Nous avons le sentiment, parfois confusément, que l'on est à la fin d'un modèle, peut-être même à la fin d'un monde, et que notre système fiscal et de prélèvements obligatoires n'est que le reflet de ce monde, le reflet des non-choix du passé. La France est, grâce sans doute aux alternances, l'Etat qui sait accumuler toutes les formes de fiscalité possibles sur toutes les assiettes fiscales possibles.
Lorsque l'on procède à des comparaisons internationales, notamment intraeuropéennes, impôt par impôt, taxe par taxe, on constate que la France se situe souvent dans la moyenne, et l'on s'en réjouit presque : nos prélèvements ne seraient donc ni trop élevés ni trop bas ! Mais, lorsque l'on cumule le tout, c'est-à-dire le résultat de cette sédimentation de non-choix ou de demi-choix, on constate alors que notre pays est en tête ou dans le peloton de tête.
Oui, mes chers collègues, parlons des prélèvements obligatoires et de cette problématique globale.
Notre niveau est très élevé par rapport aux autres. Toutefois, plus que le niveau, c'est la structure qui compte : tel est, cette année, l'aspect essentiel du message de la commission des finances.
Nous avons, en quelque sorte, si l'on raisonne à l'échelon national, quatre grandes variables des finances publiques : deux variables de recettes, deux variables de dépenses. Il s'agit des recettes fiscales qui alimentent l'Etat, des cotisations sociales et des impôts qui profitent à la sécurité sociale, des dépenses de l'Etat et de celles de la sécurité sociale.
L'ensemble forme le tableau global qui se conclut par un déficit beaucoup trop lourd, financé par une dette qui continue de s'alourdir. Et, malgré des efforts méritoires, la dette globale de l'Etat comme du secteur public continuera encore d'augmenter en 2005.
Si l'on observe ces quatre variables, il en est une que, vaille que vaille et douloureusement, on arrive à maîtriser : je veux parler de la dépense de l'Etat. Merci en particulier au ministre Alain Lambert ! Il a su réduire les reports, ces épées de Damoclès budgétaires ; il a tenu bon malgré toutes les critiques sur les opérations de gels et d'annulations, ces arrêtés que l'on ne doit jamais signer de gaieté de coeur mais qui sont nécessaires pour faire respecter les autorisations votées par le Parlement.
Du côté des dépenses de la sécurité sociale, il en va bien sûr autrement. Nous écoutions tout à l'heure avec intérêt M. le ministre de la santé nous expliquer le concept de maîtrise médicalisée, expression maîtresse de la réforme que nous avons votée.
Il est clair, mes chers collègues, que les besoins sociaux, l'évolution de la science et de la démographie ou l'anxiété générale de la société ne peuvent que conduire à des hausses de dépenses d'assurance maladie.
Il est de notre devoir tout à la fois de les contrôler, de mieux gérer, de réduire les gaspillages et les frais d'administration. Mais soyons-en conscients : la tendance reste et restera à la hausse.
Par rapport à ces dépenses, il faut considérer comment sont structurées les recettes entre les recettes de l'Etat - le système fiscal, avec toute la variété d'impôts que nous connaissons - et les recettes de la sécurité sociale, pesant pour 75 % sur les entreprises et les salariés au travers des cotisations sociales.
M. le ministre d'Etat chargé de l'économie, des finances et de l'industrie a mis l'accent, avec une grande ouverture d'esprit que je me plais à saluer, sur notre contribution au débat. Oui, mes chers collègues, nous avons voulu quelque peu provoquer la réflexion, sortir des sentiers battus, montrer que, dans l'hémicycle de cette vieille assemblée, on sait anticiper et poser de vraies questions d'avenir relatives au pacte social lui-même.
Il ne s'agit pas seulement d'accorder des avantages ponctuels à des entreprises particulières, mais de savoir comment réformer globalement pour adapter, pour changer la situation que nous connaissons et qui est caractérisée par un taux de chômage structurel très élevé et par une très faible teneur de la croissance en emplois.
Nous avons voulu montrer que nous ne nous résignions pas à cet état de choses et que ni l'accroissement de la dette, qui limite à la vérité notre indépendance nationale, ni un marché du travail rigide et qui fabrique tant d'injustices sociales ne sont des fatalités.
