Cette mesure s'est d'ailleurs révélée positive.
La question de la surveillance mobile par l'intermédiaire d'un bracelet électronique, qui a déjà donné lieu à d'excellents propos, est complexe, très délicate. En effet, indépendamment du problème de la rétroactivité, nous nous trouvons en présence de situations telles que l'atteinte à la personnalité, à la dignité, à l'intimité de l'être humain. Ce sont là des valeurs premières de notre société, et elles sont directement en question.
En la matière, nous ne devrons avancer qu'avec la plus extrême prudence et seulement, en ce qui nous concerne, dans la mesure où, toutes garanties prises, la justification du placement sous surveillance électronique sera de ne pas maintenir ou d'éviter la détention, car on en revient toujours là.
Face à ces constats que j'ai rappelés, faisons-nous ce que nous devons ? Dans les textes, certainement, et nous n'en manquons pas. J'ai été frappé par la réaction si forte, et singulièrement unanime pour une fois, des associations de magistrats et d'un certain nombre d'associations des personnels judiciaires : toutes combattent cette proposition de loi, qu'elles considèrent comme inutile. Disons-le franchement : nous ne manquons pas de dispositions sévères pour lutter contre la récidive, depuis le drastique doublement de la peine jusqu'à l'accroissement des périodes de sûreté.
J'évoque au passage un point qui me préoccupe énormément et sur lequel nous reviendrons : ce que l'on appelle la « surveillance post-condamnation », c'est-à-dire une mesure qui viendrait s'ajouter à la peine exécutée, au nom d'une dangerosité que des psychiatres décréteraient. Cela me paraît relever de la pensée de la première école de défense sociale, non celle d'Ancel, mais celle qu'a inspirée Lombroso : on en viendrait à considérer la dangerosité comme concept fondamental de dispositions répressives.
Voilà un instant, ont été évoqués des « camps » - j'ai entendu prononcer ce mot -, dans lesquels seraient placés des gens ayant purgé leur peine, au nom d'une dangerosité décelée par des psychiatres, à l'instar de ce qui se pratique dans certains Etats du sud des Etats-Unis où l'on demande à des psychiatres si la dangerosité du condamné doit conduire jusqu'à son exécution capitale.
Je mets en garde la Haute Assemblée vis-à-vis de ces tentations. Que d'autres sociétés y cèdent, soit, mais nous, montrons-nous à cet égard extrêmement attentifs et prudents. Il existe des risques qu'une société ne doit pas prendre.
Reprenant le fil de mon intervention dans cette discussion générale, je veux dire avant tout que cette proposition de loi ne tient pas compte des vraies priorités. Alors que nous savons, par cette expérience bi-séculaire, que tout ce qui maintient ou, a fortiori, étend le champ de l'emprisonnement est source et foyer de récidive, ce texte va néanmoins dans cette direction.
L'élargissement du concept légal de récidive, le concept juridiquement flou de réitération sont autant de sources d'emprisonnements à venir. Et que dire de l'extension de la période de sûreté, de la tendance à la réduction du sursis avec mise à l'épreuve ? On doute des magistrats, comme si tous les cas n'étaient pas individuels ! Tout va dans la même direction, et cette direction est carcérale.
Or, quelle est la réalité carcérale ? La France est véritablement dans une situation d'humiliation, que nous avons dénoncée, que tous les parlementaires ont dénoncé. Deux importants rapports ont été publiés en 2000. Qu'en est-il advenu ? Mes chers collègues, nous sommes stigmatisés, et j'utilise à dessein ce terme, pour ce qu'est la réalité de la condition carcérale en France ! Allez à Strasbourg, écoutez ce qui se dit au Conseil de l'Europe, au comité de prévention de la torture, au sujet de l'état de nos centres de détention, de nos maisons d'arrêt - lieux de promiscuité s'il en est - ou simplement des centres de rétention !
Lisez le rapport sur l'état de nos prisons que va remettre M. Gil-Robles, homme éminent et que je salue, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, ou reprenez le texte de l'Observatoire international des prisons qui vient d'être publié.
Je n'hésite pas à le dire, la France se trouve dans une situation d'indignité nationale ! Nous ne pouvons plus continuer dans cette voie ! Si nous voulons vraiment lutter contre la récidive, commençons par nous donner les moyens de cette lutte ! Il ne s'agit pas d'adopter des textes faciles à forger. Laissez à des juristes du temps, et ils vous feront toujours des textes !
Le problème est ailleurs. Tant que, dans les maisons d'arrêt, régneront la surpopulation et la promiscuité, nous ne pouvons rien attendre d'autre que l'accroissement de la récidive. Et ce n'est pas le bracelet électronique qui permettra d'y parer !