milliards d’euros, bien que l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, ait été respecté et que la croissance des prestations sociales ait marqué un ralentissement notable.

En 2011, le déficit cumulé des régimes de base et du FSV devrait atteindre 25 milliards d’euros, dont 19, 5 milliards d’euros pour le seul régime général. Si la branche accidents du travail-maladies professionnelles devrait revenir à l’équilibre, la branche maladie resterait fortement déficitaire, à hauteur de 10, 3 milliards d’euros. Quant au FSV, son besoin de financement devrait de nouveau dépasser 4 milliards d’euros.

La dette sociale, quant à elle, s’élevait à 176 milliards d’euros fin 2010. Si l’investissement d’aujourd’hui contient la promesse des développements futurs, cette dette n’est malheureusement pas constituée de dépenses d’avenir : elle ne résulte que de l’accumulation de déficits courants, et est ainsi structurellement injuste.

Enfin, les hypothèses sur lesquelles a été construit le programme de stabilité relèvent à la fois de la méthode Coué et d’un optimisme exubérant. Pour sa part, la Cour des comptes a calculé que, en l’absence de mesures de grande ampleur, « les risques pesant sur les branches maladie, retraite et famille pourraient nécessiter, à l’horizon de 2020, un nouveau transfert de 100 à 120 milliards d’euros à la caisse d’amortissement de la dette sociale, en plus des 130 milliards déjà prévus ».

Ces 130 milliards d’euros étaient censés servir à éponger le déficit cumulé de la sécurité sociale pour les années 2009 à 2011, à hauteur de 68 milliards d’euros, et les futurs déficits des régimes de retraite jusqu’en 2018, à concurrence de 62 milliards d’euros. Or, en se fondant sur une croissance maîtrisée de l’ONDAM de 2, 8 % et sur une progression de la masse salariale de 3, 5 %, la Cour des comptes a calculé que le déficit de la branche maladie serait encore de 5 milliards d’euros en 2020, le déficit cumulé à partir de 2012 devant atteindre 60 milliards d’euros.

À cela s’ajoutent de sombres pronostics sur l’équilibre de nos régimes de retraite. Les postulats de référence – niveau de chômage, projections démographiques, transfert de charges vers le RSA, l’assurance chômage ou l’invalidité – s’avérant peu réalistes à l’horizon de 2020, le besoin de financement de nos comptes sociaux pourrait rapidement atteindre 100 milliards d’euros, ce qu’aucune projection gouvernementale ne prend en considération. Autant dire que le terme de 2025, fixé pour le remboursement de la dette, risque fort d’être repoussé aux calendes grecques ! Dans ces conditions, les générations futures n’auront pour tout héritage que la dette et l’injustice sociale.

Coluche disait : « Je partage en deux, les riches auront de la nourriture, les pauvres de l’appétit. » Si nous ne voulons pas que la société de demain considère ce bon mot comme une parole prophétique, c’est à un effort important de maîtrise des dépenses et de rééquilibrage des comptes que nous devons nous consacrer.

Je ne poursuivrai pas l’énumération des chiffres. Un tel constat nous accable tous et, que nous le voulions ou non, il engage déjà notre avenir. Mais vous en portez la plus grande responsabilité. La dette sociale préempte déjà l’avenir de nos enfants ; nous en sommes comptables. Mais les chiffres ne sont pas des faits, ils n’en sont que la mesure. Comment élaborer les réformes nécessaires ? Comment faire en sorte que le service public redevienne notre patrimoine commun ?

L’assurance maladie, la retraite, la famille sont les socles de notre pacte social. S’il faut aujourd’hui repenser leur financement, c’est d’abord en désignant clairement les valeurs à faire vivre, les objectifs à atteindre, les publics à protéger. C’est en redonnant un sens à l’action collective que l’on peut mobiliser les citoyens pour en faire des acteurs du changement, et non de simples variables d’ajustement de logiques comptables.

Ne toucher qu’à la marge aux rentes de situation que constituent nombre de niches fiscales, réduire les dépenses en faveur des plus modestes pour limiter la participation des plus privilégiés à l’effort national, protéger les plus forts et accuser les plus précaires d’être responsables de leur pauvreté ne résout aucun problème, mais détruit ces liens entre les hommes qui font les sociétés apaisées et construisent les civilisations.

Les réformes que vous avez menées n’avaient pas pour objectif de répondre aux exigences du réel en préparant l’avenir. Elles visaient simplement à permettre de présenter un budget acceptable pour les agences de notation. Madame la ministre, derrière vos chiffres il n’y a ni chair ni esprit ; il n’y a même plus de volonté ou de politique. Le budget n’est plus un outil ni un cadre, mais votre seul horizon, d’ailleurs bouché.

Au-delà des chiffres que vous nous assénez, où est votre politique de l’emploi ? Où est votre politique de santé publique ? Où est votre politique de lutte contre les inégalités ? Oui, les grands chantiers sont devant nous. Toutefois, ils ne se réduisent pas à une addition d’économies, à une compilation de déremboursements, à une stratification de la dette et à une collection de transferts de charges.

Agir concrètement sur les dépenses d’assurance maladie, c’est dresser le constat d’une économie largement socialisée en la matière et demander à tous les acteurs d’en tirer les conclusions qui s’imposent quant aux modes d’exercice et de rémunération, c’est mettre en œuvre une véritable politique de prévention, c’est veiller à l’égalité d’accès aux soins, promouvoir la formation des professionnels de santé, prendre en compte la dimension de l’aménagement du territoire… Agir sur les finances sociales, c’est avant tout élaborer une politique en matière de santé, et non redécouper le budget au gré des déficits.

La réforme des retraites que nous venons d’adopter n’est pas à la hauteur des enjeux. À peine votée, elle est déjà dépassée, et la manière dont vous traitez ce dossier complique lourdement le travail qui reste à faire.

Vous vous bornez à manipuler des indicateurs financiers et vous jouez sur les peurs pour faire avaler aux salariés des couleuvres pompeusement baptisées « mesures de bon sens ». Toutefois, en la matière, le bon sens eût voulu que l’avenir des régimes de retraite ne soit pas déconnecté des politiques de l’emploi, et que votre réforme tienne compte de l’entrée des jeunes sur le marché du travail et du maintien des seniors dans l’entreprise. Bref, il eût fallu que l’organisation du travail, la gestion des âges et des carrières soient une dimension de la réforme : faute de quoi on impose des restrictions sévères à une population tétanisée, au nom de nécessités comptables. Cela permet de présenter un budget, mais non de juguler la crise, ni de changer le présent ou de préparer l’avenir. Le rabotage des droits ne fait pas une réforme et ne donne pas un sens à l’action publique.

Plus que jamais, nous avons besoin de penser ensemble l’avenir de notre protection sociale. En effet, l’exercice de solidarités concrètes fait de nous des citoyens et non de simples consommateurs de prestations ; c’est sur cette dimension citoyenne qu’il nous faut appuyer nos réformes.

Rien de tout cela dans le débat que vous engagez ! Rien de tout cela dans les politiques que vous avez menées ! À l’absence d’imagination, de sens et de vision à long terme, vous ajoutez une gestion calamiteuse. C’est dire si un changement de cap s’impose !

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