Intervention de Michel Barnier

Réunion du 10 novembre 2004 à 15h00
Situation en côte-d'ivoire — Déclaration du gouvernement

Michel Barnier, ministre des affaires étrangères :

Monsieur le président, comme vous l'avez dit, dans moins d'une heure sera rendu aux Invalides un hommage solennel national à la mémoire de nos neuf soldats tués en terre ivoirienne, au service de la paix, alors qu'ils ne combattaient pas.

Comme vous l'avez fait vous-même, au nom de la Haute Assemblée, et comme nous le ferons tout à l'heure, monsieur le président, ensemble aux côtés de M. le Président de la République, je veux m'associer à la douleur des familles que nous partageons, et adresser à tous leurs camarades qui ont été blessés, parfois très sérieusement, mes voeux de rétablissement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis deux ans, la France s'est engagée avec détermination, sur le plan militaire, sur le plan politique, sur le plan diplomatique, pour appuyer un processus de sortie de crise extrêmement difficile, une crise qui secoue un pays ami et auquel nous sommes attachés par des liens profonds, anciens, et avec lequel nous partageons notre langue et une partie de notre histoire.

La France a fait tout cela sur la base d'une conviction forte au service de principes clairs, et en adoptant une démarche sans ambiguïté.

Notre conviction est qu'il n'y a pas de solution militaire durable à cette crise dont les racines sont très anciennes, bien antérieures à septembre 2002, et profondes avec des répercussions dans l'ensemble de la région.

Seule une solution politique, fondée sur le dialogue et l'avancée nécessaire du processus de conciliation et de réconciliation, permettra de sortir de ce conflit qui aujourd'hui coupe la terre de Côte-d'Ivoire en deux.

Des principes clairs, ici comme partout ailleurs, fondent notre politique étrangère. Ils sont à la base de notre position en Côte-d'Ivoire comme sur tous les autres théâtres de crise, sur le continent africain et ailleurs.

Nous voulons, d'abord, assurer la sécurité des populations, civiles et étrangères, à commencer, bien sûr, par la sécurité de nos propres ressortissants.

Nous voulons, ensuite, préserver la légitimité de l'Etat et des institutions qui sont à la base de tout régime démocratique, et donc favoriser là où il le faut, et c'est souvent le cas, des élections.

Nous voulons, enfin, respecter l'intégrité du territoire national.

Nous voulons, en outre, conforter la stabilité régionale.

Tels sont les principes sur lesquels nous fondons notre action.

La démarche que nous conduisons est sans équivoque : la crise qui secoue aujourd'hui la Côte-d'Ivoire n'est en aucune manière assimilable à un tête-à-tête entre la France et la Côte-d'Ivoire.

Dès le début de cette crise, nous avons choisi d'appuyer les efforts de la communauté régionale africaine, en particulier de l'Union africaine. Nous avons agi pour mobiliser la communauté internationale, en particulier dans le cadre des Nations unies, mais aussi l'Union européenne et les grands bailleurs.

Aujourd'hui, notre intervention se situe strictement dans le cadre du mandat des Nations unies.

Cette démarche que nous entendons respecter est difficile et exigeante pour la Côte-d'Ivoire comme pour tous ses partenaires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce cas comme dans d'autres, il ne s'agit pas, pour nous, de choisir un camp, il s'agit de défendre une solution.

L'objectif de notre pays est simple et il est unique : appuyer un processus de retour à la paix et assurer des conditions durables pour la stabilité régionale. Aujourd'hui, malgré l'extrême difficulté de cette situation, cet objectif demeure et reste le chemin unique pour éviter le pire.

Après avoir dit notre ambition, nos principes et notre démarche, je reviens quelques instants sur ce qui s'est passé ces derniers jours en Côte-d'Ivoire, en particulier à Abidjan.

Face à une situation de blocage du processus de paix issu de Marcoussis et d'Accra qui continuait de prévaloir en Côte-d'Ivoire, une sorte de « panne » du processus de paix, le président Gbagbo a décidé de prendre l'initiative et de tenter de recouvrer unilatéralement l'intégrité de son territoire.

Dès mercredi dernier, je peux en témoigner, M. le Président de la République, à l'occasion d'un long appel téléphonique, a personnellement mis en garde le président Gbagbo contre le risque majeur d'une action guerrière mettant en cause le cessez-le-feu.

Force est de constater que le président de la Côte-d'Ivoire n'a pas tenu compte de cet avertissement et samedi matin, après que d'autres opérations sur le terrain et dans les airs ont été conduites, neuf militaires français qui ne combattaient pas et qui assuraient strictement leur mission de stabilité et de paix ont été bombardés par un avion ivoirien de manière délibérée - je l'ai dit parce que je le pense -, et trente-quatre soldats ont été blessés.