Il est des Etats qui ont su, parce qu'ils avaient sans doute le dos au mur, soulever cette chape de plomb du conformisme et des habitudes, qui se sont remis en cause et qui ont changé de système. Parmi ces Etats - peut-être ne les avons-nous pas suffisamment observés à l'époque - je mentionnerai notamment certains pays scandinaves, dans lesquels la protection sociale est traditionnellement très développée et qui représentent un monde qui est loin d'être cet univers ultralibéral intolérant, dur à l'homme, que ses contempteurs ont tendance à dépeindre avec un peu trop de complaisance à mes yeux.
Oui, au vu des expériences menées par certains de ces Etats, nous nous apercevons qu'ils sont parvenus à faire baisser de manière très prononcée leur taux de chômage structurel. Il en est un, en particulier, auquel nous avons récemment rendu visite : le Danemark a su, grâce à un basculement fiscal global, voire brutal, changer véritablement sa situation économique.
Bien sûr, chaque situation est particulière et il faut savoir relativiser des expériences de cette nature Mais ce sont, mes collègues, des leçons de volonté qu'il n'est pas interdit de méditer, car si de petits pays ont su se remettre en cause, pourquoi diable la France en serait-elle incapable ? Pourquoi se résigner ?
C'est en vertu de cette approche que nous avons tracé la piste de la fameuse TVA sociale. Certes, l'expression « TVA sociale » peut paraître contradictoire dans les termes, puisque la TVA est un impôt proportionnel qui ne tient pas compte des situations de revenus des familles. Ainsi la « TVA sociale », dans notre langage et dans le cadre de l'actuel débat, peut-elle sonner de façon étrange.
Toutefois, la TVA peut être sociale par destination en fonction de ce qu'elle peut financer ; elle peut être sociale si elle participe d'un système fiscal qui favorise l'emploi, qui permet de remettre au travail des couches de la population qui en sont écartées, car est social ce qui fait avancer son pays, qui lui permet de progresser et de rejoindre la compétition.
Or, vous le savez, mes chers collègues, telle est bien l'obsession de la commission des finances : obsession de la compétition, crainte d'être distancé, obsession de la perte d'attractivité, de l'érosion de nos richesses, de la fuite de nos cerveaux, du départ de beaucoup de patrimoines importants qui pourraient servir, au moins pour partie, à faire travailler des gens sur notre sol, obsession, enfin, de la perte de positions en matière de commerce extérieur. Tels sont les sujets qui nous soucient le plus.
C'est à partir de ces préoccupations et de ce sentiment, peut-être un peu confus, que nous sommes à la fin d'un monde et d'un modèle que nous traçons des pistes de réflexion ; à cet égard, la TVA sociale en est une qui nous semble ne pas pouvoir être éludée.
Les macro-économistes, les économètres en discuteront. En effet, il est très difficile d'imaginer les résultats quantitatifs d'une opération de basculement importante portant, par exemple, sur 60 % des cotisations « famille » - c'est ce dont nous parlons - et se traduisant par un relèvement significatif du taux de la TVA. Il y a, on le sait, des effets favorables à la compétitivité, des prix de revient allégés, en même temps que des menaces inflationnistes qui peuvent être à l'oeuvre dans l'économie ainsi que des risques de conflits au sein même de l'entreprise entre les intérêts des différentes parties prenantes. Ainsi, comment le pouvoir d'achat évoluera-t-il ? Comment la « rente », en quelque sorte, va-t-elle être partagée entre le travail, les actionnaires et le niveau des prix facturés au client ?
Il s'agit là de sujets extrêmement complexes et les simulations qui ont été faites - et qui ont au moins le mérite d'exister - ne nous apportent pas, reconnaissons-le, de certitudes. Mais reconnaissons aussi, mes chers collègues, qu'il nous faut véritablement trouver des solutions qui nous permettent de sortir de cette ambiance délétère et anesthésiante dans laquelle nous nous trouvons.
A cet égard, je voudrais dire que, dans les excellents écrits de Michel Camdessus, j'ai été frappé par cette expression : « La France décroche sous anesthésie ».
De quelle anesthésie s'agit-il ? Eh bien, comme Michel Camdessus, je pense que cette anesthésie est celle de l'euro qui, s'il peut être la meilleure des choses, peut aussi se révéler la pire des choses.
Autrefois, compte tenu de l'état de nos finances publiques, notre monnaie eût été attaquée, la spéculation internationale se fût déchaînée...