Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « nous devons tout faire pour lutter contre la récidive ». Oui ! Mais comment, et avec quels moyens ? Voilà la question !
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a déjà une histoire, et celle-ci n'est pas flatteuse pour la représentation nationale. Elle est jalonnée d'annonces médiatiques - à l'origine, les peines automatiques, puis la rétroactivité des peines, autant d'entorses à notre loi pénale -destinées, d'une part, à tester les professionnels de la justice et, d'autre part, à faire de l'affichage politique pour apaiser l'opinion à chaque sordide fait divers, largement médiatisé.
L'aboutissement de ces péripéties, c'est-à-dire le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale, n'est pas acceptable. Les députés de la majorité ont confirmé leurs choix : un texte de circonstance, poudre aux yeux pour l'opinion, grave de conséquences.
Chers collègues, nous sommes le législateur : nous devons légiférer en toute sérénité, et la loi que nous élaborons doit avoir une certaine pérennité.
Je vous le rappelle, par cinq fois depuis 2001, nous avons alourdi l'arsenal répressif au gré des circonstances.
Regardons la réalité en face au moment même où - mauvaise coïncidence, sans doute - le rapport annuel de l'Office international des prisons, publié le 20 octobre, nous montre du doigt : nous avons en effet constaté nous-mêmes, députés et sénateurs, au terme d'enquêtes parlementaires sérieuses menées il y a cinq ans, l'état encore sordide de nos prisons, la surpopulation et la promiscuité qui y sévissent, l'absence de suivi psychiatrique, et bien d'autres horreurs...
Depuis, les quelques améliorations qui en étaient résulté ont été anéanties, parce que vous n'avez cessé de remplir les prisons par une frénésie d'inflation pénale. Le nombre des détenus pour courte peine a ainsi augmenté, et les longues peines ont été accrues ; par ailleurs, huit détenus sur dix, M. le rapporteur vient de le dire, présentent au moins un trouble psychiatrique. Les établissements sont donc de plus en plus des lieux de violence pour les détenus et le personnel.
Pour une grande part à l'origine de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, les délinquants sexuels, qui représentent le pourcentage déjà élevé de 22 % des détenus - et non pas 40 %, comme vous l'avez laissé dire pour les besoins de votre cause, monsieur le garde des sceaux - « font fonction de boucs émissaires, attirant sur eux une bonne part de la violence en prison », selon le triste constat de l'OIP.
La récidive est un échec, l'échec de la peine.
Aurons-nous, oui ou non, le courage d'affronter cette réalité, de réfléchir sur le sens de la peine, de nous doter des moyens nécessaires par une loi pénale et des conditions de détention, de soins et de réinsertion dignes d'un pays civilisé ?
Sinon, jusqu'où nous mènera cette fuite en avant carcérale ? L'année dernière, quarante-huit députés sont allés jusqu'à demander le rétablissement de la peine de mort ! Seront-ils plus nombreux à l'avenir ? Monsieur le garde des sceaux, j'ose penser que vous ne soutiendriez pas aujourd'hui vos amis dans ce sens !
J'ai la conviction - et certains élus de votre majorité le pensent aussi - que la lutte contre la récidive se prépare en prison. Je refuse une nouvelle loi pénale qui ne traite que de « l'après » et ne vise qu'à incarcérer plus facilement, plus longtemps, en manipulant l'opinion.
Il y a manipulation des chiffres, pour faire peur. A croire que tous les délinquants sexuels seraient de futurs récidivistes ! Une seule récidive, pour un seul crime, est insupportable. Pourquoi en rajouter ? Vous connaissez la réalité : le taux de récidive, qui est en moyenne de 2, 4 %, atteint 8, 2 % en matière de vol aggravé et descend à 1, 1 % dans les cas de viol.
La surenchère a des effets pervers. Nourrissant l'excitation médiatique autour des faits divers, elle brouille les repères et les responsabilités et conduit à prôner, bien entendu, l'aggravation pénale comme seul remède au problème de la récidive.
Il y a manipulation quant au supposé laxisme des magistrats. Au fil des années, les peines s'allongent et, aujourd'hui, un tiers des condamnés à perpétuité sont détenus au moins vingt ans, ce qui était rarissime voilà seulement quinze ans.
Il y a manipulation de l'opinion sur les solutions, puisqu'on laisse planer l'illusion que la seule aggravation des peines réglerait le problème de la récidive. La menace de la peine de mort empêche-t-elle le crime ? Il suffit d'observer la situation aux Etats-Unis à cet égard !
Lutter contre la récidive, c'est avant tout, vous en conviendrez, prévenir.
Certes, la prévention a ses limites, en particulier en matière de crimes et délits sexuels : la preuve en est le nombre de bons pères de famille qui sont délinquants sexuels. Cependant, les travaux scientifiques et les expériences ont largement démontré que l'individualisation de la peine, la préparation individuelle à la réinsertion diminuent les risques de récidive. Ce sont les libérations conditionnelles, les suspensions et fractionnements de peines, les peines alternatives, le suivi socio-judiciaire humain qui sont efficaces.
La mission d'information sur le traitement de la récidive des infractions pénales, qui avait été mise en place par votre prédécesseur en préalable au texte dont nous discutons aujourd'hui, avait émis des propositions dans ce sens. Ce n'est pas ce que, avec votre majorité, vous en avez vous-même retenu, monsieur le garde des sceaux.
Le rapport Burgelin, dont seules les références concernant l'enfermement ont été citées, insistait sur la nécessité de se donner les moyens de mieux évaluer la dangerosité des personnes détenues. Mais, là encore, il est urgent d'attendre...
Evidemment, ces propositions ont un coût financier. Or, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre pays dépense moins que la plupart des grands pays européens pour sa justice. En outre, il s'attache surtout à construire des prisons et à prévoir des effectifs de surveillance plutôt que d'affecter des postes supplémentaires autres catégories de personnels qui, nous le savons, sont nécessaires pour que la peine ait des conséquences positives.
Quoi qu'en dise notre rapporteur, les députés ont voté à nouveau les dispositions que le Sénat avait largement critiquées : introduction de la réitération, aggravation des peines incompressibles, limitation du crédit de réduction des peines, incarcération dès le prononcé de la peine. De surcroît, ils ont ajouté des mesures visant à durcir les conditions de la libération conditionnelle, à élargir le cadre de la récidive légale ainsi que les conditions d'inscription au fichier des délinquants sexuels.
La philosophie qui sous-tend leurs options est claire : il s'agit d'incarcérer plus vite, plus facilement et plus longtemps les récidivistes, y compris les mineurs. Mais ils ne prévoient rien pour la prévention de la récidive !
Je me limiterai à quelques commentaires sur ces mesures.
S'agissant de la réitération, quel est le sens de la codification de cette notion ? En effet, sans avoir de traduction législative, la réitération correspond néanmoins à une réalité : il y a réitération lorsqu'une personne déjà condamnée définitivement pour un crime ou délit commet, après un certain laps de temps, une nouvelle infraction dont la nature et le délai ne répondent pas aux conditions de la récidive légale. Cette définition peut se trouver dans tout manuel de droit pénal !
En cas de réitération, le magistrat prend en compte les antécédents de l'auteur de l'infraction. Et, si le fait de la réitération n'exerce aucune influence, en droit, sur la mesure de la peine applicable à la seconde des infractions, celle-ci devant être traitée comme une infraction isolée, dans les faits, la condamnation afférente à la première infraction étant connue de la juridiction qui juge la seconde - en raison notamment de la consultation du casier judiciaire - il est fort probable que ce précédent exercera une influence défavorable sur la peine qui sera prononcée.