Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 25 octobre 2005 à 16h00
Traitement de la récidive des infractions pénales — Discussion générale

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

Le principe de la présomption d'innocence est, lui, remis en cause par le mandat de dépôt obligatoire en cas de récidive pour des délits de violence.

Enfin, le principe de la liberté du juge d'apprécier la peine est également remis en cause par le mandat de dépôt obligatoire, alors que l'émission d'un mandat de dépôt reste, à ce jour, une possibilité laissée à l'appréciation du juge.

Sur ces différents points, il est donc permis de s'interroger quant à la conformité de la proposition de loi aux principes généraux du droit reconnus par la Constitution et par le Conseil de l'Europe.

Voyons à présent si le nouveau dispositif législatif est susceptible de modifier la situation actuelle. Je me livrerai d'abord à un rapide état des lieux.

La situation actuelle de la récidive en France, au-delà des controverses statistiques, se caractérise par quelques éléments non discutables que j'emprunterai aux statistiques du ministère de la justice.

La récidive est, globalement, un phénomène en baisse. Le nombre de personnes ayant des antécédents condamnées chaque année est passé de 105 625 en 1996 à 100 977 en 2003. Parmi les récidivistes jugés, 80 % retournent en prison. Quant aux criminels récidivistes, ils constituent 0, 5 % du total ; il y a eu 133 condamnations criminelles de personnes ayant des antécédents criminels en 1993, 57 en 2003.

On n'assiste donc pas à un accroissement spectaculaire des récidives. C'est même la tendance inverse qui est constatée.

Par contre, plusieurs phénomènes favorisent le développement de la récidive, à commencer par l'état déplorable du système pénitentiaire, rappelé par plusieurs d'entre nous.

Après les rapports élaborés au sein de nos deux assemblées, c'est le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, M. Alvaro Gil-Robles, qui a dénoncé, jeudi dernier, l'état déplorable des prisons françaises, au terme d'une mission menée dans trente-deux Etats européens, mission au cours de laquelle il a passé seize jours en France et qui donnera lieu à la remise d'un rapport en novembre.

Les prisons françaises ont ainsi été classées parmi les pires d'Europe. Les conditions de vie dans les prisons sont d'ailleurs dénoncées périodiquement : surpopulation carcérale - le taux était de 110, 7 % au 1er septembre -, violences, problèmes psychiatriques et viols sont la règle.

Viennent ensuite les difficultés d'application du suivi socio-judiciaire. Outre son caractère récent, qui ne permettra qu'une application progressive, le suivi socio-judiciaire se heurte à une insuffisance de moyens : carence en psychiatres, en médecins coordinateurs, formation insuffisante des personnels...

Enfin, le recours, pour les infractions plus légères, aux peines de substitution est insuffisant, alors que ces peines évitent d'aggraver la situation des délinquants, notamment des jeunes délinquants, placés au sein du milieu carcéral, première école de formation à la délinquance et à la récidive.

Dans ces circonstances, que changerait donc la proposition de loi ?

Le durcissement de la répression induit par les dispositions du texte conduira immanquablement, faute d'un développement des peines de substitution, à un accroissement de la population carcérale.

L'insuffisance patente des moyens mis en oeuvre, alors que les besoins sont massifs, notamment en personnels qualifiés tels que psychologues, psychiatres ou médecins, ne rendra pas possible avant longtemps l'application des dispositifs de suivi socio-judiciaire.

Faute d'harmonisation entre les dispositifs législatifs des différents Etats européens, la prise en compte des condamnations dans les autres Etats sera très aléatoire.

Le changement perpétuel des dispositions des codes rendra encore plus difficile le travail des magistrats et nécessitera une formation permanente, formation déjà notoirement insuffisante aujourd'hui.

L'équilibre interne de la magistrature entre juges d'instruction, parquet, juges du siège et juges de l'application des peines continuera à se déplacer fortement en faveur du parquet et du juge de l'application des peines.

Enfin, en guise de conclusion, je dirai que les modifications de la législation pénale qui nous sont proposées soulèvent davantage d'interrogations qu'elles ne proposent de réponses équilibrées au difficile problème de la récidive.

Lors de la première lecture, le Sénat a, me semble-t-il, trouvé le juste équilibre entre la demande d'une efficacité accrue et le respect des principes fondamentaux du droit.

Les propositions de la commission des lois et de son excellent rapporteur sur le texte soumis en deuxième lecture à notre assemblée restent fidèles à cette volonté d'équilibre, mais aussi de réalisme. Elles n'ont cependant pas corrigé toutes les approximations juridiques contenues dans ce texte.

Il serait souhaitable que notre assemblée aille au bout de cette démarche et qu'elle utilise pleinement le pouvoir législatif qui est le sien, surtout à propos de ce qui demeure une « proposition » de loi.

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