Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis le siècle des Lumières, le droit pénal reste l'un des plus sûrs témoins du degré de civilisation d'une société.
Droit régalien soucieux d'une exigence d'exemplarité et d'efficacité, mais aussi droit qui, s'appliquant à la personne, doit respecter le principe de dignité de la personne humaine - ce qui vaut pour les victimes, bien sûr, mais aussi pour les coupables -, celui-ci doit donc en permanence établir un équilibre entre deux exigences contradictoires. C'est à l'aune de ces principes qu'il convient d'apprécier le texte qui nous est soumis en deuxième lecture.
Tout d'abord, un constat s'impose.
Depuis vingt ans, le Parlement ne cesse d'être saisi de projets de loi en matière pénale. A peine une loi est-elle votée, et avant même que ses décrets d'application soient rédigés, qu'un nouveau texte est déposé, qui rend plus complexe, voire annihile le texte précédent.
Les alternances à répétition ne sont pas les principales responsables de cette inflation. La réaction précipitée à une opinion publique dûment sollicitée par les médias à l'occasion de crimes odieux ou spectaculaires est souvent à l'origine de ce phénomène, tout comme la volonté d'élaborer des textes sans être certain de leur réalisation effective.
Pourtant, au cours des dernières années, les cas ont été légion de lois non normatives censurées par le Conseil constitutionnel, de lois sans effectivité faute de décrets d'application ou, plus grave encore, faute de moyens pour les mettre en oeuvre.
Dans un domaine aussi sensible que le droit pénal, la prudence rédactionnelle et normative s'impose. La politique pénale est un travail à long terme, qui exige continuité dans l'action, respect sourcilleux des droits fondamentaux, éducation - et non soumission aux instincts spontanés de l'opinion -, formation permanente des juges et de ceux qui les entourent, pour connaître non seulement le droit mais surtout l'évolution de la société et des comportements des individus qui la composent.
Le droit de la récidive serait-il le grand oublié du code pénal, nécessitant qu'une loi spécifique lui soit consacrée ? Non, bien entendu !
La récidive est au coeur du droit pénal : le code pénal comme le code de procédure pénale lui consacrent d'ailleurs de longs développements. Elle fait, depuis deux siècles, l'objet de débats permanents, oscillant entre un traitement purement répressif, marqué par des échecs retentissants - la relégation, hier ; la tutelle pénale, plus récemment -, et une attitude sociale, dont le suivi socio-judiciaire est l'expression la plus récente et la plus novatrice.
En quoi cette proposition de loi améliore-t-elle le droit en vigueur ? En quoi permettra-t-elle de changer la situation actuelle ? Tels sont les deux points que je traiterai successivement.
S'agissant de l'amélioration du droit en vigueur, tout d'abord, qu'en est-il des dispositions nouvelles ?
Nous savons qu'il existe plusieurs types de récidives : celles qui sont la conséquence de dépendances fortes, comme la toxicomanie ou l'alcoolisme, celles qui sont liées à des perversions sexuelles, ou à des pathologies psychiatriques, ou encore à des activités de délinquance organisée, celles enfin qui résultent de situations de précarité.
Cette diversité justifie qu'il ne puisse y avoir de réponse unique à la récidive : l'individualisation des peines doit donc être la règle. C'est d'ailleurs pour mettre en oeuvre cette individualisation que le juge d'application des peines a été créé.
Cette proposition de loi avait pour but initial de répondre au problème posé par la récidive en matière criminelle et notamment en matière de crimes à caractère sexuel.
Si certaines de ses dispositions relèvent de cette problématique, la plupart s'attachent à la récidive en général. Elles se caractérisent par un durcissement systématique du dispositif de sanctions - je pense à la limitation des crédits de réduction de peine et à l'allongement du temps nécessaire pour l'octroi de la liberté conditionnelle -, ainsi que par l'introduction de procédures à caractère expéditif, comme l'absence de motivation des décisions.
En ce qui concerne le suivi socio-judiciaire, la proposition de loi a pour objet de diversifier les peines complémentaires. Elle introduit surtout le recours au bracelet électronique mobile, considéré, dans le rapport Fenech de même que dans la loi Perben 2 du 9 mars 2004, comme une peine complémentaire, mais que la proposition de loi traite comme une mesure d'application d'une mesure de sûreté ad hoc, la surveillance judiciaire, créée aux seules fins de permettre une éventuelle application rétroactive.
En ce qui concerne le rôle des différents acteurs judiciaires, la proposition de loi étend encore le rôle du juge de l'application des peines en le faisant intervenir dans l'octroi des peines et non plus simplement dans leur application.
Ces dispositions complètent le code pénal et le code de procédure pénale. Elles ne rendent pas ces codes plus précis puisqu'elles ne permettent pas de clarifier la typologie des récidives, qu'elles ne distinguent pas les peines et les mesures de sûreté, qu'elles ne spécifient pas les missions des différents organes juridictionnels. Elles ne constituent donc pas un progrès dans la technique pénale.
Examinons maintenant la constitutionnalité et la « conventionnalité » de ces dispositions : la proposition de loi respecte-t-elle les principes fondamentaux tels que mentionnés par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l'homme ?
Je commencerai par le principe de la non-rétroactivité des lois pénales, principe énoncé à l'article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui s'applique aux peines mais aussi aux mesures de sûreté et qui a été conforté par la jurisprudence de la Cour de cassation tirant les conséquences des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, notamment dans l'arrêt du 10 novembre 2004 Achour contre France, comme par celle du Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 décembre 1982.
L'article 16 bis de la proposition de loi, qui prévoit « l'application immédiate de la surveillance judiciaire », notamment du placement sous surveillance électronique mobile, aux personnes déjà condamnées à la date d'entrée en vigueur de la loi est contraire à ce principe.
Le principe de la motivation des décisions de justice, qui découle du principe du droit à un procès équitable, est lui aussi reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme.
Or l'article 6 bis de la proposition de loi, qui prévoit de supprimer l'obligation de motiver la peine d'emprisonnement pour une personne en état de récidive légale, contrevient à ce principe en restreignant les fondements de l'appel.
Quant au principe d'individualisation des peines, qui découle du principe de nécessité et de proportionnalité - je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 2005 -, il est remis en cause par l'absence de distinction suffisante entre les différents types de récidive.