Voilà pourquoi nous sommes alors passés en première ligne. Nous avons immédiatement répliqué militairement pour répondre à une agression militaire et, comme c'était légitime, mettre hors d'état de nuire l'aviation ivoirienne. Nous avons ensuite, presque immédiatement, sécurisé l'aéroport d'Abidjan et renforcé notre dispositif afin d'assurer, dans les meilleures conditions possibles, l'évacuation des blessés et les départs et les arrivées, notamment les renforts de soldats dont nous avions besoin.

Nous avons également voulu renforcer notre dispositif de sécurité pour éviter, autant que faire se pouvait - nous voyons bien que c'est difficile - des débordements incontrôlés de mouvements de foule.

Quel est le sens de notre mission ?

Notre priorité immédiate est d'assurer la protection des populations et de ramener le calme. Au moment où je vous parle, la situation semble se stabiliser, mais elle reste précaire. Voilà pourquoi notre vigilance doit rester intacte.

Au-delà, et en liaison étroite avec nos partenaires occidentaux et africains, nous travaillons à ramener le processus politique sur ses rails. Il faut maintenant chercher à l'accélérer. De cette situation dramatique que nous vivons sortira peut-être un nouveau volontarisme permettant de reprendre le chemin tracé, par l'accord de Marcoussis notamment. Il faut également encadrer plus rigoureusement le processus pour que, cette fois-ci, chacun de ceux qui ont signé à Marcoussis et à Accra soit enfin, de manière responsable, conduit à respecter ses engagements.

C'est dans cet esprit - je parlais de nos partenaires africains, qui jouent un rôle important, là comme ailleurs ; je pense au Darfour et à la région des Grands lacs - que le président de la République d'Afrique du Sud, M. Thabo Mbeki, a rencontré hier, à Abidjan, le président Gbagbo.

A cet effet, le Conseil de sécurité travaille actuellement sur un projet de résolution que nous lui avons proposé et qui prévoit la mise en place d'un embargo sur les armes ainsi que la possibilité de mettre en oeuvre des sanctions à l'encontre des personnes coupables de crimes contre l'humanité et de celles qui font obstacle au processus de paix.

Notre priorité absolue est la sécurité de la communauté française.

Aujourd'hui, 15 000 de nos compatriotes, dont une grande partie de binationaux, vivent en Côte-d'Ivoire. C'est la communauté française la plus importante de l'Afrique subsaharienne. Installée en Côte-d'Ivoire depuis souvent fort longtemps, elle est composée de personnes qui aiment ce pays dans lequel elles travaillent. Beaucoup y ont fondé des familles, créé des entreprises.

C'est à cette communauté que nous devons penser, car elle est aujourd'hui terriblement secouée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'ailleurs très sincèrement rendre hommage à cette communauté, à son sang-froid, à son courage, et lui dire, au-delà de ces murs, l'attention que les pouvoirs publics, le Gouvernement, comme d'ailleurs chacune et chacun d'entre vous, en particulier ceux qui représentent les Français de l'étranger, continueront de lui apporter.

Les manifestations de ces derniers jours ont été extrêmement violentes. Tous les établissements scolaires ont été détruits. De nombreuses maisons ont été pillées. Des ressortissants français ont été agressés et sont choqués.

Plus de 3 000 personnes sont aujourd'hui regroupées dans le camp militaire de Port Bouet, sur le site de l'ONUCI - l'opération des Nations unies en Côte-d'Ivoire -, et à l'Hôtel Ivoire.

Des avions ont été affrétés par le Gouvernement pour apporter du ravitaillement et permettre, dès aujourd'hui, à ceux qui le souhaitent - ils sont assez nombreux, près de 1 350 - un retour en métropole. Trois avions devraient être ce soir à Paris.

Nous suivons également avec attention ce qui se passe à San Pedro, où habitent 250 ressortissants, et dans le reste du pays, où l'on compte 2 500 ressortissants.

Voilà pourquoi, je le redis après vous, monsieur le président, la situation est très préoccupante.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de vous écouter, je terminerai en disant que tous ceux qui assument aujourd'hui en Côte-d'Ivoire des responsabilités dans le maintien de l'ordre et le processus de paix, à commencer par le président Gbagbo, doivent maintenant se mobiliser pour rétablir durablement le calme et la sécurité.

Cet objectif de paix reste l'unique sens de l'engagement de la République française en Côte-d'Ivoire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion